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Droit des obligations
Obligation de somme d’argent : pas d’exonération par la force majeure
Le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée qui, par nature, est toujours susceptible d’exécution, ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure.
Paris, pôle 1 ch. 2, 2 juin 2022, n° 21/19440
Par actes du 26 novembre 2010, plusieurs bailleurs ont consenti à une société un bail commercial, pour une durée de onze années entières et consécutives, aux fins d’exploitation d’une résidence touristique. À la suite de l’apparition en France de la pandémie de Covid-19, la société preneuse a suspendu le paiement de ses loyers en faisant valoir que les mesures de fermeture administrative dont elle avait fait l’objet l’avaient empêchée d’exploiter les lieux loués. Assignée en paiement des loyers impayés, elle oppose aux appelants la situation de force majeure à l’origine de sa décision de suspendre leur règlement pour les périodes visées par les mesures d’interdiction. Sur le fondement de l’article 1218 du code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, relatif à la force majeure en matière contractuelle, elle soutient en effet que son empêchement de payer découle directement de la règlementation sanitaire consécutive à la pandémie de Covid-19, événement qui serait constitutif de la force majeure. La cour d’appel refuse toutefois d’en constater l’existence, faute pour l’intimée d’avoir établi l’impossibilité dans laquelle elle se trouvait d’exécuter son obligation de règlement des loyers.
Il est depuis longtemps acquis que la force majeure « monétaire » ou « financière » n’existe pas. Si la Cour de cassation ne l’a à notre connaissance affirmé qu’une fois (Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306), cette règle ancienne, fondée sur l’adage genera non pereunt (les choses de genre ne périssent pas) est tenue pour acquise par la doctrine. Il est vrai que sa raison d’être apparaît d’emblée : lorsqu’une obligation a pour objet une chose de genre, son débiteur ne peut jamais être empêché de l’exécuter, celle-ci étant toujours susceptible d’être remplacée par une chose du même genre. De la même manière que le vendeur qui perd le livre de poche qui lui a été commandé peut toujours se procurer un autre exemplaire pour le livrer à son acquéreur, le droit considère que le débiteur d’une somme d’argent peut toujours se procurer de l’argent pour payer son créancier. Quelque peu théorique, cette considération repose toutefois sur la nécessité de caractériser un véritable empêchement d’exécution pour se voir reconnaître le droit, qui doit rester exceptionnel, de ne pas régler ses dettes. C’est ce que rappelle de façon très pédagogique la cour d’appel de Paris dans le présent arrêt : « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. La force majeure se caractérise par la survenance d’un événement extérieur au débiteur, imprévisible et irrésistible, rendant impossible l’exécution de l’obligation. Or, l’obligation de paiement d’une somme d’argent est toujours susceptible d’exécution, le cas échéant forcée, sur le patrimoine du débiteur. Elle n’est, par nature, pas impossible : elle est seulement plus difficile ou plus onéreuse ». En effet, pour attribuer l’inexécution du contrat à un cas de force majeure, son exécution ne doit pas être devenue simplement plus onéreuse ou plus difficile, mais absolument impossible. Ce rappel opéré par les juges parisiens est bienvenu car l’on pouvait se demander si la définition de la force majeure issue de l’article 1218 nouveau du code civil ne devait pas conduire à renouveler cette approche en l’orientant davantage vers l’inévitabilité de l’événement, puisqu’il est désormais fait référence, non à l’impossibilité absolue d’exécution, mais à une impossibilité d’exécuter l’obligation « par des mesures appropriées », ce qui semble infléchir la sévérité de l’appréciation pourtant ici maintenue par la cour. Il convient toutefois de relever que ce texte n’est applicable qu’aux contrats conclus après le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, et qu’en l’espèce, les baux litigieux ont été conclus avant cette date, de sorte qu’ils sont soumis à la loi ancienne, soit à l’article 1148 ancien du code civil ce qui, selon les propres termes de la cour, reste sans incidence sur le présent litige.
À défaut d’avoir pu justifier d’une impossibilité d’exécuter son obligation de règlement des loyers, la société intimée ne démontrait donc pas le caractère constitutif de la force majeure de l’événement lié à l’épidémie de Covid-19. Demeure donc inchangée l’appréciation traditionnelle de la force majeure : faute d’impossibilité d’exécuter, la force majeure n’est pas caractérisée.
Références :
■ Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306 : DAE, 7 oct. 2014, note Merryl Hervieu, D. 2014. 2217, note J. François ; Rev. sociétés 2015. 23, note C. Juillet ; RTD civ. 2014. 890, obs. H. Barbier
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