Actualité > À la une
À la une
Libertés fondamentales - droits de l'homme
Le secret professionnel de l’avocat en péril
« Personne n’oserait plus s’adresser à eux si l’on pouvait craindre la divulgation du secret confié » (E. Garçon, commentaire de l’ancien article 378 du code pénal de 1810).
Alors que viennent de se clôturer les débats du procès pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire « des écoutes » de l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, et de l’avocat pénaliste, Thierry Herzog, ces célèbres mots d’Émile Garçon, évocateurs du lien de confiance si singulier unissant l’avocat à son client semblent bien lointains …
Le secret professionnel de l’avocat peut s’entendre de « l’obligation pour les personnes qui ont eu connaissance de faits confidentiels lors de l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions, de ne pas les divulguer hors les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, Ass. H. Capitant, PUF, coll. « Quadrige », 6e éd. 2004, Vo, « Secret professionnel »).
À première vue, une kyrielle de professionnels, travaillant notamment dans le journalisme, la confession ou encore la finance, semble tenue par un tel secret. À titre d’exemple, le secret médical, le plus ancien, est en soi régulièrement assimilé au secret de l’avocat ; très sévèrement attaqué de nos jours, il est la traduction d’une obligation de discrétion professionnelle et contribue à respecter la vie privée du patient ainsi que toutes les informations le concernant (CSP, art. L. 1110-4, L. 1111-5, R. 4127-4, R. 4127-72 s. ; CSS, art. L. 162-2), jusqu’à son identité (CE 26 sept. 2018 no 407856).
Mais, à y regarder de près, malgré son érosion patente, le secret de l’avocat bénéficie de remparts plus étanches, qui le distinguent nettement de tous les autres secrets professionnels.
Par son héritage d’abord, il trouve ses principales origines après la Révolution française de 1789 et a progressivement évolué depuis, s’appuyant désormais sur une pluralité de fondements normatifs (L. no 71-1130 du 31 déc. 1971, art. 66-5 ; Décr. no 2005-790 du 12 juill. 2005, art. 4 et 5 ; RIN, art. 2 ; C. pr. pén., art. 100-5 et 100-7 …).
Par sa nature ensuite, en ce qu’il n’est pas un secret professionnel de droit commun. Même si sa protection semble boudée par le Conseil constitutionnel, qui a toujours refusé de lui donner valeur constitutionnelle (Cons. cons. 24 juill. 2015, French Data Network et a., no 2015/478 QPC), le secret de l’avocat résulte cependant de principes à valeur conventionnelle protégés, notamment par les articles 6, §1 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (par exemple, V. CEDH 24 mai 2018, Laurent c/ France, no 28798/13 ; CEDH 27 avr. 2017, Sommer c/ Allemagne, no 73607/13 ; CEDH 24 juill. 2008, André c/ France, no 18603/03 ; CEDH 16 déc. 1992, Niemietz c/ Allemagne, no 13710/88), la Cour de justice de l’Union européenne allant jusqu’à l’ériger en norme européenne (CJCE 18 mai 1982, AM & S Europe Limited c/ Commission des Communautés européennes, no 155-79).
Par ses caractères enfin, clairs et précis, qui font de lui l’une des règles essentielles à l’exercice de la profession, le secret imposé aux avocats est d’ordre public, absolu, général et illimité dans le temps (RIN, art. 2.1). Il s’applique ainsi en toutes matières, dans le conseil et dans la défense, et vise toutes les confidences écrites ou orales reçues de son client incluant consultations, correspondances, notes d’entretien et toutes pièces du dossier couvertes par lui.
Partant, ce secret si spécifique, justifié par l’intérêt supérieur de la confiance et de la confidence, réside pour l’avocat, dans une obligation impérieuse qu’il tient de sa mission et de sa qualité d’auxiliaire de justice, et pour son client, dans le droit de bénéficier d’une garantie contre l’intrusion d’un tiers en toutes circonstances.
Toutefois, son respect ne peut raisonnablement s’entendre dès lors que l’avocat fait preuve de la plus grande prudence à l’égard de son client, outre les qualités de compétence, de dévouement et de diligence qui sont attendues de lui (Décr. n° 2005-790 du 12 juill. 2005, art. 3). A défaut, telle une épée de Damoclès placée au-dessus de sa robe, la menace du prononcé de sanctions disciplinaires voire le déclenchement de poursuites pénales pèse sur l’avocat fautif, la violation du secret professionnel constituant à la fois un manquement déontologique et un délit pénal (C. pén., art. 226-13).
La récente décision du tribunal correctionnel de Strasbourg, relaxant le 8 octobre 2020 Randall Schwerdorffer, notamment poursuivi pour violation du secret professionnel, soulève la délicate question de la frontière entre liberté d’expression de l’avocat et respect de son secret professionnel… Un pas finalement jugé non franchi par le célèbre plaideur, qui avait dévoilé à la famille de son client dramatiquement devenu célèbre, Jonathann Daval, un événement survenu pendant sa garde à vue, de nature à faire basculer le cours de l’enquête, et qui s’est prévalu, pour sa propre défense axée sur la qualité prérequise d’humanité de l’avocat, de son devoir d’information à l’endroit de la mère de son client.
Néanmoins, n’est-ce pas biaiser le débat que d’aborder la question du respect du secret de l’avocat en se focalisant sur les seuls éventuels manquements individuels, aussi médiatisés soient-ils ?
En effet, bien que son existence est régulièrement rappelée haut et fort, la réalité pourtant prégnante de l’insuffisance de sa protection face aux multiples menaces et entailles est plus confidentielle …
Ancien délégué aux perquisitions du bâtonnier, membre de la commission Mattei et élu le 24 novembre 2020 nouveau-vice bâtonnier de Paris, Vincent Nioré, reconnu comme le défenseur de ses pairs, évoquait il y a déjà quelques années, « un véritable chef-d’œuvre en péril dont il faudrait broyer les ruines », pointant du doigt les autorités administratives et judiciaires (« Le secret professionnel de l’avocat : un chef-d’œuvre en péril ? », JCP n° 43, 20 oct. 2014. 1095).
En effet, en matière administrative, l’avocat est assujetti à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (not. depuis l’Ord. no 2020-115 du 12 févr. 2020). En ce sens, il lui appartient de veiller aux opérations fiscales de son client et, en cas de doute sur leur nature, de faire une déclaration de soupçons, via son bâtonnier, au service de renseignement Tracfin, de telle sorte qu’à l’évidence, ces obligations de vigilance et de déclaration paraissent en totale opposition avec le caractère général et absolu du secret de l’avocat.
Par ailleurs, s’agissant des droits de la défense, nombreuses sont les tentatives pour l’amoindrir, à commencer par la violation du principe d’égalité des armes.
Si le respect du secret de l’avocat suppose la recherche d’un équilibre nécessaire entre d’une part, la protection de l’intérêt, des droits et des libertés des individus, et d’autre part, la protection de la société par l’action des autorités de poursuite et judiciaires, que penser, d’une manière plus générale, des multiples examens de fadettes, géolocalisations, perquisitions et saisies au domicile et dans les cabinets de plaideurs de renom ? L’arrêt rendu par la Chambre criminelle le 8 juillet 2020 (Crim. no 19-85.491), rappelant l’exigence de motivation préalable écrite du juge d’instruction pour procéder à une perquisition dans les cabinets d’avocats (Crim. 9 févr. 2016, no 15-85.063), semble révélateur de cet accroissement du contentieux relatif à ces actes intrusifs visant les avocats qui mettent en jeu le droit à la vie privée, le secret professionnel et les droits de la défense.
L’ « Affaire Bismuth », évoquée en propos liminaires, mérite une attention particulière en ce qu’ont été enregistrés puis transcrits les propos d’un avocat en conversation téléphonique avec un tiers, régulièrement placé sous écoute, et qu’ont été interceptés puis transcrits les propos de cet avocat avec le bâtonnier de Paris, postérieurement à la perquisition dans son cabinet (Crim. 22 mars 2016, no 15-83.205).
Même si un tel secret, loin d’être une faveur ou un privilège corporatiste, a nullement vocation à faire échapper, le cas échéant, l’avocat à sa responsabilité pénale, en revanche, il est l’ultime protection des droits de la défense ; c’est ainsi que les correspondances échangées entre l’avocat et son client ou avec ses confrères sont couvertes par le secret professionnel - à l’exception de celles faisant apparaître la mention « officiel » - (L. 31 déc. 1971, art. 66-5) et qu’en matière d’interception de télécommunications, elles ne peuvent être retranscrites lorsqu’elles relèvent de l’exercice des droits de la défense (C. proc. pén., art. 100-5). Un tel raisonnement a cependant de quoi surprendre dans la mesure où cet acte intrusif précède le soupçon et qu’il revient à considérer que le secret de ces échanges n’est pas absolu (V. en ce sens la jurisprudence européenne, not. CEDH 3 févr. 2015, Pruteanu c/ Roumanie, no 30181/05).
Partant, faut-il y voir une quelconque régression dans cette fastidieuse évolution du secret, dès lors qu’il ne s’applique pas à la totalité de la relation entre l’avocat et son client, ni à l’intégralité de la procédure ?
Voici autant de méthodes pour le moins intrigantes que l’on se fait fort d’expliquer postérieurement à leur révélation, au nom d’une certaine conception de la transparence et d’une efficacité répressive, qui interviennent dans un contexte inédit de tensions entre avocats et magistrats, deux professions intervenant pourtant de concert à l’œuvre de justice. Autant de pratiques controversées qui, un peu plus chaque jour, érodent ou bafouent le secret professionnel de l’avocat…
Face à ce constat, plusieurs travaux ont été initiés par l’ancien pénaliste et actuel ministre de la justice, Éric Dupont-Moretti.
Tout d’abord, l’ancien Garde des Sceaux, Dominique Perben lui a remis le 26 août 2020 un rapport sur l’avenir de la profession d’avocat (V. Dalloz Actu Éudiant, Focus sur du 22 oct. 2020) dans lequel ont été formulées plusieurs propositions relatives à ces problématiques, telles que le renforcement du contrôle du juge de la liberté et de la détention en matière de mesures coercitives à l’encontre des avocats, l’inscription dans le code de procédure pénale de l’attachement du secret professionnel de l’avocat aux missions de défense et de conseil ou encore le renforcement du rôle du bâtonnier en matière de perquisitions.
Puis, le ministre de la justice a réuni le 6 novembre 2020 la commission Mattei, présidée par l’ancien bâtonnier du barreau de Marseille et relative aux droits de la défense durant l’enquête pénale ainsi qu’au secret professionnel des avocats. Elle a notamment pour missions - ô combien ambitieuses ! - d’étudier la question du concours de l’avocat à l’enquête préliminaire, de formuler des propositions sur l’étendue des garanties de la protection du secret professionnel de l’avocat mis en cause dans une procédure pénale et de déterminer, dans ce cadre, le rôle du bâtonnier.
Pour cette profession multiséculaire, de grands espoirs semblent se porter sur cette commission, dont les conclusions sont attendues le 20 décembre prochain, et dont la composition – comprenant pas moins de sept avocats – a déjà déclenché l’ire des syndicats de magistrats.
Références
■ CE 26 sept. 2018 no 407856 : AJDA 2019. 24 ; RDSS 2018. 1035, concl. F. Dieu
■ Cons. cons. 24 juill. 2015, French Data Network et autres, no 2015-478 QPC : AJDA 2015. 1514 ; D. 2015. 1647 ; D. 2016. 1461, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano
■ CEDH 24 mai 2018, Laurent c/ France, no 28798/13 : D. 2018. 1159 ; D. avocats 2018. 211, obs. L. Dargent
■ CEDH 27 avr. 2017, Sommer c/ Allemagne, no 73607/13 : AJ pénal 2017. 408, obs. P. Combles de Nayves
■ CEDH 24 juill. 2008, André c/ France, no 18603/03 : D. 2008. 2353
■ CEDH 16 déc. 1992, Niemietz c/ Allemagne, no 13710/88 : AJDA 1993. 105, chron. J.-F. Flauss ; D. 1993. 386, obs. J.-F. Renucci ; RFDA 1993. 963, chron. V. Berger, C. Giakoumopoulos, H. Labayle et F. Sudre
■ CJCE 18 mai 1982, AM & S Europe Limited c/ Commission des Communautés européennes, no 155-79
■ Crim. 8 juill. 2020, no 19-85.491 P: D. 2020. 1463 ; AJ pénal 2020. 420, obs. Roussel
■ Crim. 9 févr. 2016, no 15-85.063 P : D. 2016. 427 ; D. 2016. 1727, obs. Pradel
■ Crim. 22 mars 2016, no 15-83.205 P : D. 2016. 713 ; D. 2017. 74, obs. T. Wickers ; AJ pénal 2016. 261, obs. P. de Combles de Nayves
■ CEDH 3 févr. 2015, Pruteanu c/ Roumanie, no 30181/05 : D. 2015. 322, obs. Portmann
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une