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[ 13 mars 2020 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Les chauffeurs UBER sont des salariés !

Subordonné ou indépendant ! Il faut choisir ! Pour la Cour de cassation, dès lors qu’un chauffeur de VTC n’est pas un véritable indépendant, il est nécessairement salarié… Si la solution n’est pas surprenante, le Gouvernement vient toutefois d’annoncer qu’il réfléchissait à une alternative à proposer aux travailleurs des plateformes.

Les plateformes numériques se multiplient sur internet. Elles permettent généralement de mettre en relation deux personnes qui veulent échanger un bien ou un service, comme un vendeur et un acheteur sur « Le Bon Coin », un bailleur et un locataire sur « AirBnB ». Mais parfois, la plateforme met en relation des personnes dont l’une propose sa force de travail moyennant rémunération. Tel est le cas d’un coursier en vélo qui va réceptionner un repas dans un restaurant pour le livrer à son destinataire ou un chauffeur, qui au volant de son véhicule, va prendre en charge un client. 

Le lien contractuel qui se tisse entre le travailleur et la plateforme peut-il être qualifié de contrat de travail ? C’est le critère du lien de subordination qui interpelle tant le travail organisé par ce modèle économique parait éloigné du schéma de l’ouvrier de l’ère industrielle. 

En 2018, la Cour de cassation a pour la première fois été appelée à se prononcer dans l’arrêt Take Eat Easy (Soc. 28 nov. 2018, n° 17-20.079) reprenant exactement la définition élaborée par l’arrêt Société Générale (Soc. 13 nov. 1996, n° 94-13.187), elle a retenu qu’une plateforme numérique est un employeur si elle a le pouvoir de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du travailleur. Le 4 mars 2020, la Cour de cassation réitère sa position dans une affaire mettant en cause la société UBER.

En l’espèce, un particulier télécharge un formulaire UBER, se déclare comme auto-entrepreneur et après conclusion d’un « contrat de partenariat » débute une activité de chauffeur VTC. Pour une raison indéterminée, la société UBER clôture définitivement son compte sept mois plus tard. Le chauffeur saisit alors la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail pour obtenir des rappels de salaires, diverses indemnités pour non-respect des durées maximales de travail, pour dissimulation d’emploi salarié et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Infirmant la décision des juges du fond, la cour d’appel reconnait l’existence d’un lien de subordination et par conséquent d’un contrat de travail. Le pourvoi formé par la société UBER est rejeté. 

■ Une position jurisprudentielle classique

Pour identifier le lien de subordination, les juges doivent utiliser la technique du faisceau d’indices. 

En l’espèce, la société UBER fait valoir différents indices en faveur du statut d’indépendant : le chauffeur est inscrit au registre des auto-entrepreneur et bénéficie de la présomption de non-subordination (C. trav., art. L. 8221-6). Il n’a aucune obligation de travailler ou de se tenir à la disposition d’UBER : d’une part il n’a jamais l’obligation de se connecter à un quelconque moment et d’autre part, lorsqu’il choisit de se connecter et que l’application lui propose une course, il peut la refuser. Par ailleurs, il est libre de se connecter quand et où il souhaite : aucun horaire ni lieu de travail ne lui est donc imposé. Il n’est pas non plus tenu de verser une redevance forfaitaire pour accéder à l’application et n’est lié par aucune obligation d’exclusivité, ce qui écarte une dépendance économique l’obligeant à rester en partenariat avec UBER pour se procurer un revenu décent. Certes, l’application implique une géolocalisation, mais celle-ci n’a pas vocation à contrôler le chauffeur mais à permettre le fonctionnement du service en mettant en contact un chauffeur avec le client le plus proche et déterminer le prix de la prestation. 

Ces divers arguments sont pourtant balayés par la Cour de cassation qui reprend sa jurisprudence classique : la société UBER donnait des ordres, en contrôlait l’exécution et pouvait sanctionner le chauffeur. Certes, une certaine liberté est accordée au travailleur, mais il est depuis longtemps admis qu’on peut être salarié et disposer d’une large autonomie dans l’organisation de son emploi du temps. Dans l’affaire commentée, les indices décisifs sont tout d’abord l’intégration du chauffeur à un service organisé dont les conditions sont unilatéralement définies par UBER : le chauffeur ne choisit rien : ni le prix des courses, ni les clients, ni le trajet, ni les conditions d’exercice de la prestation de transport puisque, par exemple, il ne peut pas prendre en charge deux clients différents à la fois… Ce marché de service de transport n’existe donc que par le truchement de l’application numérique. La prestation est très encadrée : le chauffeur a huit secondes pour accepter la prise en charge d’un client proposé par l’application mais c’est un choix à l’aveugle puisqu’il ne connait pas la destination et donc le profit généré. Le prix est d’ailleurs fixé par l’algorithme qui contraint indirectement le chauffeur à adopter un trajet dit « efficace » sous peine d’un recalcul tarifaire. Enfin, UBER exerce un pouvoir disciplinaire puisqu’à l’issue de trois refus de course, l’application le déconnecte temporairement et surtout, en cas de signalement de comportement inadapté par des clients ou d’annulation de commande pourtant acceptée par le chauffeur, UBER peut supprimer définitivement son compte et donc rompre le contrat. Pouvoir de direction, de contrôle et de sanction sont donc bien réunis. Tout comme pour les arrêts relatifs à divers jeux de télé-réalité, (Ile de la tentation, Koh Lanta, Pekin-express… ) la relation contractuelle relève du salariat.

■ Les suites possibles de l’arrêt UBER

L’arrêt est rendu en forme développée et pourtant, différents points, par leur absence, retiennent l’attention. Suite à l’arrêt Take eat easy, plusieurs auteurs ont proposé une évolution des critères du contrat de travail, notamment une plus grande perméabilité à la dépendance économique. Or la Cour de cassation refuse formellement toute évolution jurisprudentielle puisqu’elle situe sa solution dans la même ligne que l’arrêt Société générale : l’intégration au service organisé ou la dépendance économique ne sont que des indices de l’état de subordination, le critère essentiel repose sur la démonstration d’un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction. Pourtant, il apparait que les juges du fond se sont surtout focalisés sur l’absence d’indépendance réelle du travailleur pour en déduire la subordination juridique. La Cour d’appel évoque ainsi le caractère « fictif de statut de travailleur indépendant » et la Cour de cassation reprend l’expression. Cette référence interroge. Elle peut faire écho à des arrêts de la CJUE qui rappelle qu’une personne doit être qualifiée de travailleur au sens du droit social de l’Union si son indépendance est fictive (CJUE 13 janv. 2004, Allonby, C-256/01, point 71 ; CJUE 4 déc. 2014, FNV Kunsten Informatie en Media, C-413/13, point 35). Elle peut aussi évoquer l’arrêt Formacad qui avait mis en lumière un détournement du statut d’auto-entrepreneur pour dissimuler le salariat (Civ. 2e, 7 juill. 2016, n° 15-16.110). Il ressort donc surtout de cet arrêt UBER que le juge doit trancher : si un travailleur déclaré comme indépendant n’est pas véritablement libre de son activité, libre de développer sa propre clientèle, libre de ses marges de profit, libre de son organisation, alors il est salarié. Il n’y a pas de voie intermédiaire comme au Royaume-Uni ou en Italie.

Cette absence de troisième voie pourrait évoluer très prochainement. Dès le lendemain de l’arrêt UBER, la ministre du travail annonçait le lancement d'une mission pour proposer des solutions d'encadrement des plateformes. Ce n’est pourtant pas la première fois que le législateur tente de peser sur le choix du juge. La loi d’orientation des mobilités adoptée en décembre 2019 prévoit que des chartes peuvent préciser un socle de droits et d’obligations pour les plateformes comme pour les travailleurs (C. trav., art. L. 7342-9). Le législateur avait tenté d’écarter le pouvoir de qualification du juge en indiquant que le respect par la plateforme des modalités d’une telle charte ne pouvait être utilement invoqué en justice pour établir un lien de subordination juridique. Le Conseil constitutionnel a censuré une partie du texte au motif que seul le législateur est compétent pour fixer les principes fondamentaux du droit du travail et notamment les caractéristiques essentielles du contrat de travail (Cons. const. 20 déc. 2019, n° 2019-794 DC). Dès lors, il est fort possible que le législateur propose prochainement un nouveau statut pour les chauffeurs et autres coursiers, ni véritablement indépendants, ni tout à fait salariés… 

Soc. 4 mars 2020, n° 19-13.316

Références

■ Soc. 28 nov. 2018, n° 17-20.079 P : Dalloz Actu Étudiant, 12 déc. 2018, note Q. Mlapa ; D. 2019. 177, et les obs., note M.-C. Escande-Varniol ; ibid. 2018. 2409, édito. N. Balat ; ibid. 2019. 169, avis C. Courcol-Bouchard ; ibid. 326, chron. F. Salomon et A. David ; ibid. 963, obs. P. Lokiec et J. Porta ; AJ contrat 2019. 46, obs. L. Gamet ; Dr. soc. 2019. 185, tribune C. Radé ; RDT 2019. 36, obs. M. Peyronnet ; ibid. 101, chron. K. Van Den Bergh ; Dalloz IP/IT 2019. 186, obs. J. Sénéchal ; JT 2019, n° 215, p. 12, obs. C. Minet-Letalle ; RDSS 2019. 170, obs. M. Badel

■ Soc. 13 nov. 1996, n° 94-13.187 P : D. 1996. 268 ; Dr. soc. 1996. 1067, note J.-J. Dupeyroux ; RDSS 1997. 847, note J.-C. Dosdat

■ CJUE 13 janv. 2004, Allonby, C-256/01 : D. 2004. 605

■ CJUE 4 déc. 2014, FNV Kunsten Informatie en Media, C-413/13 : AJCA 2015. 80, obs. I. Luc ; RTD eur. 2015. 443, obs. S. Robin-Olivier ; ibid. 823, obs. L. Idot

■ Civ. 2e, 7 juill. 2016, n° 15-16.110 P : D. 2016. 1574 ; Dr. soc. 2016. 859, obs. J. Mouly ; ibid. 2017. 235, étude R. Salomon

■ Cons. const. 20 déc. 2019, n° 2019-794 DC : AJDA 2020. 9 ; AJCT 2020. 5, obs. Donia Necib ; RDT 2020. 42, obs. B. Gomes

Pour approfondir :

■ E. Dockès, « Le salariat des plateformes », Droit ouvrier, janv. 2019, n° 846, p. 8 

■ M.-C. Escande-Varniol, « Un ancrage stable dans un droit du travail en mutation », D. 2019. 177

■ A. Fabre « Les travailleurs des plateformes sont-ils des salariés ? Premières réponses frileuses des juges français », Dr. soc. 2018, p. 547

■ M. Julien et E. Mazuyer, « Le droit du travail à l'épreuve des plateformes numériques », RDT 2018. 189

■ P. Lokiec, « De la subordination au contrôle », Semaine Sociale Lamy, nº 1841, 17 déc. 2018

■ T. Pasquier, « Les plateformes numériques dans la tourmente », commentaire de l’arrêt CA Paris du 10 janv. 2019, Semaine sociale Lamy, nº 1845, 21 janv. 2019.

■ M. Peyronnet, « Take Eat Easy contrôle et sanctionne des salariés », RDT 2019. 36

 

Auteur :Chantal Mathieu

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