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Droit des obligations
L’imprescriptibilité du réputé non-écrit
Dans un arrêt rendu le 30 mars dernier, la Cour de cassation confirme l’imprescriptibilité de l’action du consommateur tendant à voir réputer non-écrite une clause abusive.
Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 19-17.996
À nouveau soulevée par la décision rapportée, l’affaire des prêts libellés en francs suisses (Helvet immo) avait donné lieu à une décision rendue l’année dernière par la Cour de justice de l’Union européenne, dans un sens extrêmement favorable aux consommateurs (CJUE, 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19). Il lui était demandé de se prononcer sur le point de savoir si la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993 devait être interprétée dans le sens d’une opposition à une réglementation nationale qui soumettrait l’introduction d’une demande par un consommateur, aux fins de voir constater le caractère abusif d’une clause ou de se voir restituer les sommes indûment versées sur le fondement d’une clause abusive, à un délai quinquennal de prescription commençant à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt. À cette double question, les juges européens avaient répondu que les articles 6 §1 et 7§1, de la directive, lus à la lumière du principe d’effectivité, s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur à un délai de prescription lorsque son action est engagée aux fins de voir déclarer le caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu avec un professionnel. Distincte, l’action qui en découle en restitution des sommes indûment versées sur le fondement de clauses abusives peut, quant à elle, être soumise « à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l’ensemble de ses droits découlant de cette directive ».
C’est sur cette jurisprudence que la Cour de cassation prend ici appui pour écarter la prescription de l’action d’un couple d’emprunteurs, engagée pour voir constater l’abus de certaines clauses stipulées dans plusieurs prêts libellés en francs suisses et remboursables en euros (les fameux prêts « Helvet Immo »). Après que lui fut rappelée, par un premier arrêt de cassation (Civ. 1re, 16 mai 2018, n 17-11.337), son obligation de relever d’office l’abus des clauses soumises à son examen, la cour d’appel de Paris, autrement composée, déclara l’action des emprunteurs irrecevable comme prescrite au motif que l’action engagée pour voir déclarer non écrites des clauses qualifiées d’abusives, « qui relève du droit commun des contrats, est soumise à la prescription quinquennale » et que celle en l’espèce formée l’a été plus de cinq ans après l'acceptation des offres de prêt. Prononcée pour violation de la loi par fausse application, la cassation s’opère au double visa des articles L. 110-4 du code de commerce et L. 132-1 du code de la consommation (devenu L. 212-1 et L. 241-1 du code de la consommation). Rappelant que la Cour du Luxembourg avait dit pour droit que les dispositions européennes « s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d'une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur à un délai de prescription », la Haute juridiction en déduit que « la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l'article L. 132-1 précité n'est pas soumise à la prescription quinquennale ».
Se confirme le caractère imprescriptible de l’action permettant de constater l’abus d’une clause stipulée dans un contrat de consommation. La Cour de cassation avait en effet déjà affirmé l’imprescriptibilité d’une telle action, justifiant cette solution exorbitante du droit commun par la distinction des sanctions de la nullité et du réputé non-écrit. Ainsi la première chambre civile de la Cour de cassation avait-elle jugé que « c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses ne s’analysait pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’était pas soumise à la prescription quinquennale » (Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169 ; Com. 8 avr. 2021, n° 19-17.997, pt 27 : « La demande tendant à voir une clause abusive réputée non écrite, qui ne s’analyse pas en une demande d’annulation, n’est pas soumise à la prescription. » ; comp. Civ. 3e, 4 févr. 2016, n° 14-29.347, ayant considéré qu’une cour d’appel avait retenu à bon droit qu’une clause abusive « devait être déclarée nulle et de nul effet »; D. 2016.639, note C.-M. Péglion-Zika). Confirmée en creux par la présente solution, la différence entre la nullité, qui requiert l'intervention du juge, et le réputé non écrit, qui produit ses effets automatiquement, fonderait la spécificité du réputé non-écrit que traduit l’inexistence de la clause ainsi sanctionnée : non avenue par le seul effet de la loi, la clause abusive, déclarée non-écrite sur le fondement du droit spécial au lieu d’être annulée sur le fondement du droit commun, est censée n’avoir jamais existé. Le réputé non-écrit permet ainsi au consommateur d’échapper à l'acquisition de la prescription extinctive. On avance encore, pour justifier cette imprescriptibilité prétorienne, que la dérogation ainsi apportée est admissible dès lors que l’action en restitution des avantages reçus en application de la clause réputée non-écrite obéit, quant à elle, à une prescription quinquennale.
Pourtant, l’article 2224 du code civil, soumettant à la prescription quinquennale de droit commun toutes les « actions personnelles », qu’elles soient en nullité ou autre, inclut naturellement l'action en "réputé non-écrit", qui ne peut être qualifiée autrement que comme une action personnelle. De surcroît, même en droit spécial, l’article L. 110-4 du code de commerce prévoyant la même durée de prescription aurait pu tout autant justifier, dans cette affaire, la prescriptibilité de l’action.
Tirés du droit spécial de la consommation et plus spécifiquement encore, du droit des clauses abusives en constituant la principale déclinaison, ces motifs justificatifs de l’imprescriptibilité du réputé non écrit cantonnent pour l’heure le champ d’application de la solution au droit spécial du contrat. Sa portée doit toutefois être questionnée, dès lors que les nouveaux articles 1170 et 1171 du code civil, empruntant au mécanisme des clauses abusives, ne permettent pas d’exclure l’extension de cette solution au droit commun, ce qui conduirait à rendre l’action du déséquilibre significatif des contrats d’adhésion également imprescriptible.
Or que l’on se place sur le terrain du droit spécial ou du droit commun contractuel, on observera qu’il serait préférable de raisonner en termes de nullité, car si le réputé non-écrit présuppose généralement qu’une action en justice est dispensable, la considération est quelque peu théorique, a fortiori en matière de clauses abusives où l’appréciation du juge se révèle déterminante, du moins pour les clauses ne figurant pas sur la liste noire prévue par l’article R. 212-1 du code de la consommation. C’est en effet seulement en présence d’une telle clause qu’il est possible d’évincer l’appréciation du juge (v. en ce sens, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, n°112).
Ce n’est toutefois pas le choix opéré par la première chambre civile, qui confirme une solution désormais acquise en droit de la consommation, et qui pourrait s’étendre au-delà, si elle décidait d’en faire application en droit commun. Affaire à suivre…
Références :
■ CJUE, 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19 : D. 2021. 2288, note C. Aubert de Vincelles ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RDI 2021. 650, obs. J. Bruttin ; RTD com. 2021. 641, obs. D. Legeais
■ Civ. 1re, 16 mai 2018, n 17-11.337 : D. 2018. 1069 ; ibid. 2106, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2018. 330, obs. J. Lasserre-Capdeville ; RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau
■ Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169 : D. 2019. 1033, note A. Etienney-de Sainte Marie ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2019. 334, obs. H. Barbier ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais ; ibid. 465, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau
■ Com. 8 avr. 2021, n° 19-17.997 : D. 2022. 574, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
■ Civ. 3e, 4 févr. 2016, n° 14-29.347 : DAE, 7 mars 2016, note Merryl Hervieu, D. 2016. 639, note C.-M. Péglion-Zika ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; ibid. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2016. 623, obs. F. Cohet ; RDI 2016. 290, obs. B. Boubli ; AJCA 2016. 200, obs. S. Carval
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