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Droit des obligations
Le principe de précaution ne remet pas en cause les règles relatives à la responsabilité quasi délictuelle
Mots-clefs : Causalité, Dommage, Courants électromagnétiques, Conséquence directe et certaine, Principe de précaution, Charte de l’environnement
La troisième chambre civile confirme l’exigence d’un lien de causalité direct et certain entre le dommage allégué et les ondes électromagnétiques en cause, certitude qui, sans ressortir forcément de preuves scientifiques, doit nécessairement résulter de présomptions graves, précises, fiables et concordantes.
Un élevage bovin et porcin connaît de multiples désordres sanitaires depuis de nombreuses années. Au-dessus des bâtiments qui l’abrite se trouve une ligne à très haute tension construite en 1943 et exploitée par le Réseau de transport d’électricité (RTE). L’agriculteur saisit alors la justice pour se faire indemniser du dommage causé par les champs électromagnétiques à son élevage.
La cour d’appel rejette sa demande (Limoges, 11 mars 2010), en raison de l’incertitude sur le lien de causalité entre les courants électromagnétiques et les désordres causés à l’élevage. S’appuyant sur un nombre important de contributions scientifiques, elle relève qu’il n’existe pas en l’état de consensus scientifique sur la question. Par ailleurs, la cour d’appel estime que l’absence de problèmes constatés sur d’autres exploitations agricoles localisées sur le tracé de la ligne permet de conclure que « dans l'espace, il n'y a pas association du moins généralisée entre le passage de cette ligne et de tels désordres ».
Le demandeur au pourvoi invoquait le principe de précaution, défini aux articles L. 110-1 I 1° du Code de l’environnement et 5 de la Charte de l’environnement de 2004. Selon le demandeur, ces textes imposaient d’engager la responsabilité directe des personnes dont l’activité est à l’origine d’un risque, et ce même « en l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment » (art. L. 110-1 I 1° C. envir.).
Dans une affaire relative à la transmission de la sclérose en plaques par le vaccin contre l’hépatite B, qui concernait la preuve scientifique du lien de causalité, la Cour de cassation, sur le fondement de l’article 1353 du Code civil relatif aux présomptions, a donné raison aux juges du fond d’avoir examiné si les « éléments de preuves qui lui étaient soumis constituaient, ou non, des présomptions graves, précises et concordantes […] du lien de causalité entre un éventuel défaut et le dommage » (Civ. 1e, 22 mai 2008).
Dans notre espèce, elle énonce qu’il « appartenait à celui qui sollicitait l’indemnisation du dommage à l’encontre du titulaire de la servitude d’établir que ce préjudice était la conséquence directe et certaine de celui-ci et que cette démonstration, sans exiger une preuve scientifique, pouvait résulter de présomptions graves, précises, fiables et concordantes ». Or, la cour d’appel a relevé à bon droit « des éléments sérieux divergents et contraires s’opposaient aux indices existant quant à l’incidence possible des courants électromagnétiques sur l’état des élevages de sorte qu’il subsistait des incertitudes notables sur cette incidence et qui a analysé les circonstances de fait dans lesquelles le dommage s’était produit ».
Dès lors, les règles de la responsabilité délictuelle ne sont pas modifiées par les textes relatifs au principe de précaution et la Charte de l’environnement, Charte qui a valeur constitutionnelle (v. Dalloz Actu Étudiants 28 avr. 2011, Portée juridique de la Charte de l’environnement).
Dans une affaire très médiatisée relative aux antennes téléphoniques et portant sur le dommage causé par ces dernières aux personnes qui habitaient près de cette antenne, la cour d’appel de Versailles avait considéré que « si la réalisation du risque reste hypothétique, il ressort de la lecture des contributions et publications scientifiques produites aux débats et des positions législatives divergentes entre les pays, que l'incertitude sur l'inocuité d'une exposition aux ondes émises par les antennes relais, demeure et qu'elle peut être qualifiée de sérieuse et raisonnable » (Versailles, 4 févr. 2009).
La cour d’appel s’était détachée des fondements traditionnels de la responsabilité en retenant l’existence d’un « risque hypothétique », que le principe de précaution conduisait à indemniser. Au vu de l’arrêt commenté, il paraît difficile d’imaginer que la Haute cour acceptera ce raisonnement, tant elle reste attachée aux critères classiques de la responsabilité délictuelle (v. obs. Feldman D. 2009. 1369).
Civ. 3e, 18 mai 2011, n° 10-17.645, FS-P+B
Références
« Principe, issu du droit de l’environnement, selon lequel « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable ». Il a accédé au rang de règle obligatoire, mais sa nature juridique exacte et sa portée sont encore incertaines.
Dans une conception plus large il représente un principe d’orientation des décisions publiques, spécialement en matière de santé humaine, animale ou végétale, selon lequel l’absence de certitudes scientifiques sur la réalité d’un risque ne doit pas empêcher de prendre des mesures de prévention raisonnables en vue d’en prévenir la réalisation, comme l’interdiction d’importer certains produits suspectés d’être porteurs d’un risque (organismes génétiquement modifiés, par ex.). Beaucoup de partenaires commerciaux de l’Union européenne, et l’Organisation mondiale du commerce, s’opposent à cette conception dans laquelle ils voient un moyen de protectionnisme commercial déguisé.
À propos du prétendu danger du fait des ondes émises par les antennes relais de téléphonie mobile, plusieurs juges des référés ont fait interdiction d’implanter de telles antennes (ou ordonner de les enlever) sur le fondement du principe de précaution. »
Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
« Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol. »
■ Article 5 de la Charte de l’environnement de 2004
« Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage »
■ Article L. 110-1 I 1° du Code de l’environnement
« Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ; »
■ Versailles, 4 févr. 2009 ; D. 2009. 1369 obs. J.-Ph. Feldman.
■ Civ. 1re, 22 mai 2008, Bull. civ. I, n° 148 ; RTD civ. 2008. 492.
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