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Libertés fondamentales - droits de l'homme
L’existence de directives anticipées du patient peut-elle empêcher l’arrêt des soins ?
Le juge des référés du Conseil d’État vient de renvoyer une QPC au Conseil constitutionnel sur la question de savoir si des directives anticipées peuvent justifier l’obstination déraisonnable.
CE, réf., QPC, 19 août 2022, n° 466082 C
La conciliation entre les libertés fondamentales relatives au droit au respect de la vie et au droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable pose souvent des questions éthiques difficiles à résoudre. Existe-t-il un droit à la mort comme il existe un droit à la vie ? Où se situe la frontière entre la persévérance et l’obstination ? Qui doit décider ? Que faire en cas de conflit entre la famille et le corps médical ?
■ Refus de toute obstination déraisonnable
Le refus de toute obstination déraisonnable est un principe consacré par la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, repris et précisé par celle du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. La loi précise que les traitements et soins prodigués au patient ne doivent pas être « mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable », c’est-à-dire quand ils apparaissent « inutiles, disproportionnés » ou n’ont comme seule conséquence « que le seul maintien artificiel de la vie » (CSP, art. L. 1110-5-1).
L’affaire Vincent Lambert a permis aux juridictions française et européenne de qualifier plus précisément la notion d’obstination déraisonnable. En effet, pour le Conseil d’État, refuser l'obstination déraisonnable est un droit fondamental (CE 24 juin 2014, Mme Lambert et autres, n° 375081) et pour la Cour européenne des droits de l’homme, l'arrêt des traitements au nom de l'obstination déraisonnable ne porte pas atteinte au droit à la vie du patient (CEDH 5 juin 2015, Lambert et autres c/ France, n° 46043/14).
Par ailleurs, il résulte des dispositions du code de la santé publique (art. L. 1110-1, L. 1110-2, L. 1110-5, L. 1110-5-1, L. 1111-4, L. 1111-11 et R. 4127-37-1), ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, « qu'il appartient au médecin en charge d'un patient, lorsque celui-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté, d'arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, dans le respect des directives anticipées du patient ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs ».
■ Obstination déraisonnable et directives anticipées du patient
Si le référé du 19 août 2022 porte sur l’appréciation de l’obstination déraisonnable, il pose également la question de savoir si l’arrêt d’un traitement est possible lorsque le patient a rédigé des directives anticipées selon lesquelles il souhaite être maintenu en vie même artificiellement, en cas de coma prolongé jugé irréversible.
Dans l’affaire du 19 août 2022, un quadragénaire avait été victime, en mai 2022, d'un polytraumatisme grave compliqué par un arrêt cardio-respiratoire après son écrasement par un véhicule utilitaire sur lequel il effectuait des réparations, ayant causé une absence d'oxygénation du cerveau durant sept minutes. Il a été placé dans un coma afin de stabiliser son état de santé. Divers examens ont ensuite établi l'absence de réflexes du tronc cérébral, hormis le réflexe oculo-cardiaque et un réflexe de ventilation spontanée insuffisant pour envisager une cessation de la ventilation mécanique, l'absence d'activité cérébrale et des lésions anoxiques sévères. Ainsi, son état a été considéré comme insusceptible d'amélioration et l'équipe médicale a estimé que la poursuite des thérapeutiques invasives constituerait une obstination déraisonnable dans des traitements apparaissant inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ; et après avoir engagé la procédure collégiale (CSP, art. R. 4127-37-2), il a été décidé de procéder à l'arrêt des soins et des traitements le 9 juin 2022.
L’épouse et les sœurs de cet homme ont alors saisi le juge des référés du tribunal administratif qui a suspendu, le 8 juin 2022, l'exécution de cette décision en raison de l'existence d'une lettre manuscrite datée du 5 juin 2020, adressée par cet homme à son médecin traitant. Lettre qui n'avait pas été portée auparavant à la connaissance des équipes du centre hospitalier. Dans ce courrier le quadragénaire fait connaitre notamment son souhait, dans l'hypothèse où il ne serait plus en mesure de s'exprimer, d'être maintenu en vie, même artificiellement, en cas de coma prolongé jugé irréversible.
■ QPC
La demande de suspension de cette décision a été rejetée par le tribunal administratif toutefois, le juge des référés du Conseil d’État vient de surseoir à statuer sur la requête en référé en renvoyant une QPC au Conseil constitutionnel soulevée par la famille du patient. Celle-ci porte sur les dispositions du troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique selon lesquelles « Les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement, sauf en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».
Ainsi, la famille soutient qu'en prévoyant que des directives anticipées de poursuite des soins et traitements ne s'imposent pas au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement dans le cas où ces directives « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale », conduisant alors à mettre fin à la vie du patient contre sa volonté, ces dispositions méconnaissent le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ainsi que la liberté de conscience et la liberté personnelle, garanties par le Préambule de la Constitution et les articles 1, 2, 4 et 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Elle soutient également qu'en tout état de cause la possibilité d'écarter des directives anticipées dans une telle hypothèse de refus d'arrêt des soins et traitements prodigués n'est pas suffisamment encadrée, l'expression « manifestement inappropriées » étant imprécise, aucun délai de réflexion n'étant ménagé et la décision étant prise non de manière collégiale mais par le seul médecin en charge du patient.
Le Conseil constitutionnel, qui a été saisi de cette QPC, le 22 août 2022, dispose de trois mois (Ord. n° 58-1067 du 7 nov. 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, art. 23-10) pour rendre sa décision enregistrée sous le numéro 2022-1022 QPC.
Références
■ CE, ass., 24 juin 2014, Mme Lambert et autres, n° 375081 A : DAE, le Billet, Frédéric Rolin, 3 juin 2019 ; AJDA 2014. 1293 ; ibid. 1669 ; D. 2014. 1856, note D. Vigneau ; D. 2014. 2021, obs. A. Laude ; ibid. 2015. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2014. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2014. 657, concl. R. Keller ; ibid.. 702, note P. Delvolvé ; RDSS 2014. 1101, note D. Thouvenin
■ CEDH, gr ch, 5 juin 2015, Lambert et autres c/ France, n° 46043/14 : DAE 10 juin 2015; AJDA 2015. 1124 ; ibid. 2015. 1732, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2015. 1625, et les obs. , note F. Vialla ; D. 2016. 752, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2015. 364, obs. A. Dionisi-Peyrusse
■ Cons. const. 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés, n° 2017-632 QPC : AJDA 2017. 1143 ; ibid. 1908, note X. Bioy ; D. 2017. 1194, obs. F. Vialla ; ibid. 1307, point de vue A. Batteur ; AJ fam. 2017. 379, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2017. 1035, note D. Thouvenin.
■ Sur l’obstination déraisonnable, V. également DAE 19 janv. 2018.
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