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[ 20 septembre 2021 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Liberté d’enseignement et instruction en famille

Le Conseil constitutionnel a tranché : l’instruction en famille n’est pas une composante de la liberté d’enseignement.

■ Instruction et scolarisation

L’article 4 de la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire instituant l'instruction obligatoire précisait qu’elle pouvait être donnée soit dans les écoles et établissements, publics ou privés (sous contrat ou hors contrat d’association), soit dans les familles.

Une première entorse a été faite avec l'ordonnance n° 59-45 du 6 janvier 1959 portant prolongation de l'obligation scolaire à 16 ans qui a introduit une dualité reprise par le Code de l’éducation en réaffirmant, à l’alinéa 1er de l’article L. 131-1 que «l'instruction est obligatoire» ; cet article se situant dans un chapitre intitulé « L’obligation scolaire »… 

Ensuite, la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école précise quant à elle que l’« instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d’enseignement » (C. éduc., art. L. 131-1-1, al. 2). Ces établissements sont considérés comme les lieux les plus adaptés pour garantir l’acquisition des connaissances et des compétences. 

Enfin, l’article 49 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (dite loi séparatisme) modifie l'article L. 131-2 du Code de l’éducation et précise désormais que : « L'instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés. Elle peut également, par dérogation, être dispensée dans la famille par les parents, par l'un d'entre eux ou par toute personne de leur choix, sur autorisation … ». 

L’instruction en famille, ou l’école à la maison, est désormais un régime dérogatoire.

■ De la simple déclaration à la demande d’autorisation

Avant la loi du 24 août 2021, l’article L. 131-5 du Code de l’éducation précisait que « Les personnes responsables d'un enfant soumis à l'obligation scolaire …  doivent le faire inscrire dans un établissement d'enseignement public ou privé, ou bien déclarer au maire et à l'autorité de l'État compétente en matière d'éducation qu'elles lui feront donner l'instruction dans la famille. Dans ce cas, il est exigé une déclaration annuelle. » Il n’était en aucun cas besoin de préciser le motif justifiant le recours à l’instruction en famille.

Avec le nouvel article L. 131-5, la déclaration se transforme en autorisation : « ou bienà condition d'y avoir été autorisées par l'autorité de l'État compétente en matière d'éducation, lui donner l'instruction en famille ».

Cette demande d’autorisation sera accordée « pour les motifs suivants, sans que puissent être invoquées d'autres raisons que l'intérêt supérieur de l'enfant :  L'état de santé de l'enfant ou son handicap ;  La pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ;  L'itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique de tout établissement scolaire public ;  L'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d'instruire l'enfant à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans ce cas, la demande d'autorisation comportera une présentation écrite du projet éducatif, l'engagement d'assurer cette instruction majoritairement en langue française ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l'instruction en famille. 

L'autorisation sera accordée pour une durée qui ne peut excéder l'année scolaire sauf pour l'un des motifs prévus au 1°. Le silence gardé pendant deux mois par l'autorité de l’État compétente en matière d'éducation sur une demande d'autorisation vaudra décision d'acceptation.

A noter que les nouvelles dispositions de l’article L. 131-5 du Code de l’éducation entrent en vigueur à la rentrée scolaire de 2022. Toutefois, par dérogation, l'autorisation prévue à cet article est accordée de plein droit, pour les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024, aux enfants régulièrement instruits dans la famille au cours de l'année scolaire 2021-2022 et pour lesquels les résultats du contrôle ont été jugés suffisants. 

■ Le principe de la liberté d’enseignement

La liberté d’enseignement est « un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) » (Cons. const. 23 nov. 1977, n° 77-87 DC).

Des sénateurs de l’opposition, lors de la saisine du Conseil constitutionnel concernant la loi « séparatisme », ont essayé de démontrer que le principe de l’instruction en famille était une composante de la liberté d’enseignement et qu’à ce titre, il était un PFRLR : l’instruction en famille trouve une base textuelle dans une loi intervenue sous un régime républicain antérieur à 1946 (loi de 1882), a fait l’objet d’une application continue et intéresse les libertés fondamentales, à savoir la liberté d’éducation (V. la saisine des sénateurs du 26 juill. 2021).

Il y a peu de temps encore, le Conseil d’État considérait l’instruction des enfants dans la famille comme le corollaire du principe de la liberté de l'enseignement qui donnait aux parents un «droit… de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l'instruction au sein de la famille» (CE 19 juill. 2017, Assoc. les enfants d'abord, n° 406150; CE 28 mars 2018, Assoc. UNIE, n° 393866).

■ La décision du Conseil constitutionnel du 13 août 2021

Réfutant l’argument selon lequel l’instruction en famille, affirmée par la loi fondatrice de 1882, constamment reproduite par les lois postérieures, pouvait constituer un PFRLR, le Conseil constitutionnel valide la nouvelle rédaction de l’article L. 131-5 du Code de l’éducation : l’instruction en famille n’est pas une composante de la liberté de l’enseignement, l’article 4 de la loi du 28 mars 1882 n’en ayant fait qu’« une modalité de mise en œuvre de l'instruction obligatoire » (Cons. const, 13 août 2021, n° 2021-823 DC § 72).  

Par ailleurs, le Conseil Constitutionnel précise qu’en subordonnant l'autorisation à la vérification de la « capacité … d'instruire » de la personne en charge de l'enfant, les dispositions de la loi ont pour objectif d’imposer à l'autorité administrative de s'assurer que cette personne est en mesure de permettre à l'enfant d'acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d'enseignement de la scolarité obligatoire. Il estime également que si le législateur a précisé que cette autorisation doit être accordée en raison de « l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif », il a entendu que l'autorité administrative s'assure que le projet d'instruction en famille comporte les éléments essentiels de l'enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d'apprentissage de l'enfant.  Enfin, le Conseil constitutionnel fait une réserve d’interprétation selon laquelle « il appartiendra, sous le contrôle du juge, au pouvoir réglementaire de déterminer les modalités de délivrance de l'autorisation d'instruction en famille conformément à ces critères et aux autorités administratives compétentes de fonder leur décision sur ces seuls critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit » (Cons. const, 13 août 2021, n° 2021-823 DC § 76).

 

Auteur :Christelle de Gaudemont

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