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Droit de la famille
L’interdiction des adoptions successives par deux beaux-parents d’un même enfant est conforme à la Constitution
L’article 345-2 du Code civil dispose qu’une personne ne peut être adoptée par plusieurs personnes que dans des hypothèses strictement définies par la loi, soit par deux époux, deux partenaires pacsés ou deux concubins, ou dans des circonstances exceptionnelles comme le décès des adoptants ou l’existence de motifs graves justifiant le prononcé d’une adoption simple à la suite d’une adoption plénière préalable. Hors ces cas légaux, qui sont d’interprétation stricte, l’article 346 du même code prévoit expressément que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes. En résulte l’interdiction d’adoption de l’enfant par le conjoint de l’un de ses parents lorsque celui-ci a déjà été adopté par le conjoint de son autre parent. Ne méconnaissant ni le principe d’égalité devant la loi ni le droit au respect de sa vie privée et familiale, cette interdiction doit être déclarée conforme à la Constitution.
Cons. constit., 9 oct. 2025, n° 2025-1170 QPC
Par jugement du 17 avril 2025 rendu à la suite d’un litige concernant une demande d’adoption simple, par l’épouse de son père, d’un enfant majeur préalablement adopté en la même forme par l’époux de sa mère, le tribunal judiciaire de Bordeaux a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée : « L'article 345-2 du Code civil porte-t-il atteinte au principe d'égalité devant la loi (Article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) ? ».
La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 juillet 2025, a décidé de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Pour rappel, l’article 345-2 du Code civil s’oppose à ce qu’un enfant puisse, en principe, être adopté par plusieurs personnes, si ce n’est par deux époux, deux partenaires pacsés ou deux concubins. Ce texte interdit donc deux adoptions successives d’un même enfant par ses deux beaux-parents, sauf dans les cas prévus à l’alinéa 2 du même texte, selon lequel « une nouvelle adoption simple ou plénière peut être prononcée après le décès de l’adoptant ou des deux adoptants, et une adoption simple peut être prononcée au profit d’un enfant ayant fait l’objet d’une adoption plénière s’il existe des motifs graves ».
Il est aussi prévu à l’article 370-1-2 du Code civil, pour le cas du décès de l’un des deux adoptants, qu’une nouvelle adoption puisse être prononcée « à la demande du nouveau conjoint, partenaire lié par un PACS ou concubin du survivant d’entre eux ».
La requérante reprochait à l’article 345-2, pris en ses deux alinéas, de faire obstacle à l’adoption d’une personne par le conjoint de l’un de ses parents lorsque celle-ci a déjà été adoptée par le conjoint de son autre parent. Ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les beaux-parents d’une même personne, dès lors que l’un des beaux-parents serait empêché de la faire bénéficier des conséquences familiales, sociales et patrimoniales d’une adoption, du seul fait de son adoption préalable par l’autre beau-parent. Elles créeraient une même rupture d’égalité entre les membres d’un même couple ayant chacun un enfant d’une précédente union, lorsqu’un seul d’entre eux est empêché d’adopter l’enfant de son conjoint en raison d’une précédente adoption. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi. La requérante considérait par ailleurs qu’en faisant ainsi obstacle à la reconnaissance juridique des liens familiaux et affectifs établis entre un enfant et son beau-parent, ces dispositions porteraient à ce dernier une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et à son droit de mener une vie familiale normale. Elle soutenait enfin, pour les mêmes motifs, que ces dispositions méconnaîtraient également l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le Conseil constitutionnel écarte l’ensemble de ces griefs, validant ainsi les restrictions légales à l’adoption coparentale de l’enfant, mineur ou majeur, dont l’adoption est demandée en contradiction avec l’interdiction d’adopter faite au conjoint de l’un des parents lorsque cet enfant a déjà fait l’objet d’une adoption par le conjoint de son autre parent.
Se trouve en premier lieu écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi. La différence de traitement, qui résulte de la disposition contestée, entre les conjoints respectifs des parents d’une personne, ne procède pas d’une discrimination entre les beaux-parents en ce qu’elle est justifiée par l’impératif de stabilité des liens de parenté de la personne adoptée, eu égard notamment aux méandres juridiques qui résulteraient de l’établissement de multiples liens de filiation adoptive. On pense notamment aux conséquences de telles adoptions « cumulatives » sur le droit au nom, l’obligation alimentaire, ou encore le droit des successions. La stabilité recherchée par le législateur constitue ainsi un « motif d’intérêt général pouva(n)t justifier une différence de traitement entre les personnes souhaitant établir un lien de filiation adoptive avec l’enfant de leur conjoint, selon que ce dernier a déjà fait ou non l’objet d’une première adoption ».
Se voit en second lieu écarté le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et à une vie familiale normale. D’une part, les dispositions contestées, qui se bornent à prévoir qu’une personne ne peut en principe faire l’objet que d’une seule adoption, n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que le conjoint de l’un des parents soit associé à l’éducation et à la vie de l’enfant. D’autre part, le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit pour le conjoint du parent d’une personne à l’établissement d’un lien de filiation adoptive avec celle-ci.
La décision mérite certainement d’être approuvée. Dans l’esprit du législateur, l’adoption coparentale ne saurait aller jusqu’à admettre les adoptions « cumulatives » ou des « chaînes d’adoptions » de l’enfant, consistant à lier juridiquement l’adopté à deux adoptants parfaitement étrangers l’un par rapport à l’autre. Reconnaître la possibilité d’une double adoption au profit des deux beaux-parents de l’enfant appelle naturellement des réserves quant aux bouleversements juridiques qu’une telle dérogation à la limitation légale du nombre d’adoptions génèrerait. En outre, le droit de mener une vie familiale normale ne justifie pas de reconnaître au beau-parent un droit subjectif « à » l’adoption de l’enfant de son conjoint, partenaire ou concubin. En ce sens, conformément à la lettre comme à l’esprit de la loi, la Cour de cassation s’oppose pareillement à l’établissement, autour du couple parental, de deux adoptions simples par les nouveaux conjoints de chacun des parents. Ainsi, dans un arrêt du 12 janvier 2011, la première chambre civile soulignait déjà que « le droit au respect de la vie privée et familiale n’interdit pas de limiter le nombre d’adoptions successives dont une même personne peut faire l’objet, ni ne commande de consacrer par une adoption, tous les liens d’affection, fussent-ils anciens et bien établis » (Civ. 1re, 12 janv. 2011, n° 09-16.527, DAE, 4 févr.2011, note A.T.).
Référence :
■ Civ. 1re, 12 janv. 2011, n° 09-16.527 : DAE, 4 févr. 2011, note A.T. ; D. 2011. 239 ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; Just. & cass. 2011. 149, rapp. F. Monéger ; ibid. 158, avis B. Pagès ; AJ fam. 2011. 100, obs. F. Chénedé ; AJCT 2011. 188, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2011. 337, obs. J. Hauser
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