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[ 6 juin 2014 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Les « Sherlock Holmes et Miss Marple » de l’assurance et le droit à la vie privée

Mots-clefs : Vie privée, Droit à l’image, Détective privé

Les enregistrements vidéo, réalisés par un détective privé, utilisés dans le cadre d’un procès comme éléments de preuve, ne portent pas atteinte au droit à l’image, et partant au droit à la vie privée protégé par l’article 8 de la Conv. EDH.

En l’espèce un requérant espagnol avait été renversé par une voiture alors qu’il se promenait à vélo. Après l’accident, il engagea une action civile en dommages-intérêts à l’encontre du conducteur et de la compagnie d’assurances en raison des séquelles prétendument subies, à savoir une névrose post-traumatique qui entraînait pour lui, selon ses dires, une peur intense de conduire des véhicules.

Lors du procès, la compagnie d’assurances fournit comme éléments de preuve des vidéos montrant le requérant qui conduisait une moto. Les vidéos avaient été enregistrées par un cabinet de détectives privés engagés par l’assureur, à l’insu du requérant.

La juridiction d’appel espagnol se prononça en faveur de la validité du rapport des détectives privés considérant que les circonstances dans lesquelles avaient été prises les images ne constituaient pas une interférence dans le comportement du requérant ni un conditionnement de celui-ci.

Parallèlement, le requérant entama, sans plus de succès, une action civile en dommages-intérêts contre la compagnie d’assurances pour violation de son droit à la vie privée et à l’image.

Selon les juges espagnols, l’enregistrement de l’image du requérant était justifié tant au regard du but poursuivi par la compagnie d’assurances, qui devait être considéré comme légitime, qu’au regard des personnes qui avaient effectué l’enregistrement, à savoir des détectives professionnels.

Saisissant la Cour européenne, le requérant allègue que les enregistrements vidéo effectués sans son consentement et ultérieurement utilisés dans le procès sont contraires à ses droits à l’honneur, à l’intimité personnelle et familiale et à l’image, garantis par l’article 8 de la Convention.

Pour conclure à la non-violation de ladite disposition, la Cour commence par rappeler que la notion de « vie privée », englobe le droit à l’image (CEDH 7 févr. 2012, Von Hannover c/ Allemagne (n° 2), §§ 95-96) et que la publication, comme l’enregistrement d’images vidéo, constitue une ingérence dans la vie privée d’un individu.

Ainsi, le droit de la personne à la protection de son image implique tant la possibilité pour l’individu de refuser la diffusion de son image, que le droit pour lui de s’opposer à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui. Les États ont, en conséquence, l’obligation positive d’adopter des mesures visant au respect du droit à l’image contre des abus de la part de tiers.

Appliquant ces principes en l’espèce, la Cour conclut que l’ingérence dans le droit du requérant à sa vie privée n’a pas été disproportionnée à la lumière des exigences de l’article 8 de la Convention. Pour parvenir à cette conclusion, elle retient que les images n’ont été prises qu’en tant que moyen de preuve dans le cadre d’un procès civil et n’avaient pas vocation à être publiées. Le requérant se trouvait sur la voie publique lorsque les scènes furent enregistrées, et il n’y a eu aucune interférence dans son comportement.

La Cour relève encore que les images du requérant ont été filmées par une agence de détectives privés qui respectait l’ensemble des exigences légales prévues en droit interne pour ce type d’activités.

Ainsi, il y a bien eu une atteinte à la vie privée, mais celle-ci n'est pas disproportionnée, tant en raison des circonstances qu'en raison du but poursuivi.

Cet arrêt de la juridiction européenne fait écho à la jurisprudence française. La question du caractère proportionné de l'atteinte à la vie privée lors de filatures organisées par un assureur avait été soumise à la Cour de cassation. Dans un arrêt du 31 octobre 2012, la première chambre civile avait affirmé que si la filature organisée par l'assureur pour s'attester de la réalité du préjudice est une atteinte à la vie privée de l'assuré, celle-ci organisée sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public, « sans provocation aucune à s'y rendre, et relative aux seules mobilité et autonomie de l'intéressé, n'[est] pas disproportionnée au regard de la nécessaire et légitime préservation des droits de l'assureur et des intérêts de la collectivité des assurés ».

Les similitudes sont nombreuses entre les deux arrêts. Seul le but poursuivi par l’ingérence retenu diffère. Là où la Cour européenne s’appuie sur le fait que « les images enregistrées avaient vocation à contribuer de façon légitime au débat judiciaire », la Cour de cassation avait retenu « la préservation des droits de l'assureur et ses intérêts de la collectivité des assurés ».

CEDH 27 mai 2014, De La Flor Cabrera c/Espagne, n° 10764/09

Références

■ Article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales - Droit au respect de la vie privée et familiale

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

■ CEDH 7 févr. 2012, Von Hannover c/ Allemagne (n° 2), n° 40660/08 et 60641/08, §§ 95-96.

 Civ. 1re, 31 oct. 2012, n°11-17.476Dalloz Actu Étudiant 5 déc. 2012 RTD civ. 2013. 86, obs. J. Hauser ibid. 117, obs. B. Fages.

 

Auteur :C. L.


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