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[ 18 février 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Novation : c’est l’intention qui compte !

Si l'intention de nover ne suppose pas la volonté expresse des parties d’y procéder, celle-ci doit néanmoins résulter clairement de l’acte.

Civ. 3e, 12 janv. 2022, n° 20-13.370

S’il n'est pas nécessaire qu'elle soit exprimée en termes formels, dès lors qu'elle est certaine, l'intention de nover ne se présume pas. Telle est la règle légale et rigoureusement appliquée par la jurisprudence que vient rappeler, dans la décision rapportée, la troisième chambre civile de la Cour de cassation à propos d’une demande tendant à faire reconnaître la novation d’un bail rural. 

Par acte du 26 février 1998, l’associé d’un groupement agricole d'exploitation avait donné à bail à ferme d’un ensemble de parcelles et de bâtiments d'exploitation. La même année, après avoir fait valoir ses droits à la retraite, ce dernier avait cédé ses parts au preneur rural. Dix ans plus tard, après le départ du fils de bailleur, dont il était l’associé, le preneur rural avait, en association avec son propre fils, poursuivi l'activité au sein d’un nouveau groupement d'exploitation. L’année suivante, par acte du 23 mai 2009, le bailleur et son épouse avaient à nouveau consenti à l’exploitant un bail à ferme sur plusieurs parcelles. Après qu’un jugement du 11 février 2016 eut ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard du groupement d’exploitation, le bailleur et son épouse, usufruitiers, et leurs enfants, nus-propriétaires, avaient délivré au preneur un congé pour reprise d'exploitation au profit du fils jadis associé du bailleur. Contestant la régularité de ce congé, le preneur en avait sollicité l’annulation, et demandé à poursuivre l’exécution de la convention initiale. Pour rejeter sa demande principale en annulation du congé, visant le dernier bail conclu, et sa demande complémentaire relative à la poursuite du premier, la cour d’appel estima que le dernier bail s'était substitué au premier par l’effet d’une novation tacitement convenue entre les parties, et dit que le congé délivré, visant le bail le plus récent, l’avait été régulièrement. La conclusion de ce nouveau bail se substituant au premier et y mettant fin, les demandes du preneur devaient ainsi être rejetées. 

Devant la Cour de cassation, le preneur congédié rappelle que la volonté de nover ne se présume pas et doit résulter clairement de l'acte, ce qui n’était pas en l’espèce le cas, la cour d'appel ayant elle-même constaté que le second bail du 23 mai 2009 ne faisait aucune référence ni renvoi au bail du 26 février 1998 et caractérisé l’intention tacite de nover des parties à partir d’éléments impropres à traduire la volonté claire et non équivoque des parties de nover, notamment l'identité des parties, la confusion de certaines parcelles entre les baux, la concomitance du retrait du fils du groupement d’exploitation avec la signature du second bail qui, en outre, ne mentionnait pas la subsistance d’un fermage concernant les parcelles non reprises, également, l’absence de réclamation au titre du premier bail à partir de la conclusion du plus récent.

Son argumentaire prospère devant la Cour de cassation rappelant, selon l'article 1273 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que « la novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte ». Or en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel, tout en relevant l'absence de manifestation claire de volonté des parties de mettre fin au premier bail, le deuxième contrat ne faisant aucune référence ou renvoi explicite à celui-ci, a violé le texte susvisé.

Convention par laquelle les parties éteignent une obligation pour la remplacer par une autre, la novation requiert la réunion de trois conditions : une obligation ancienne à éteindre, une obligation nouvelle à créer et l'intention de nover, l’animus novendi (C. civ., art. 1329 s. nouv.). Le problème soulevé par cette affaire avait trait à la caractérisation de cette troisième condition. La novation ne se présume point, mais la volonté de l'opérer, si elle résulte clairement de l'acte, suffit. La règle ici rappelée, selon laquelle il n’est pas nécessaire que la novation soit exprimée en termes formels dès l’instant où elle est dépourvue d’ambiguïté, est ancienne et constante (Civ. 3e, 5 févr. 1971, n° 69-12.416 ; Civ. 3e, 15 janv. 1975, n° 73-13.331 ; Civ. 3e, 19 oct. 2017, n°16-22.608).

Régulièrement rappelée par le juge, cette règle d’origine prétorienne trouve également une assise légale. La formule identique de l'ancien article 1273 et de l'article 1330, en vigueur depuis le 1er octobre 2016 du code civil, selon laquelle la novation, dont la présomption est proscrite, « doit résulter clairement de l'acte », ne revient pas à requérir l’expression formelle et expresse de l'animus novandi, telle que l'utilisation du terme, dans l’acte, de novation. La loi n'exige donc aucune manifestation explicite de volonté d’opérer une novation. Il suffit, en effet, si elle existe, que la volonté de nover puisse être démontrée sans équivocité, ce qui revient aux juges du fond d’apprécier, souverainement (Civ. 1re, 25 mai 1976, n° 73-11.392). La souplesse de cette absence de formalisme n’évince donc pas la nécessité de caractériser l’intention, même tacite, de nover, qui doit pouvoir être identifiée avec certitude, d’où la méticulosité du contrôle opéré par les hauts magistrats, dont témoigne la décision rapportée. Ainsi, en l’absence de volonté claire et univoque des parties de mettre fin au premier bail, à propos duquel le second ne comportait aucune mention explicite, la décision des juges du fond encourait la cassation. Au contraire de ce que la loi exige, l'intention de nover n'était donc pas exprimée dans l’acte, le second bail étant resté muet sur ce point. Il est toutefois à noter que si l'intention de nover ne ressort pas clairement de l'acte emportant novation, les juges du fond peuvent encore la rechercher dans l’ensemble des éléments versés au débat, appréciant les circonstances de fait ou de droit ayant entouré l’opération contractuelle effectuée pour en déduire l’éventuelle intention novatoire des parties laquelle peut résulter, à condition d’être sans équivoque, de l’ensemble « des faits et actes intervenus entre les parties » (Com. 31 janv. 1983, n° 81-16.027 ; Civ. 1re, 11 févr. 1986, n° 84-15.849). Aussi le juge peut-il se convaincre, sur la base d’éléments concordants à établir une volonté de nover partagée avec son cocontractant, que le débiteur se trouve libéré du fait de la novation, attestant qu’il a contracté envers son créancier une nouvelle obligation, substituée à l'ancienne, en conséquence éteinte. Or en l’espèce, au-delà du contenu du second bail, dont ne ressortait aucune intention novatoire, aucun autre élément de fait ou de droit propre à établir cette intention n’avait pu être par ailleurs relevé : non seulement l’absence de certaines stipulations (sur la subsistance d’un fermage ou la survivance du premier bail, innommé dans le second ainsi que dans le congé délivré), prise en compte en appel pour la caractériser, n’était pas significative, mais l’ensemble des circonstances ayant entouré la conclusion du dernier bail étaient en outre insuffisantes à établir la volonté des parties de mettre fin au premier, en sorte que l’intention des parties de nover la convention qu’elles avaient conclue ne pouvait être caractérisée. Ainsi, un protocole d’accord consécutif au départ du fils du bailleur, suivi d’un courrier échangé entre ce dernier et le preneur, rédigés à l’effet de réviser les baux en cours au regard de cette situation nouvelle, traduisaient un simple renouvellement des conditions d’exploitation des parcelles données à bail. Or cette volonté de réviser les modalités d’exécution des baux n’équivalait pas à celle de conclure un nouveau bail se substituant au premier auquel les parties auraient, « clairement », voulu mettre un terme (sur l’impossibilité de déduire une novation de la révision des modalités d’exécution contractuelle, v. égal. Civ. 1re, 2 déc. 1997, n° 95-21.315). Le bail rural de 2009 n’était donc pas un nouveau bail remplaçant celui conclu en 1998. Ainsi, en même temps que le congé litigieux, jugé irrégulier par la Cour au regard du formalisme requis par le code rural, justifiait d’être annulé, la demande complémentaire du preneur relative à la poursuite du bail de 1998 devait être également, en l’absence de novation, accueillie.

Références :

■ Fiche d’orientation Dalloz : Novation

■ Civ. 3e, 5 févr. 1971, n° 69-12.416

■ Civ. 3e, 15 janv. 1975, n° 73-13.331

■ Civ. 3e, 19 oct. 2017, n° 16-22.608DAE 24 nov. 2017, note Merryl HervieuAJ contrat 2018. 40, obs. V. Forti

■ Civ. 1re, 25 mai 1976, n° 73-11.392, P

■ Com. 31 janv. 1983, n° 81-16.027

■ Civ. 1re, 11 févr. 1986, n° 84-15.849, P

■ Civ. 1re, 2 déc. 1997, n° 95-21.315D. 1998. 549, note C. Caron ; RTD civ. 1998. 377, obs. J. Mestre

 

Auteur :Merryl Hervieu

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