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Droit bancaire - droit du crédit
Opération de paiement non autorisée : stricte appréciation de la notion
Un ordre de virement régulier lors de sa rédaction mais dont le numéro IBAN du compte destinataire a été modifié à l’insu du donneur d’ordre ne peut pas constituer une opération autorisée au sens du Code monétaire et financier.
Com. 1er juin 2023, n° 21-19.289 B
Signe de l’importance du contentieux bancaire relatif à l’autorisation des opérations de paiement (v. not. Com. 9 févr. 2022, n° 17-19.441 ; 30 nov. 2022, n° 21-17.614), l’arrêt rapporté soutient la tendance croissante à l’amélioration de la protection de la victime d’une opération de paiement non autorisée. Cette politique protectrice s’appuie sur un corpus normatif dense, dont les articles L. 133-3, L. 133-18 et L. 133-19 du Code monétaire et financier figurant au visa de la décision commentée. L’ampleur de ce dispositif s’explique par l’influence de deux directives importantes prises en cette matière, les directives 2007/64/CE du 13 novembre 2007 (dite « DSP 1 ») et (UE) 2015/2366 du 25 novembre 2015 (dite « DSP 2 »). En résulte une stricte appréciation, en jurisprudence, de la notion d’opération autorisée que cet arrêt publié vient illustrer.
En l’espèce, deux personnes physiques avaient, le 4 juillet 2015, adressé deux ordres de virement à une banque pour un premier montant de 14 000 € et un second de 86 000 €. Ces ordres devaient être exécutés depuis leur compte joint, ouvert dans les livres de la même banque. Un bénéficiaire avait été renseigné pour cette opération. Le 29 juillet 2015, les donneurs d’ordre ont constaté que les fonds virés n’avaient pas été crédités auprès de la banque du bénéficiaire désigné dans l’acte. Il s’était avéré que leur banque avait viré les sommes sur un compte tiers à la suite d’une modification du numéro IBAN figurant sur les deux ordres de virement. Le 23 décembre 2015, ils assignèrent leur banque en remboursement, pour un montant total de 100 000 € (14 000 + 86 000), laquelle appela en garantie la banque du bénéficiaire. Ces demandes furent rejetées en appel, les juges du fond estimant que dans l’hypothèse de l’espèce où un ordre de virement est régulier lors de sa rédaction, et que sa falsification n’intervient qu’ultérieurement, l’opération doit être considérée comme autorisée. Partant, seule une faute prouvée de la banque permet dans ce cas d’engager sa responsabilité. Or en l’espèce, il ressortait que la modification du numéro IBAN à l’origine de la falsification ne pouvait être décelée que par un examen spécialement minutieux, excluant la faute de la banque des donneurs d’ordre. Ces derniers se pourvoient en cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir ainsi méconnu les articles L. 133-18 et suivants du Code monétaire et financier, ces textes ne distinguant pas entre un ordre de virement faux ab initio et un ordre de virement postérieurement falsifié.
Au visa des articles L. 133-3, L. 133-6 et L. 133-18 du Code monétaire et financier, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse l’arrêt attaqué, au motif « qu’un ordre de virement régulier lors de sa rédaction mais dont le numéro IBAN du compte destinataire a été ultérieurement modifié par un tiers à l’insu du donneur d’ordre ne constitue pas une opération autorisée ». La combinaison des deux premiers textes permet à la chambre commerciale de rappeler que l’opération de paiement n’est autorisée que « si le payeur a également consenti à son bénéficiaire » (§ 8), le dernier texte visé lui permettant de préciser les conditions du droit du payeur au remboursement immédiat du montant de l’opération non autorisée, auquel la banque ne peut échapper qu’en cas de faute de ce dernier. Or en l’espèce, où le numéro IBAN avait fait l’objet d’une modification à l’insu du payeur, il était logique de considérer comme non autorisé le virement effectué et de laisser en conséquence son droit au remboursement inchangé. En se méprenant sur cette qualification, les juges du fond semblent avoir fait fi de l’évolution législative initiée par la première directive DSP 1, ayant déchargé la victime de la fraude de l’obligation de prouver une faute de la banque pour être immédiatement remboursée. Renforcée par la transposition de la directive DSP 2 de 2015 (par ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017), cette exigence de célérité du remboursement prend désormais appui sur les articles L. 133-3 et suivants du Code monétaire et financier. Le caractère non autorisé de l’opération en l’espèce effectuée est affirmé dans des termes dont la généralité vise à souligner l’indifférence, conforme à la législation européenne, de la faute de l’établissement bancaire, que la victime de la fraude n’a donc plus à rapporter. Les faits de l’espèce traduisent on ne peut mieux l’intérêt d’avoir abandonné cette exigence, puisque la falsification s’était révélée indécelable par la banque, sauf à procéder à « un examen particulièrement minutieux des documents et sous une lumière puissante ». Sous l’empire du droit antérieur, le donneur d’ordre aurait ainsi échoué à rapporter la preuve de la faute, alors exigée, et en l’espèce inexistante. Ainsi la décision rapportée révèle-t-elle les bienfaits de l’évolution législative sur la situation de la victime d’une opération non autorisée pour faire valoir son droit à un remboursement immédiat des sommes concernées sans démonstration d’une faute de la banque.
Références :
■ Com. 9 févr. 2022, n° 17-19.441 B : D. 2022. 276 ; Rev. prat. rec. 2022. 19, chron. S. Piédelièvre.
■ Com. 30 nov. 2022, n° 21-17.614 B : DAE, 16 janv. 2023, note M. Hervieu ; D. 2022. 2156 ; RTD com. 2023. 201, obs. D. Legais.
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