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[ 12 janvier 2021 ] Imprimer

Droit de la famille

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Dans un arrêt rendu le 16 décembre 2020, la Cour de cassation confirme, malgré l’impérativité du devoir de fidélité entre époux, la validité des contrats de courtage matrimonial conclus par une personne mariée et affirme la licéité de la publicité effectuée par un site de rencontres en ligne pour promouvoir l’adultère.

Civ. 1re, 16 déc. 2020, n° 19-19.387 P

Une confédération nationale regroupant des associations familiales catholiques avait assigné une société américaine éditrice d’un site de rencontres extraconjugales afin d’obtenir la nullité des contrats conclus entre celle-ci et ses utilisateurs, en ce qu’ils seraient fondés sur une cause illicite, ainsi que l’interdiction de sa campagne d’affichage publicitaire effectuée sur les autobus, à Paris et en Ile-de-France. Sur ces affiches figurait une pomme croquée accompagnée du slogan : « Le premier site de rencontres extraconjugales ».

Ses demandes ayant été rejetées en première instance, la confédération avait renoncé, en cause d’appel, à certaines demandes, ne maintenant que celle relative à la publicité litigieuse à l’effet qu’il soit ordonné à la société attaquée de cesser de faire référence, de quelque manière que ce soit, à l’infidélité ou au caractère extraconjugal de son activité, à l’occasion de ses campagnes de publicité. A nouveau déboutée de cette seule demande, elle forma un pourvoi en cassation, faisant grief à la cour d’appel d’avoir fait relever le devoir de fidélité uniquement d’un ordre public matrimonial de protection, alors qu’il ressort tout autant à un ordre public de direction dès lors que ce devoir ne tend pas seulement à protéger les intérêts privés des époux, mais comporte également une dimension sociale, en sorte qu’un tel devoir interdit aux époux d’y déroger, même en cas de consentement mutuel, par une convention particulière. Pour affiner son argumentation, la demanderesse avançait que même en cantonnant le devoir de fidélité à un seul ordre public de protection, l’infidélité n’en reste pas moins illicite (C. civ., art. 212) ; affirmant en conséquence que l’infidélité caractérise un comportement à la fois illicite et antisocial, elle en déduisait l’illicéité corrélative de toute publicité faisant l’apologie de l’infidélité dans le mariage, la liberté d’expression, notamment par voie publicitaire, « devant alors céder devant l’intérêt supérieur que représente le devoir de fidélité au sein d’un couple », qui dépasse les simples intérêts privés de ses membres.

A la question de savoir si le caractère impératif du devoir de fidélité justifie, en dépit de la valeur fondamentale reconnue à la liberté d’expression, d’interdire une publicité pour un site de rencontres encourageant l’adultère, la Cour de cassation répond par la négative, et rejette en conséquence le pourvoi. Elle introduit sa réponse par la reproduction du texte de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège la liberté d’expression sous certaines réserves dont celle, notamment, de la « protection de la morale ». Elle rappelle ensuite que la fidélité reste une obligation légale issue du mariage : il est vrai qu’elle n’est imposée qu’aux époux, les concubins comme les partenaires d’un pacte civil de solidarité restant libres de s’y conformer. Elle précise également que les principes éthiques et d’autodiscipline professionnelle édictés par le Code de la chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, notamment en ses articles 1er et 4 ayant été invoqués et dont la violation peut être contestée devant un jury de déontologie publicitaire n’ont pas cependant pas de valeur juridique contraignante, le juge pouvant seulement y référence dans le cadre de la législation applicable. Autrement dit, ces dispositions relèvent de ce que l’on nomme la soft law, constitutive d’un droit incitatif et non, contrairement à la tradition normative, impérative (Cf. Le saviez-vous ?, « What the soft law » ?, DAE, 2 déc. 2020). 

Après avoir procédé à cet exposé textuel, la Cour reprend pour l’approuver l’analyse des juges du fond. Ainsi l’arrêt énonce d’abord, à bon droit, que si les époux se doivent mutuellement fidélité et si l’adultère constitue une faute civile, celle-ci ne peut être utilement invoquée que par un époux contre l’autre à l’occasion d’une procédure de divorce. Dès lors, affirme la Cour, en l’absence de sanction civile de l’adultère en dehors de la sphère interpersonnelle des relations entre époux, le devoir de fidélité ne peut justifier une interdiction légale de la publicité pour des rencontres extraconjugales à des fins commerciales. L’arrêt constate ensuite, en faisant référence à une décision du jury de déontologie publicitaire, que les publicités litigieuses ne contiennent en elles-mêmes aucune photographie qui pourrait être considérée comme indécente, ni d’incitation au mensonge ou à la duplicité mais procèdent par des évocations, des jeux de mots ou des phrases à double sens pour promouvoir le service offert par le site mis en cause, tout un chacun restant libre de se sentir concerné ou pas par cette proposition commerciale, les slogans étant de surcroît libellés avec suffisamment d’ambiguïté pour ne pouvoir être compris avant un certain âge et n’utilisant aucun vocabulaire qui pourrait, en soi, choquer les enfants. Enfin, si la décision retient que la publicité litigieuse vante l’« amanturière  », « la femme mariée s’accordant le droit de vivre sa vie avec passion » ou se termine par le message « (le nom du site), la rencontre extraconjugale pensée par des femmes », promotion de l’adultère au sein de couples mariés qui pourrait choquer les convictions religieuses de certains spectateurs, l’interdire porterait, selon la Haute cour, une atteinte disproportionnée au droit à la liberté d’expression.

Outre celui d’illustrer la limite normative inhérente à la soft law, dont celle à l’espèce applicable se voit toutefois exploitée par la Cour pour renforcer sa motivation, l’intérêt essentiel de cet arrêt réside de toute évidence dans la confirmation de l’affaiblissement du devoir de fidélité entre époux. Si cette obligation personnelle née du mariage demeure impérative (C. civ., art. 212), son manque d’effectivité ne cesse de croître. Il convient en effet d’abord d’observer que l’époux qui l’a transgressé n’est plus très sévèrement sanctionné. Quant au tiers qui l’a dévoyé, force est de constater, comme nous y invite la décision rapportée, qu’il est encore moins durement traité. Cette clémence se comprend d’ailleurs parfaitement : l’auteur du fait répréhensible encourt par principe et en général une sanction plus sévère que son complice. C’est ainsi que l’indulgence bénéficiant à l’époux coupable justifie tout naturellement la complaisance profitant au tiers complice, en l’occurrence, une société professionnelle éditrice d’un site de rencontres en ligne.

■ L’indulgence bénéficiant à l’époux coupable

Autrefois, l’époux qui manquait à son obligation de fidélité s’exposait à de lourdes sanctions. Les temps ont changé. Le vent ayant tourné dans un sens libéral, il n’est plus question d’accabler la personne mariée qui s’est égarée. La transgression de l’obligation de fidélité n’est depuis bien longtemps plus pénalement incriminée : le délit d’adultère a en effet été supprimé en 1975. Aussi bien, les anciens moyens de coercition, moins directs, sont également tombés en désuétude : on ne peut plus recourir à l’astreinte ou à la saisie des rémunérations pour acculer celui qui s’est échappé du foyer conjugal pour jouir sans entrave de sa relation extraconjugale (TGI Brest, 9 juill. 1974 ; Aix-en-Provence, 22 juin 1978 ). Dans ces conditions, comme le rappelle ici la Cour, le divorce pour faute constitue désormais le principal moyen de sanctionner le conjoint infidèle. Toutefois, ce cas de divorce n’a plus les faveurs du législateur qui, depuis l’instauration sous la présidence VGE du divorce par consentement mutuel, continue par diverses mesures de dissuader les époux de recourir au divorce contentieux. Et ses efforts ont été payants : le divorce pour faute ne cesse de diminuer ; ainsi, alors qu’il représentait 40% des cas de divorce prononcés en 2002, il était en 2013 rabaissé 7,9 % (Annuaires statistiques de la justice, éd. 2008 et 2011-2012 ; site du ministère de la justice). En outre, dans les rares hypothèses où la rupture est encore prononcée aux torts de l’un des époux infidèle, ce dernier est traité avec bienveillance, le législateur s’étant en effet attaché à dissocier les causes du divorce de ses conséquences : à bien des égards, le même sort est réservé à l’époux irréprochable qu’au coureur invétéré. (J. Garrigue, Droit de la famille, Dalloz, 2e éd., n° 366). Étant précisé que la mansuétude dont ce dernier bénéficie sera d’autant plus grande lorsque le couple aura conclu un accord les dispensant de leur devoir de fidélité. Si comme le rappelait la demanderesse au pourvoi, de telles conventions sont nulles et partant insusceptibles d’anéantir l’obligation prévue à l’article 212 du Code civil, le divorce pour faute suppose néanmoins « une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage (…) rendant intolérable le maintien de la vie commune » (C. civ., art. 242) ; or lorsque l’adultère imputable à l’un des époux a été autorisé par le conjoint, les juridictions écartent généralement le caractère grave et intolérable du manquement commis, qu’elles se refusent dès lors à sanctionner (J. Garrigue, op. cit., n° 219). 

■ La complaisance profitant au tiers complice

Si l’époux fautif bénéficie d’une certaine indulgence, son complice est a fortiori traité avec une réelle complaisance. Alors que sa conduite était également, jadis, pénalement incriminée, le complice d’un adultère ne peut même plus être civilement sanctionné. Désormais, la relation d’un tiers avec une personne mariée n’est plus intrinsèquement illicite (Civ. 2e, 5 juill. 2001, n° 99-21.445, réservant le cas, non caractérisé en l’espèce, où la maîtresse aurait « par son attitude, crée le scandale », « cherché à nuire spécifiquement au conjoint de son amant » ou « à la suite de manœuvres détourné (le mari) de son épouse »). Si le devoir de fidélité garde vocation à restreindre la liberté des époux, il préserve presque sans réserve celle des tiers. Pour le dire autrement, les tiers peuvent se conduire avec des personnes mariées comme avec des célibataires ; leur liberté est considérée comme insusceptible d’être entravée par l’existence d’obligations personnelles qu’engendre un mariage qu’ils n’ont pas contracté. Les tribunaux considèrent même plus radicalement que ces normes ne sont pas susceptibles de leur nuire : c’est sans doute ce qui explique la validité des donations adultères, désormais acquise (Civ. 1re, 3 févr. 1999, n° 96-11.946; Cass., ass. plén., 29 oct. 1994, n° 03-11.238), consenties pour favoriser ou rétribuer la commission d’un adultère et que jadis, les juges annulaient, même lorsqu’elles étaient conclues par un simple concubin (J. Garrigue, op. cit., n° 222), au motif de l’immoralité de leur cause (subjectivement entendue). Cette évolution ne se cantonne pas aux seules libéralités consenties aux femmes enclines à monnayer leurs faveurs ; elle s’étend à de nombreuses conventions accompagnant ou favorisant la commission d’un adultère, dont la validité se voit également reconnue. En l’espèce, l’échec de la demande en annulation des contrats formée en première instance s’explique par le refus déjà exprimé par la Cour de cassation dans un arrêt fort remarqué d’annuler les contrats par lesquels des professionnels s’engagent à proposer à un conjoint « des rencontres en vue de la réalisation d’un mariage ou d’une union stable » (Civ. 1re, 4 nov. 2011, n° 10-20.114). Qu’elle profite à de simples particuliers ou à des professionnels, cette impunité est contestable. La Cour de cassation affirme en effet que « toute personne qui, en connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles qui pèsent sur lui commet une faute délictuelle à l’égard de la victime de l’infraction » (Com. 11 oct. n° 1971, n° 70-11.892; Com. 13 mars 1979, n° 77-13.518). Admettant ainsi conformément au principe d’opposabilité contractuelle que leur liberté puisse être limitée par des actes juridiques, quoiqu’ils leur soient étrangers, les tiers complices ne devraient donc pas pouvoir délibérément contribuer à la violation par contrat du devoir de fidélité sans s’exposer à des sanctions. En effet, il n’est pas cohérent de considérer que les tiers puissent être davantage affectés par des conventions ordinaires que par des contrats intégrant les normes matrimoniales qui, comme le relevait là encore la demanderesse au pourvoi, défendent des intérêts privés autant qu’ils soutiennent l’intérêt général, le mariage demeurant une institution sociale fondatrice de l’ordre public matrimonial. Alors que la validité des donations adultères s’explique probablement par une tolérance commandée par une évolution sociologique des mœurs tempérant la rigidité initialement associée au devoir, juridique autant que moral, de fidélité, celle des contrats de courtage matrimonial en ligne répond plus vraisemblablement à des considérations économiques : il s’agirait de ne pas mettre à mal la réussite économique de ces sites de rencontre en ligne que condamnerait l’annulation en cascade des contrats de courtage dont la conclusion est indispensable à leur activité. 

La décision rapportée entérine en tout cas cette évolution d’un amenuisement croissant du devoir de fidélité entre époux et l’enrichit, de surcroît, d’une motivation pour la première fois fondée sur la liberté d’expression, légitimant à ce titre le droit de promouvoir par voie publicitaire l’adultère, sans tenir compte des convictions religieuses des destinataires, par définition indifférenciés, de la publicité effectuée par ces sites dès lors qu’elle a été réalisée, telle qu’en l’espèce, sans excéder la mesure nécessaire à l’exercice de cette liberté, fondamentale dans une société démocratique, a fortiori laïque.

Références

■ TGI Brest, 9 juill. 1974 : D.1975. J 418 

■ Aix-en-Provence, 22 juin 1978 : D.1979. J 192

■ Civ. 2e, 5 juill. 2001, n° 99-21.445 P : D. 2002. 1318, obs. P. Delebecque ; AJ fam. 2001. 28, et les obs. ; RTD civ. 2001. 856, obs. J. Hauser ; ibid. 893, obs. P. Jourdain

■ Civ. 1re, 3 févr. 1999, n° 96-11.946 P D. 1999. 267, rapp. X. Savatier, note J.-P. Langlade-O'Sughrue ; ibid. 307, obs. M. Grimaldi ; ibid. 351, chron. C. Larroumet ; ibid. 377, obs. J.-J. Lemouland ; RTD civ. 1999. 364, obs. J. Hauser ; ibid. 383, obs. J. Mestre ; ibid. 817, obs. J. Hauser ; ibid. 892, obs. J. Patarin

■ Cass., ass. plén., 29 oct. 1994, n° 03-11.238 P D. 2004. 3175, note D. Vigneau ; ibid. 2005. 809, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2005. 23, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2005. 104, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 4 nov. 2011, n° 10-20.114 P D. 2012. 59, note R. Libchaber ; ibid. 840, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 971, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2011. 613, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2012. 93, obs. J. Hauser ; ibid. 113, obs. B. Fages

■ Com. 11 oct. n° 1971, n° 70-11.892 P

■ Com. 13 mars 1979, n° 77-13.518 P

 

Auteur :Merryl Hervieu


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