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[ 14 avril 2023 ] Imprimer

Contrats spéciaux

Mandat : portée à l’égard des tiers du détournement de pouvoir du mandataire

Même lorsque le mandataire détourne ses pouvoirs au détriment du mandant, les engagements qu’il a pris à l’égard du tiers obligent le mandant, sauf si le tiers avait connaissance de ce détournement de pouvoir, ou ne pouvait l’ignorer.

Civ. 1re, 29 mars 2023, n° 22-10.001 B

Le vendeur agissant par l’intermédiaire d’un mandataire est tenu de s’exécuter à l’égard de l’acquéreur et de livrer la chose promise, même lorsque le mandataire a détourné ses pouvoirs au détriment du mandant. Tel est l’enseignement de la décision rapportée.

En l’espèce, un vendeur avait donné mandat à une société de vendre un véhicule de luxe à un certain prix. L’intermédiaire s’étant rendu coupable d’abus de confiance et d’escroquerie au préjudice du vendeur et de l’acheteur, le véhicule avait été placé sous mains de justice. Alors que le juge d’instruction saisi du litige avait rejeté sa demande de restitution du véhicule en raison du conflit l’opposant au prétendu acheteur, qui revendiquait la propriété du véhicule, le vendeur obtint gain de cause devant la cour d’appel de Paris, selon laquelle le véhicule litigieux n’avait pas été vendu à l’acquéreur. Estimant au contraire la vente parfaite, et le mandant tenu d’exécuter les engagements contractés par son mandataire conformément au pouvoir qui lui avait été donné, le prétendu acquéreur forma un pourvoi en cassation. Se trouvait ainsi posée à la Haute juridiction la question de la prise en compte des intentions frauduleuses du mandataire pour apprécier la validité de la vente conclue dans un but frauduleux contraire aux intérêts du mandant.

Au visa des articles 1583 et 1998 du Code civil, la première chambre civile juge que le mandant reste tenu de livrer la chose promise à l’acquéreur par son intermédiaire même si ce dernier a détourné ses pouvoirs à son détriment, à moins que l’acquéreur ait eu connaissance de ce détournement de pouvoir ou ne pouvait l’ignorer. Or, pour juger que le véhicule n'avait pas été vendu à l’acquéreur, après avoir constaté qu'à la suite du mandat de vendre le véhicule conclu par le vendeur, l’acheteur justifiait avoir versé à son mandataire la somme convenue pour son acquisition, ce que l’intermédiaire n’avait pas contesté, la cour d’appel a retenu que la preuve de la volonté de vendre du mandataire n’était pas rapportée, les déclarations de ce dernier, rapportées à l’ensemble des opérations frauduleuses qu’il avait effectuées au préjudice de multiples propriétaires, consistant en de prétendues ventes dont il avait conservé les montants et revendu les biens qui en formaient l’objet, ne pouvaient s'analyser comme l'acceptation de livrer la chose au sens de l'article 1582 du Code civil. La Cour de cassation casse et annule la décision des juges parisiens qui, en statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de leurs constatations desquelles il résultait que le mandataire s'était engagé à vendre le véhicule à l’acheteur selon le prix fixé, peu important ses intentions réelles quant à la livraison, ont violé les textes susvisés.

La solution illustre parfaitement la singularité de ce contrat spécial qu’est le mandat. Régi par les articles 1984 à 2010 du Code civil, le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne pouvoir à une autre, le mandataire, de conclure en son nom et pour son compte un ou plusieurs actes juridiques avec un tiers. Caractérisé par le pouvoir donné par le mandant au mandataire d’accomplir un acte juridique à son nom et pour son compte, ce contrat repose sur la technique de la représentation. Par l’effet de cette représentation, l’exécution des engagements contractés envers un tiers par un mandataire, au nom et pour le compte de son mandant, incombe exclusivement à ce dernier : seul le mandant, simplement représenté par son mandataire, se trouve contractuellement engagé envers le tiers. L’article 1998 du Code civil dispose ainsi expressément que « le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné ». Ainsi, dès lors que le mandataire exécute sa mission dans le respect du pouvoir qui lui a été confié par son mandant, celui-ci est personnellement engagé envers le tiers contractant comme s’il avait lui-même directement contracté avec lui (Civ. 1re, 14 nov. 1978, n° 77-12.183 ; Civ. 3e, 21 mars 2019, n° 17-28.021). Consubstantielle au mandat, la représentation (parfaite) rend le mandataire « transparent » (P. Puig, Contrats spéciaux, Dalloz, 8e éd., n° 971, p.778) : il disparaît en effet de la scène juridique une fois sa mission accomplie, s’effaçant derrière son mandant, seul tenu de l’engagement contracté avec le tiers. En particulier, ce sont tous les actes accomplis par le mandataire qui s’imposent au mandant, qu’il s’agisse d’actes unilatéraux (réception, livraison de la chose), de documents probatoires, d’actes accessoires à la mission ou même d’actes fautifs passés par le mandataire dans le cadre de sa mission. Ainsi, le mandant est-il en principe tenu d’assumer non seulement toutes les suites conventionnelles des actes accomplis par le mandataire, mais également celles de son fait délictuel, dès lors qu’il a été commis à l'occasion de la mission lui ayant été confiée. Par exception toutefois, le mandant n’est pas engagé par les actes du mandataire. D’une part, le mandant n’est pas tenu d’exécuter les actes accomplis par son mandataire au-delà du pouvoir qui lui a été donné (Com. 26 mars 2008, n° 04-11.554) sous la réserve de tout ce qui a été exécuté conformément au mandat, auquel il reste tenu (Civ. 1re, 26 janv. 1999, n° 96-21.192). D’autre part, le mandant est libre d’exécuter les actes qui, bien qu’accomplis conformément au pouvoir qu’il a donné à son mandataire, procèdent d’une collusion frauduleuse entre ce dernier et le tiers : fraus omnia corrumpitContrairement au dépassement de pouvoir, le détournement de pouvoir implique de considérer, comme au cas d’espèce, que le mandataire a bien agi dans les limites de celui-ci mais en l’exerçant dans un but contraire aux intérêts de son mandant. Objectivement, le mandataire n’excède pas son pouvoir ; ce n’est que subjectivement qu’il commet une faute à l’égard du mandant (P. Puig, op.cit., n° 975). Ce dernier ne pourra toutefois s’en défendre et obtenir la nullité de la vente frauduleusement conclue qu’à la condition de démontrer que le tiers, en l’espèce l’acquéreur, « avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer » (comp. C. civ., art. 1156 al. 1er, sur la représentation : « sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations de ce dernier »). Autrement dit, la faute seule du mandataire ne permet pas au mandant de s’affranchir de son obligation d’exécuter les engagements, même frauduleux, contractés par le mandataire à l’égard d’un tiers qui ne savait rien des intentions réelles du mandataire.

La solution rapportée vient ainsi utilement compléter celle rendue en 2021 par la chambre mixte en faveur du mandant, dont la responsabilité en cas de dol exclusivement imputable au mandataire est exclue et la faute personnelle requise pour engager sa responsabilité, jadis retenue du seul fait fautif de son mandataire (Cass., ch. mixte, 29 oct. 2021, n° 19-18.470 : si le mandant est, en vertu de l’article 1998 du Code civil, contractuellement responsable des dommages subis du fait de l’inexécution des engagements contractés par son mandataire, le dol commis par le mandataire dans l’exercice de son mandat n’engage la responsabilité du mandant que s’il a personnellement commis une faute, qu’il incombe à la victime d’établir). Au mépris des intérêts du vendeur, ce sont ceux du tiers acquéreur, victime du mandataire, qui se voient ici protégés par le refus de remettre en cause la vente conclue malgré la fraude commise par l’intermédiaire.

Références : 

■ Civ. 1re, 14 nov. 1978, n° 77-12.183 P 

■ Civ. 3e, 21 mars 2019, n° 17-28.021  P : D. 2019. 583 ; ibid. 1358, chron. A.-L. Collomp, C. Corbel, L. Jariel et V. Georget ; RDI 2019. 288, obs. D. Noguéro ; RTD civ. 2019. 586, obs. H. Barbier.

■ Com. 26 mars 2008, n° 04-11.554 

■ Civ. 1re, 26 janv. 1999, n° 96-21.192 RTD com. 1999. 742, obs. B. Bouloc.

■ Cass., ch. mixte, 29 oct. 2021, n° 19-18.470 DAE, 16 nov. 2021, note M. Hervieu D. 2021. 2162, note S. Tisseyre ; ibid. 2022. 35, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; Rev. sociétés 2022. 154, note N. Mathey ; RTD civ. 2022. 116, obs. H. Barbier ; ibid. 141, obs. P. Jourdain ; ibid. 157, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2022. 91, obs. J. Moury.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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