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Droit de la responsabilité civile
Manquement au devoir d’information et indemnisation du préjudice fiscal
L’inexécution par le conseiller en gestion de patrimoine de son obligation d'information sur les caractéristiques essentielles, y compris les moins favorables, de l'opération de défiscalisation proposée à l’investisseur, ainsi que sur les risques qui lui sont associés, rend réparable le préjudice fiscal.
Com. 30 avr. 2025, n° 23-23.253
Un investisseur avait apporté des fonds à des sociétés en participation créées dans le cadre de deux programmes de défiscalisation. Ces programmes avaient été respectivement conçus par deux sociétés dont l’une, en qualité de conseiller en gestion de patrimoine, avait seule présenté le projet d’optimisation fiscale à l’investisseur. Il consistait dans l’apport de fonds destinés à l’acquisition, l’installation et la location de centrales photovoltaïques, puis dans l’imputation sur le montant de l’impôt sur le revenu des réductions d’impôts obtenues du fait de ces investissements, en application de l’article 199 undecies B du CGI. L’administration fiscale avait remis en cause les réductions escomptées de ces opérations et rappelé les sommes litigieuses en y appliquant des majorations et intérêts de retard. L’investisseur avait alors assigné en responsabilité contractuelle la société de conseil en gestion de patrimoine, soutenant notamment que celle-ci avait manqué, par l’insuffisance des informations fournies sur les risques de l’opération, à son obligation de lui fournir un investissement lui permettant d'obtenir l'avantage fiscal prévu. Tout en constatant la faute de la société en sa qualité de monteur de l’opération pour avoir délivré une attestation fiscale erronée, la cour d’appel écarta sa faute dans l’exécution de son devoir d’information en sa qualité de « commercialisateur » des programmes et limité en conséquence le montant de la réparation allouée à l’investisseur. Les juges du fond ont en effet estimé que la société de conseil en gestion de patrimoine avait donné à l’investisseur une information complète et suffisante sur l’ensemble de l’opération projetée dont, parmi les conséquences potentiellement défavorables, le risque de rectification fiscale qui s’est finalement réalisé. Devant la Cour de cassation, l’investisseur rappelait que si le paiement de l’impôt légalement dû ne constitue pas en principe un préjudice indemnisable, il en va autrement lorsque le contribuable établit que son préjudice fiscal résulte d’une faute commise par son conseiller en gestion de patrimoine, tenu à l’égard de son potentiel client, d’une obligation d’information étendue à un devoir de conseil et de mise en garde sur le produit et les services d’investissement qu’il propose. Or selon le demandeur au pourvoi, concernant la commercialisation du premier montage effectué par la société à l’origine de sa conception, la société de conseil aurait manqué à son devoir d’alerte sur les risques de l’opération de défiscalisation, qu’elle avait au contraire exclus dans le dossier de présentation qui lui avait été remis, mettant en avant le « risque zéro » pour les investisseurs du produit proposé. La Cour de cassation lui donne raison. Elle affirme, sur le fondement général de la responsabilité contractuelle (C. civ., art. 1147), que le conseiller en gestion de patrimoine est tenu, à l'égard de l'investisseur, d'une obligation d'information sur les caractéristiques essentielles, y compris les moins favorables, de l'opération proposée, ainsi que sur les risques qui lui sont associés. Pour rejeter toute responsabilité de la société de conseil au titre de la commercialisation du produit d’investissement litigieux, l'arrêt d’appel relève qu'en dépit d'une présentation flatteuse, l'ensemble des documents énoncent les caractéristiques du produit, son montage en son principe, les différentes phases de l'opération projetée mais aussi les risques de redressement fiscal dans les chapitres dédiés présentés comme le corollaire de l'avantage offert. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que les informations fournies faisaient clairement et complètement état des risques des opérations de défiscalisation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
De façon classique, on affirme que la responsabilité civile a vocation à réparer ou indemniser le dommage causé à autrui dont un intérêt légitime a été injustement lésé, ce qui explique le refus traditionnel de voir dans le paiement d’un impôt légalement dû un préjudice réparable (v. Point sur le préjudice fiscal, DAE, 28 juin 2024, note Merryl Hervieu) : par hypothèse, il n’y a rien d’injuste à devoir payer un impôt auquel on est légalement tenu. Convaincante en théorie, l’affirmation faiblit en pratique : Il n’est pas illégitime de confier la gestion de ses intérêts fiscaux à des professionnels spécialisés dans les investissements financiers, et même d’attendre de certains professionnels du droit (notaires, avocats) un devoir d’information, de conseil et de mise en garde sur les conséquences fiscales de certains actes. Or, lorsque les manquements de tels professionnels à leurs obligations, légales ou contractuelles, conduisent certains contribuables à payer un impôt ou des majorations d’impôt plus importants que ce à quoi ils auraient été tenus en présence d’une bonne exécution de leurs obligations, il semble difficile d’affirmer qu’il n’en résulte aucun préjudice indemnisable. Ces considérations expliquent que la jurisprudence apporte des limites au principe selon lequel le paiement d’un impôt légalement dû ne peut constituer un préjudice réparable : tel est le cas lorsque c’est par la faute de personnes à l’origine de la conception d’une opération de défiscalisation, ou mettant en œuvre ce projet, que les réductions d’impôts projetées n’aient pu avoir lieu (Civ. 2e, 30 mai 2024, n° 22-16.275, 22-18.666, 22-18.888). Tel est encore le cas lorsqu’un professionnel du droit a manqué à son obligation d’information ou de conseil entraînant des majorations pour le contribuable (v. par ex., sur le devoir de conseil du notaire, Civ. 1re, 20 déc. 2017, n° 16-13.073 ; v. spécifiquement, sur le caractère indemnisable des intérêts de retard dus à l’administration fiscale, Civ. 3e, 3 févr. 2021, n° 19-17.740) ou l’empêchant de renoncer à l’opération projetée (Civ. 1re, 15 janv. 2015, n° 14-10.256). À plus forte raison, un même manquement imputable à des professionnels spécialisés dans le conseil en investissements financiers, soumis à un devoir d’information renforcé, notamment sur les risques des placements proposés, rend indemnisable le préjudice fiscal résultant d’un tel manquement. Ainsi, le conseiller en gestion de patrimoine est tenu de proposer à ses clients des placements spécialement adaptés à leur situation et à leurs besoins, et de les informer des risques inhérents aux produits d’investissement qu’il propose de leur faire souscrire, notamment des risques de perte en capital. Le devoir de mise en garde mis à la charge de ce professionnel comporte un degré d’avertissement du client supérieur à l’obligation générale d’information et de conseil, lié au caractère spéculatif du produit proposé, qui justifie de mettre à sa charge l’obligation d’avertir son client des risques du marché. Dans le cas présent, faisant une application logique de cette limite au principe d’irréparabilité du préjudice fiscal, la Cour de cassation juge le préjudice subi par l’investisseur indemnisable dans la mesure où ce dernier n’a pas seulement payé le montant de l’impôt auquel il était tenu mais également versé des majorations et intérêts de retard, ce préjudice résultant directement d’un manquement du conseiller en gestion de patrimoine à son devoir d’information sur les caractéristiques défavorables du produit ainsi que sur les risques associés, délibérément minimisés par le conseiller qui a préféré insister sur la forte rentabilité de l’opération. Incomplète et partiale, l’information délivrée par le conseiller en gestion de patrimoine justifie de réparer, par exception au principe précité, le préjudice fiscal subi en conséquence par l’investisseur.
Références :
■ Civ. 2e, 30 mai 2024, n° 22-16.275, 22-18.666, 22-18.888
■ Civ. 1re, 20 déc. 2017, n° 16-13.073 : D. 2018. 8
■ Civ. 3e, 3 févr. 2021, n° 19-17.740 : J.-P. Tricoire, « Perte de chance de bénéficier d’un avantage fiscal, responsabilité du vendeur et étendue de la réparation », AJDI 2021. 787
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