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[ 23 mars 2018 ] Imprimer

Procédure pénale

Motivation de la peine dans les arrêts de cour d'assises : la censure du Conseil constitutionnel

Mots-clefs : QPC, Conseil constitutionnel, Cour d’assises, Non-conformité, Censure, Motivation de la peine

L’absence d’obligation pour les cours d’assises de motiver les peines qu’elles prononcent est contraire à la Constitution.

Le débat sur la motivation des arrêts de cours d'assises n’en finit pas de ressurgir. Le contentieux à ce sujet avait débuté devant la Cour européenne des droits de l’homme laquelle a fini par admettre que « la non motivation du verdict d’un jury populaire n’emporte pas, en soi, violation du droit de l’accusé à un procès équitable » (CEDH, gr. ch., 16 novembre 2010, Taxquet c/ Belgique, n° 926/05, § 93) dès lors que l’accusé a pu « bénéficier de garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d'arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation ». L’existence de telles garanties font l’objet d’une appréciation in concreto (CEDH 10 janv. 2013, Agnelet c/ France, n° 61198/08 et CEDH 10 janv. 2013, Legillon c/ France, n° 53406/10). Une telle solution n’est pas cantonnée au cour d’assises composée d’un jury populaire mais s’étend aux cours d’assises spécialement composée c’est-à-dire non pas avec la participation d’un jury populaire, mais constituée uniquement de magistrats professionnel (CEDH Ramda c/ France, 19 déc. 2017, n° 78477/11).

En France, le Conseil constitutionnel avait également reconnu que l’absence de motivation explicite des arrêts d’assises n’est pas contraire à la Constitution dans la mesure où la Constitution ne confère pas à une telle obligation « un caractère général et absolu », mais qu’il ne peut y être dérogé « qu’à la condition que soient instituées par la loi des garanties propres à exclure l’arbitraire » (1er avr. 2011, n° 2011-113/115 QPC). Malgré ce brevet de constitutionnalité, le législateur a inséré un article 365-1 dans le Code de procédure pénale prévoyant que le président de la cour ou l'un de ses assesseurs devra motiver l'arrêt. Il s'agira d'énoncer les « principales raisons, qui pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises » (L. n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale). 

Le débat sur la motivation des arrêts d’assises refleurit sous un nouvel angle : la motivation de la peine. En effet, l’exigence de motivation de la décision sur la culpabilité instaurée par le législateur ne s’étend pas à la motivation des peines prononcées. À plusieurs reprises, la Cour de cassation avait estimé que « en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent » (Crim. 8 févr. 2017, n° 15-86.914 ; 16-80.389 ; 16-80.391 ; Crim. 11 mai 2017, n° 16-83.327 ; Crim. 28 juin 2017, n° 16- 85.904). Une telle position a pour le moins de quoi surprendre, puisque dans le même temps, la chambre criminelle impose aux juridictions correctionnelles, au visa de l’article 132-1 du Code pénal qui consacre explicitement le principe d’individualisation des peines depuis sa modification par la loi du 15 août 2014, une exigence générale de motivation qui s’applique à toutes les peines principales et complémentaires (Crim. 1er févr. 2017, nos 15-83.984, 15-84.511 et 15-85.199). 

Si, en 2013, la chambre criminelle avait refusé de renvoyer une première QPC (Crim. 29 mai 2013, n° 12-86.630), elle accepte finalement de renvoyer cette question relative à l'absence de motivation de la peine dans les arrêts des cours d'assises devant le Conseil constitutionnel (Crim. 13 déc. 2017, n° 17-82.086 17-82.237 17-82.858).

Ce dernier, reconnaissant un changement de circonstances, est conduit à réexaminer le deuxième alinéa de l’article 365-1 du Code de procédure pénale, dont les dispositions sont relatives à l’étendue de l’exigence formelle de motivation des arrêts de cour d’assises. La disposition succombe à l’analyse des sages lesquels reconnaissent une obligation de motivation des jugements et arrêts de condamnation à caractère général en matière pénale, qui s’impose tant pour la culpabilité que pour la peine. 

■ La recevabilité de la QPC

L’article 365-1 du Code de procédure pénale avait déjà été déclaré conforme à la Constitution dans la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-635 DC du 4 août 2011. Le réexamen devait donc résulter de « changement de circonstances », « de droit ou de fait », (V. par ex. le réexamen du régime de droit commun de la garde à vue, décision n° 2010-14/22 QPC du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010) qu’admet ici le Conseil. La réalité du changement de circonstances tient ici à deux éléments : les décision de la Chambre criminelle de février 2017 affirmant que les dispositions de l’article 365-1 du Code de procédure pénale interdisent à la cour d’assises de motiver la peine qu’elle prononce en cas de condamnation et la modification de l’article 362 alinéa 1er du Code de procédure pénale modifié par la loi du 15 août 2014. Désormais, en cas de réponse affirmative sur la culpabilité, le président de la cour d’assises donne lecture aux jurés des articles 130-1 et 132-1 du Code pénal, qui rappellent les finalités de la peine et la nécessité d’individualiser celle-ci.

Ces changements de circonstances justifient, pour le Conseil, le réexamen de la disposition contestée et le conduisent à la censurer, tout en laissant le temps au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité.

■ La censure

Le deuxième alinéa de l’article 365-1 du Code de procédure pénale est déclaré contraire aux articles 78 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Pour parvenir à cette conclusion, le Conseil constitutionnel se fonde sur deux exigences classiques mais, et c’est là tout l’intérêt de cette décision, opère un lien entre elles qu’il n’avait pas fait jusque-là. 

Les sages rappellent ainsi d’abord que l’obligation de motivation découle de l'exigence constitutionnelle d'exclusion de l'arbitraire puis réaffirment l’exigence constitutionnelle d’individualisation des peines fondée sur l’article 8 de la Déclaration de 1789 (sur ce sujet V. Peltier, l’individualisation de la peine dans les décisions liées aux QPC, RD pén. crim. 2011, ét. 4, p. 13). Ils en déduisent de manière nouvelle que «ces exigences constitutionnelles imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine » (§ 8). 

La décision du Conseil constitutionnel a le mérite de mettre fin au contraste injustifié entre la motivation en matière criminelle et celle en matière correctionnelle oscillant entre absence et obligation renforcée (Muriel Giacopelli, « Vers une généralisation de l’exigence de motivation en droit de la peine ? », D. 2017. 931).

■ Le report dans le temps de l’abrogation

Le Conseil reporte au 1er mars 2019 l’abrogation du deuxième alinéa de l’article 365-1 du Code de procédure pénale en indiquant que l'abrogation immédiate entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Il est vrai que l’éviction de la disposition en l’absence de modulation de ses effets, aurait pour effet de «supprimer les modalités selon lesquelles, en cas de condamnation, la motivation d'un arrêt de cour d'assises doit être rédigée en ce qui concerne la culpabilité ».

Mais, afin de faire cesser l’inconstitutionnalité à compter de la publication de la décision, le Conseil constitutionnel assortit le report de l’abrogation d’une réserve transitoire selon laquelle l’article 365-1, alinéa 2 du Code de procédure pénale doivent être interprétées « comme imposant également à la cour d’assises d’énoncer, dans la feuille de motivation, les principaux éléments, l’ayant convaincue dans le choix de la peine » (§ 13). Si l’édiction d’une réserve d’interprétation en cas de report dans le temps d’une disposition inconstitutionnelle est une technique classique afin d’éviter qu’une inconstitutionnalité ne perdure, la modulation dans le temps de la date de prise d’effet de cette réserve est plus originale. Le Conseil précise en effet que l’obligation d’énoncer dans la feuille de motivation les éléments relatifs à la peine ne s’impose que pour les arrêts de cour d’assises rendus à l’issue d’un procès ouvert à la date de publication de sa décision. En revanche, les arrêts de cour d’assises rendus en dernier ressort avant la publication de sa décision et ceux rendus à l’issue d’un procès ouvert avant la même date, ne pourront être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité (§ 14). 

A charge, pour la chambre criminelle, maintenant de faire respecter cette réserve.

Cons. const. 2 mars 2018, M. Ousmane K. et autres, n° 2017-694 QPC

Références

■ CEDH, gr. ch., 16 nov. 2010, Taxquet c/ Belgique, n° 926/05 : Dalloz Actu Étudiant 26 nov. 2010 ; D. 2011. 47, note J.-F. Renucci ; ibid. 48, note J. Pradel ; AJ pénal 2011. 35, obs. C. Renaud-Duparc.

■ CEDH 10 janv. 2013, Agnelet c/ France, n° 61198/08 et CEDH 10 janv. 2013, Legillon c/ France, n° 53406/10 : Dalloz Actu étudiant, 22 janv. 2013 ; RSC 2013. 109, note Danet ; ibid. 158, obs. J.-P. Marguénaud ; D. 2013. 615, note J.-F. Renucci ; AJ pénal 2013. 336, note C. Renaud-Duparc.

■ CEDH Ramda c/ France, 19 déc. 2017, n° 78477/11, Dalloz Actu Étudiant, 18 janv. 2018, note C. Lacroix ; D. 2018. 11.

■ Cons. const. 1er avr. 2011, M. Xavier P. et autre, n° 2011-113/115 QPC : Dalloz Actu Étudiant, 14 avr. 2011 ; D. 2010. 1154, note Mastor et de Lamy; ibid. 1156, note Perrier; Constitutions 2011. 361, chron. Cappello ; GAPP, 7e éd. 2011, n° 42 ; AJ pénal 2011. 243, obs. Perrier ; RSC 2011. 423, obs. Danet.

■ Crim. 8 févr. 2017, n° 15-86.91416-80.389 et 16-80.391 Dalloz Actu Étudiant, 2 mars 2017.

■ Crim. 11 mai 2017, n° 16-83.327 P.

■ Crim. 28 juin 2017, n° 16- 85.904 P.

■ Crim. 1er févr. 2017, nos 15-83.98415-84.511 et 15-85.199 Dalloz Actu Étudiant, 2 mars 2017 ; D. 2017. 961, note Saas; AJ pénal 2017. 175, note Dreyer.

■ Crim. 29 mai 2013, n° 12-86.630 P : D. 2013. 2779 ; AJ pénal 2014. 81, obs. P. de Combles de Nayves 

■ Crim. 13 déc. 2017, n° 17-82.086, 17-82.237 et 17-82.858.

■ Cons. const. 4 août 2011, n° 2011-635 DC : Dalloz Actu Étudiant, 29 août 2011 ; D. 2011. 2042 ; RSC 2011. 728, chron. Lazerges ; ibid. 847, obs. Robert ; ibid. 2012. 227, chron. de Lamy.

■ Cons. const. 30 juill. 2010, Daniel W. et autres: n° 2010-14/22 QPC : Dalloz Actu Étudiant, 14 sept. 2010 ; GDCC, 16e  éd., no 47; D. 2010. 1928, note Charrière-Bournazel; ibid. 1949, note Cassia; AJDA 2010. 1556; ibid. 470, note Perrier; Constitutions 2010. 571, note Daoud et Mercinier; RTD civ. 2010. 513, note Puig; RSC 2011. 165 note Lamy.

■ Déclaration de 1789

Article 7

« Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi, doit obéir à l'instant: il se rend coupable par la résistance. »

Article 8

« La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

Article 9

« Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

 

Auteur :Caroline Lacroix


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