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[ 26 juin 2018 ] Imprimer

Procédure pénale

Obligation de motivation : les contraventions aussi !

La juridiction qui prononce une peine d'amende, y compris en matière contraventionnelle, doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité́ et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges.

Après les peines prononcées en matière délictuelle (Crim. 1er févr. 2017, nos 15-83.984, 15-84.511 et 15-85.199 ; confirmé par Crim. 15 mars 2017, n° 16-83.838) et criminelle (Cons. const. 2 mars 2018, M. Ousmane K. et autres, n° 2017-694 QPC), la chambre criminelle impose une obligation de motivation des peines d’amende infligées en matière contraventionnelle. 

En l’espèce, un automobiliste avait été intercepté à proximité d’un rond-point et fait l’objet d’un procès-verbal de contravention pour conduite d’un véhicule à une vitesse excessive eu égard aux circonstances. Après avoir formé une requête en exonération de l’amende forfaitaire qui lui avait été notifiée, il avait été poursuivi devant la juridiction de proximité alors compétente. Par jugement du 28 juin 2016, celle-ci l’avait reconnu coupable et condamné à une amende de 135 euros. 

Dans son pourvoi, le prévenu contestait la caractérisation de l’infraction et l’absence de motivation de la peine d’amende qui lui avait été infligée. Dans son arrêt, la chambre criminelle estime d’abord, sur le premier moyen, que la juridiction de proximité a justifié sa décision sur le fond de la prévention dès lors qu’elle a relevé que l’intéressé avait pris le rond-point qui jouxtait des habitations et un supermarché à vive allure, ce qu’il avait d’ailleurs reconnu dans le procès-verbal établi par les policiers. La Haute cour estime ainsi que « ces énonciations caractérisent les circonstances permettant de dire que la vitesse était excessive au regard d’une ou plusieurs circonstances visées par le paragraphe II de l’article R. 413-17 du code de la route ». 

L’article R. 413-17 du Code de la route, dans son paragraphe I, rappelle que les vitesses maximales autorisées ne s'entendent que dans des conditions optimales de circulation, et le paragraphe II liste onze circonstances dans lesquelles la vitesse doit être réduite. La jurisprudence relative au défaut de maîtrise de la vitesse est abondante, et il en résulte notamment que les agents verbalisateurs n’ont pas nécessairement à établir la vitesse du véhicule à l’aide d’un appareil homologué pour que l’infraction soit constituée (Crim. 29 sept. 1999, n° 99-80.136). Il appartient aux juges de rechercher si l’automobiliste aurait dû réduire sa vitesse au regard des circonstances particulières de circulation (pour une hypothèse de visibilité réduite, V. par ex. Crim. 18 déc. 1984, no 82-92.034 ; V. Rép. pén. Dalloz, vo Circulation routière, par P. Pélissier, nos 334 s.). Sur ce point, la solution adoptée dans cet arrêt est donc parfaitement classique. 

En revanche, sur le second moyen, qui justifie le lettrage de l’arrêt, la chambre criminelle énonce pour la première fois « qu'en application des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, 485, 543 et 593 du code de procédure pénale et des principes constitutionnels tels que dégagés dans la décision no 2017-694 QPC du 2 mars 2018, la juridiction qui prononce une peine d'amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges » et que « cette obligation de motivation s'applique en matière contraventionnelle ». Elle choisit cependant de moduler les effets dans le temps de cette nouvelle solution en précisant que cette interprétation de textes de procédure « ne s’appliquera qu’aux décisions prononcées à compter du présent arrêt ». Cela étant, elle rejette tout de même le moyen – et le pourvoi – dès lors qu’en l’espèce, « le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que le jugement attaqué ne contient aucun motif relatif à l’amende de 135 euros prononcée, dès lors que celle-ci correspond à l’amende forfaitaire qui aurait été due si l’intéressé n’avait pas formulé de requête en exonération et ne pouvait, en application de l’article 530-1 du code de procédure pénale, être inférieure ». 

On rappellera que l’amende forfaitaire est une procédure sommaire qui concerne certaines contraventions seulement (V. C. pr. pén., art. 529 s. ). Elle consiste pour le contrevenant à payer le montant de l’amende dans un délai de 45 jours ou à former une requête en exonération auprès du ministère public. Passé ce délai, l’amende est automatiquement majorée et le contrevenant dispose alors d’un nouveau délai de 45 jours soit pour payer soit pour former une réclamation motivée auprès du ministère public. Comme le rappelle la chambre criminelle ici, dans l’hypothèse où, après une requête en exonération ou une réclamation, le ministère public décide de renvoyer le contrevenant devant une juridiction pénale, la juridiction saisie est alors tenue de respecter une peine plancher (qui ne peut être inférieure au montant de l’amende forfaitaire prévue pour la contravention contestée ou au montant de l’amende forfaitaire majorée dans les cas où le contrevenant ne se serait pas acquitté de l’amende initiale dans les délais impartis et les conditions requises ; V. C. pr. pén., art. 530-1, al. 2,  ; V. Rép. pén. Dalloz, vo Amende forfaitaire, par J.-P. Céré, no 27). 

La présente solution, qui consacre une extension de l’obligation de motivation à l’amende contraventionnelle, contribue à rendre l’édifice jurisprudentiel cohérent en matière de motivation de la peine. Ainsi, quelle que soit la matière, et quelle que soit la nature de la peine, celle-ci doit être motivée au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité́ et de la situation de l’auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges, conformément au principe d’individualisation. 

Crim. 30 mai 2018, n° 16-85.777 P

Références

■ Crim. 1er févr. 2017, nos 15-83.984 P, 15-84.511 P et 15-85.199 P : Dalloz actu étudiant, 2 mars 2017, obs. S. L. ; Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. C. Fonteix ; D. 2017. 961 , note C. Saas. 

■ Crim. 15 mars 2017, n° 16-83.838 P : Dalloz actualité, 7 avr. 2017, obs. C. Benelli-de Bénazé  D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire.

■ Cons. const. 2 mars 2018, M. Ousmane K. et autres, n° 2017-694 QPC, Dalloz actu étudiant, 23 mars 2018, obs. C. Lacroix ; AJ pénal 2018. 192, note A.-G. Robert ; D. 2018. 1191, note A. Botton.

■ Crim. 29 sept. 1999, n° 99-80.136: D. 2000. 374, note J.-P. Céré. 

■ Crim. 18 déc. 1984, no 82-92.034 P. 

■  Rép. pén. Dalloz, vo Amende forfaitaire, par J.-P. Céré.

 

Auteur :Sabrina Lavric


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