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[ 12 octobre 2017 ] Imprimer

Procédure pénale

Non bis in idem : double poursuite devant le Conseil des marchés financiers et le tribunal correctionnel

Mots-clefs : Non bis in idem, Double poursuite, Conseil des marchés financiers, Tribunal correctionnel

Alors que la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 est récemment venue réformer le système de répression des abus de marché, en organisant la compétence de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et du parquet national financier, voici le « spectre » de non bis in idem qui ressurgit à la faveur d’une affaire dans laquelle était intervenu feu le Conseil des marchés financiers (précisément fondu dans l’AMF depuis 2003).

En l’espèce, deux individus avaient été sanctionnés, le 26 septembre 2001, par le Conseil des marchés financiers pour des manquements à leurs obligations professionnelles édictées par son Règlement général, le Conseil d’État ayant confirmé cette décision par un arrêt du 19 mars 2003 (n° 240718). Parallèlement, une information judiciaire avait été ouverte, le 27 janvier précédent, pour ces mêmes opérations frauduleuses de placement. Renvoyés devant le tribunal correctionnel, les prévenus avaient été condamnés pour escroquerie mais relaxés des chefs de faux et usage de faux par un jugement en date du 29 novembre 2013. Puis la cour d’appel de Versailles, le 3 juillet 2015, avait constaté l’extinction de l’action publique au motif que les prévenus avaient déjà été définitivement sanctionnés par le Conseil des marchés financiers pour les mêmes faits donnant lieu aux poursuites devant la juridiction pénale. 

Statuant sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d’appel et la partie civile, la chambre criminelle casse et annule cet arrêt, renvoyant la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris. Au visa de l’article 4, § I du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, « ensemble des déclarations et réserves accompagnant l’instrument de ratification de ce protocole par la France », la Haute Cour estime que « l’interdiction d’une double condamnation en raison des mêmes faits prévue par ce texte ne trouve à s’appliquer, selon les réserves susvisées, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale », de sorte que, selon elle, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée de ce texte et de ce principe puisque « le Conseil des marchés financiers n’est pas une juridiction pénale au sens de la réserve susvisée ». 

La maxime non bis in idem ou ne bis in idem (« pas deux fois pour la même chose ») désigne l’interdiction d’engager des poursuites envers une personne qui a déjà fait l’objet d’une décision définitive à propos des mêmes faits. Elle est consacrée par plusieurs conventions internationales auxquelles la France est partie (dont l’art. 4 du protocole additionnel n° 7 à la Conv. EDH) et se trouve prévue à l’article 6 du Code de procédure pénale (qui fait de la chose jugée une cause d’extinction de l’action publique). L’article 4 du protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne, en particulier, dispose que « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État ». Toutefois la France a assorti sa ratification d’une réserve limitant le champ d’application de ces dispositions aux seules infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale. C’est ce qui explique la solution de la chambre criminelle qui admet donc le cumul de poursuites pénales et boursières (Comp., pour le cumul de poursuites pénales et disciplinaires, Crim. 27 juill. 2016, n° 16-80.694).

On pourrait cependant objecter à cette conception très restrictive de non bis in idem, l’interprétation beaucoup plus large de la Cour européenne, qui considère que le principe doit s’appliquer aux poursuites visant des faits identiques, quel que soit l’organe ayant statué. Dans son arrêt Grande Stevens, elle avait d’ailleurs écarté la réserve italienne, rédigée en des termes analogues, et considéré que des faits déjà poursuivis par l’autorité régulatrice des marchés financiers ne pouvaient plus l’être devant les juridictions pénales (CEDH 4 mars 2014 CEDH, n° 18640/10 ). La solution adoptée par la chambre criminelle paraît d’autant plus critiquable que la Cour de Strasbourg a aussi déjà, dans un arrêt Didier de 2002 (CEDH 27 août 2002, 58188/00), expressément qualifié le Conseil des marchés financiers de « tribunal » au sens des articles 6 de la Convention (droit à un procès équitable) et 2 du protocole additionnel n° 7 (droit à un double degré de juridiction en matière pénale). Ainsi il ne fait guère de doute que la qualification de « juridiction » serait également retenue dans le cadre de l’application des dispositions de l’article du même protocole …  

Crim. 13 sept. 2017, n° 15-84.823

Références

■ Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950

Article 6

« Droit à un procès équitable.  1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à:

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »

■ Protocole n° 7 du 22 novembre 1984 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Article 2 

« Droit à un double degré de juridiction en matière pénale. 1. Toute personne déclarée coupable d'une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation. L'exercice de ce droit, y compris les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi.

2. Ce droit peut faire l'objet d'exceptions pour des infractions mineures telles qu'elles sont définies par la loi ou lorsque l'intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d'un recours contre son acquittement. »

Article 4 

« Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois.  1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.

2. Les dispositions du paragraphe précédent n'empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l'État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3. Aucune dérogation n'est autorisée au présent article au titre de l'article 15 de la Convention. »

■ Sur la L. n° 2016-819 du 21 juin 2016, V. RSC 2016. 316, obs. A. Bellezza ; ibid. 2016. 467, obs. N. Catelan.

■ V. aussi le Décr. n° 2016-1121 du 11 août 2016, Dalloz actualité, 9 sept. 2016, obs. X. Delpech.

■ CE 19 mars 2003, Hannoun, n° 240718 : Lebon ; D. 2004. 1804, obs. S. Thomasset-Pierre ; RSC 2004. 118, obs. J. Riffault-Silk.

■ Crim. 27 juill. 2016, n° 16-80.694 P: Dalloz Actu Étudiant, 3 oct. 2016 ; D. 2016. 2424, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, L. Miniato et S. Mirabail ; Dr. soc. 2017. 145, étude R. Salomon.

■ CEDH 4 mars 2014, Grande Stevens et a. c/ Italie, n° 18640/10 : D. 2015. 1506, obs. C. Mascala ; Rev. sociétés 2014. 675, note H. Matsopoulou ; RSC 2014. 110, obs. F. Stasiak ; ibid. 2015. 169, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2015. 235, obs. L. d’Ambrosio et D. Vozza.

■ CEDH 27 août 2002, Didier c/ France, n° 58188/00.

 

Auteur :S. L.


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