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[ 16 décembre 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Méfiez-vous des portes de parking !

Quel est l’improbable point commun entre la manufacture royale des Gobelins transformée sous l’impulsion de Colbert, alors contrôleur général des finances de la France, et la porte automatique d’accès à un parking d’un immeuble ? Réponse pour le moins surprenante : la maintenance ! Cette activité qui visait, il y a quelques siècles déjà, la « retraiture » - c’est-à-dire la restauration – et qui a été contractualisée en 1988 (Contrat de maintenance, P. Le Tourneau, Rép. Dalloz dr. com., nov. 2019). 

Civ. 3e, 5 nov. 2020, n° 19-10.857

Nonobstant son essor suivi de son inévitable succès, dans les interventions sur les ascenseurs puis dans le domaine de l’informatique, la maintenance, sa nature, ses contours, ses effets, demeurent, encore de nos jours, par trop souvent méconnus.

Le contrat d’entretien, qui est un contrat d’entreprise visant à assurer le fonctionnement régulier des installations posées et la sécurité de ses usagers, inclut notamment des opérations de maintenance préventive (par ex., l’entretien régulier indépendant de toute panne) ou curative (par ex., la restauration à l’état antérieur ou le remplacement d’une pièce défectueuse).

Néanmoins, malgré son aspect faussement technique, la question qui se pose en réalité dans l’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 5 novembre 2020 réside essentiellement dans la détermination de la nature de l’obligation – de moyens ou de résultat – d’une société de maintenance en cas d’inexécution contractuelle

Il est l’occasion idoine de rappeler cette classification pertinente, inspirée des travaux de Demogue, qui a d’abord été proposée au début du XXe siècle par la doctrine, avant d’être en large partie entérinée par la jurisprudence, pour traiter de la charge de la preuve de la faute du débiteur, dépendant de la nature de l’obligation et de l’intensité de son engagement à l’endroit du créancier (Les obligations, Droit civil, F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, 12e éd. Dalloz, 2019, p. 7 s., 905 s.).

L’obligation de moyens, consiste donc pour le débiteur, à promettre au créancier de mettre en œuvre tous les moyens appropriés à sa disposition, aux seules fins d’obtention d’un résultat, sans cependant promettre celle-ci. Pour engager sa responsabilité, le créancier doit établir, au-delà de la preuve de l’inexécution de l’obligation, un lien de causalité entre cette inexécution et un manquement de l’autre partie à ses obligations de mise en œuvre, par référence à un modèle de conduite, autrefois présenté sous l’expression consacrée par le code civil en 1804 de « bon père de famille » et désormais remplacée par celle de « personne raisonnable » (V. Que sont-ils devenus, ces termes juridiques disparus?, Le saviez-vous ?, Dalloz Actu Étudiant, 30 oct. 2020). 

À l’obligation de moyens, s’oppose celle de résultat qui, telle un truisme, a pour objet de promettre de façon certaine un résultat déterminé au profit du créancier, en excluant la survenance d’un quelconque aléa ; l’obligation du débiteur est exécutée qu’une fois le résultat promis est atteint. Par le jeu de la présomption de faute qui pèse sur lui, la simple inexécution de sa part suffit à engager sa responsabilité contractuelle, sans que le créancier ait à établir la preuve d’une quelconque faute de son cocontractant.

En l’espèce, alors qu’il rentrait dans le parking de son immeuble, accessible par une porte automatique qui ne fonctionnait pas convenablement, un résident a tenté de la fermer manuellement de force lorsqu’un câble lui a sectionné une partie du poignet droit, entraînant de lourdes interventions chirurgicales ainsi qu’une très longue rééduction et l’empêchant de reprendre, entre autres, une activité professionnelle. 

S’en est ensuivie une procédure relativement longue et complexe, ponctuée d’opérations expertales, afin de déterminer les responsabilités de chacun et d’évaluer les différents dommages subis par la victime, qui a assigné l’assureur de l’immeuble, lequel a appelé en garantie la société chargée de la maintenance de la porte litigieuse. 

En cause d’appel, dans un arrêt réformant partiellement le jugement de première instance, les juges du fond ont cependant confirmé la mise hors de cause de la société de maintenance et rejeté la demande en garantie formée contre elle. Ils ont ainsi énoncé qu’il incombait à la société d’assurances « de rapporter la preuve d’un manquement de la société de maintenance à ses obligations, en lien avec l’accident survenu » à la victime avant de relever que, conformément à la réglementation, « il peut s’écouler six mois entre deux visites d’entretien et où, durant ces périodes, l’intervention de la société en raison d’un dysfonctionnement de tout ordre est conditionnée par le signalement du gardien », jugeant enfin que « l’obligation de sécurité pesant sur celle-ci ne peut être que de moyens s’agissant des avaries survenant entre deux visites et sans lien avec l’une de ces visites ».

À la suite d’un pourvoi formé par la société d’assurance, cet arrêt est cassé par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, qui rappelle, au visa de l’ancien article 1147 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 réformatrice du droit des contrats et dont les termes sont repris depuis, par l’article 1231-1 du Code civil), le régime juridique de la responsabilité contractuelle en présence d’une obligation de résultat : « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’obligation provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ». 

Reprochant aux juges du fond d’avoir violé les dispositions de cet article, la Haute juridiction écarte leur raisonnement et retient dans une formule brève « que celui qui est chargé de la maintenance d’une porte automatique d’accès à un parking est tenu d’une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité de l’appareil ».

Cette solution s’analyse au regard de la distinction entre les deux types d’obligations : à la différence de l’article 1137 ancien relatif à l’obligation de moyens, l’article 1147 ancien relatif à l’obligation de résultat admet la condamnation de la société débitrice du seul fait de l’inexécution du contrat ou du retard dans l’exécution, sans la démonstration d’une quelconque faute en lien avec le dommage. Pour s’en exonérer, il appartenait à cette dernière de justifier que l’obligation, provenant d’une cause étrangère, ne lui était pas imputable, ce qu’elle n’a pas été en mesure de faire.

Ce raisonnement est symptomatique de la tendance antérieure à l’ordonnance de 2016, lorsqu’était traditionnellement qualifiée la cause étrangère de « cas fortuit » ou de « force majeure » et qu’en pareille hypothèse, seule était prévue l’exonération de la responsabilité du débiteur. Il était par ailleurs lacunaire, selon une partie de la doctrine, en ce qu’il ne définissait que de manière sommaire les contours de la force majeure - aujourd’hui assurément composée du triptypque d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de l’événement « échappant au contrôle du débiteur qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées » (C. civ., art. 1218, al. 1er ibid, Les obligations, Droit civil, p. 809).

Au cas d’espèce, l’engagement de la responsabilité de la société de maintenance peut sembler particulièrement sévère alors qu’elle avait procédé à une visite complète d’entretien dans les quatre mois précédant l’accident, en conformité avec le délai légal instaurant un délai maximal de six mois. Cette solution, destinée à être appliquée, pour l’instant, à la seule obligation de sécurité de l’appareil, peut conduire – on le craint – au refus de ces sociétés, confrontées au risque d’engagement de leur responsabilité contractuelle, d’accepter certaines missions, notamment pour l’entretien des portes automatiques les plus anciennes et les moins fiables.

Or, n’est-ce pas inhérent au contrat d’entreprise, que de promettre un résultat, celui d’assurer à la fois la fiabilité attendue d’un tel équipement et la sécurité de ses utilisateurs pour empêcher la survenance de tout dommage corporel ? Si le débiteur d’une obligation de sécurité détient, en son pouvoir exclusif, tous les moyens, notamment en l’état actuel de la technique et de la technologie, lui permettant de garantir l’exécution convenue contractuellement sans la survenance d’un aléa spécial, son obligation ne peut être que de résultat.

Partant, la solution dégagée repose sur un souci de cohérence tant au regard des attentes des cocontractants et des utilisateurs que de la réglementation en vigueur relative aux obligations de sécurité, dont le caractère strict est à la hauteur de leur potentielle dangerosité en cas de graves dysfonctionnements (CCH, art. R. 125-3-1 à R. 125-5). Elle s’inscrit par ailleurs dans le prolongement de la jurisprudence relative à la maintenance - dans le domaine aérien (Versailles, 12e ch., 16 avr. 2019, no 18/00300), informatique (Versailles, 7 nov. 2002, sté KPMG c/ sté Sécurinfor) ou automobile (Civ. 1re, 4 mai 2012, no 11-13.598) - dont la tendance est de retenir principalement l’obligation de résultat incombant aux débiteurs professionnels, en l’absence de conventions contraires ou d’aléa.

Mais, c’est surtout de la maintenance pour les ascenseurs que le régime juridique de la maintenance pour les portes de garage automatiques d’un immeuble se rapproche le plus, dans la mesure où d’une part, la réglementation impérative y est également renforcée (CCH, art. R. 125-2 et R. 125-2-4), et d’autre part, qu’à la question posée sur la nature de l’obligation de maintenance, parfois assurée par les mêmes sociétés, la première (Civ. 1re, 15 juill. 1999, no 96-22.796) puis la troisième chambre civile (Civ. 3e, 1er avr. 2009, no 08-10.070) ont pareillement répondu par une obligation de résultat.

Références

■ Versailles, 12e ch., 16 avr. 2019, no 18/00300

■ Versailles, 7 nov. 2002, sté KPMG c/ sté Sécurinfor : RJDA 2003, n° 378

■ Civ. 1re, 4 mai 2012, no 11-13.598 P : D. 2012. 1265 ; RTD civ. 2012. 531, obs. P. Jourdain

■ Civ. 1re, 15 juill. 1999, no 96-22.796 P

■ Civ. 3e, 1er avr. 2009, no 08-10.070  P: D. 2009. 1083, obs. D. Chenu ; ibid. 2573, chron. A.-C. Monge et F. Nési ; ibid. 2010. 1168, obs. N. Damas ; AJDI 2009. 701, obs. F. de La Vaissière ; RTD civ. 2009. 539, obs. P. Jourdain

 

Auteur :Anne Renaux


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