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Droit des obligations
Opposabilité de la clause attributive de juridiction au tiers bénéficiaire de la stipulation pour autrui
La clause attributive de juridiction contenue dans le contrat liant le stipulant au promettant peut être invoquée par et contre le tiers bénéficiaire d’une stipulation pour autrui, dès lors que ce dernier revendique le bénéfice du droit que le promettant a fait naître à son profit.
Civ. 1re, 18 juin 2025, n° 23-21.709
La stipulation pour autrui déroge à l’effet relatif du contrat. Comme le prévoit l'article 1205 du Code civil, "L'un des contractants, le stipulant, peut faire promettre à l'autre, le promettant, d'accomplir une prestation au profit d'un tiers, le bénéficiaire". Le meilleur exemple en est l’assurance-vie, où une personne (le stipulant) contracte avec un assureur (promettant) afin qu’un capital soit versé à ses enfants (tiers bénéficiaires) à son décès. Cette opération constitue une véritable exception à l’effet relatif de la convention, puisque le tiers devient créancier du promettant sans avoir la qualité de partie au contrat. Le bénéficiaire tire ainsi ses droits d'un contrat auquel il est étranger : ce tiers au contrat bénéficie d’un droit direct contre le promettant qui n’exécute pas sa promesse, sans avoir à passer par l’intermédiaire du stipulant (C. civ., art. 1206, al. 1). Par exemple, le bénéficiaire d’une assurance sur la vie peut intenter directement une action en exécution forcée contre l’assureur : bien que n’étant pas partie au contrat, il est en effet son créancier. S'il ne fait pas de doute que le bénéficiaire peut contraindre le promettant à l'exécution forcée de son engagement, se pose en revanche la question de la juridiction compétente et, plus particulièrement, des effets de la clause attributive de juridiction à l’égard du tiers bénéficiaire d’une stipulation pour autrui (v. la question préjudicielle de savoir si le tiers bénéficiaire d’une telle stipulation est en droit, sous l’empire du Règlement Bruxelles I bis, d’invoquer la clause attributive de compétence conclue entre le stipulant et le promettant Civ. 1re, 9 oct. 2024, n° 22-22.015).
Au cas d'espèce, les parts d'une société thaïlandaise avaient fait l'objet de deux cessions successives : la première cession était intervenue entre A (cédant) et B (cessionnaire), tandis que la seconde s'opérait entre C (cédant) et D (cessionnaire). Le particularisme de cette seconde cession résidait dans l’existence d’une stipulation pour autrui. Elle prévoyait en effet qu'une partie du prix serait payée à A, pourtant tiers au contrat. Autrement dit, D (promettant) s'était engagé envers C (stipulant) à payer une somme à A (bénéficiaire). N'ayant pas été payé, le bénéficiaire a assigné le promettant en paiement devant le tribunal de Besançon. Or l'acte de cession litigieux stipulait également une clause attributive de compétence exclusive au tribunal de Pattaya (Thaïlande). Se posa alors la question de l’opposabilité de cette clause au bénéficiaire du paiement du prix qui, à raison de sa qualité de tiers au contrat la contenant, n'avait pas consenti à la juridiction ainsi désignée par les parties. Jusqu’à présent, cette question était laissée sans réponse par la jurisprudence : si s’était déjà posée celle de l’invocation, par le tiers bénéficiaire d’une stipulation pour autrui, d’une clause attributive de compétence (Civ. 1re, 9 oct. 2024, préc.), l’opposabilité à ce même tiers d’une telle clause n’avait pas encore été soulevée. La Cour d’appel répondit à cette question inédite par l’affirmative, et fit donc application de la clause attributive de juridiction. Devant la Cour de cassation, le tiers bénéficiaire excipa au contraire de son inopposabilité, une clause attributive de juridiction ne pouvant produire d’effets juridiques, selon l’auteur du pourvoi, qu’à l’égard de ses signataires. Parallèlement, le demandeur au pourvoi invita la Cour à surseoir à statuer dans l’attente de la réponse de la Cour de justice à la question préjudicielle qui lui a été posée par l’arrêt précité du 9 octobre 2024. Sans attendre, la première chambre civile juge cette clause, à la suite des juges du fond, opposable au tiers bénéficiaire de la stipulation pour autrui : « la clause attributive de juridiction […] contenue dans le contrat liant le stipulant au promettant, qui est indissociable de l’exercice du droit créé au profit du bénéficiaire, peut être invoquée par et contre ce tiers bénéficiaire […], dès lors qu’il revendique le bénéfice du droit que le promettant a fait naître à son profit ». (pts n°9 et 10).
La solution a le mérite de la clarté : revendiquer le bénéfice d’un contrat oblige à en subir la loi. Le bénéficiaire ne peut donc accepter les avantages de la stipulation faite en sa faveur tout en refusant l’application de la clause attributive de juridiction, indissociable de l’accord conclu entre le promettant et le stipulant. La solution présente l’autre mérite d’aligner le régime des clauses attributives de juridiction sur celui des clauses compromissoires (Civ. 1re, 11 juill. 2006, n° 03-11.983 : "la clause d'arbitrage contenue dans le contrat liant le stipulant au promettant peut être invoquée par et contre le tiers bénéficiaire d’une stipulation pour autrui"). La règle selon laquelle le tiers bénéficiaire est lié par la clause d’arbitrage consentie par le stipulant et le promettant se trouve ainsi étendue à la clause attributive de juridiction. D’aucuns opposeront sans doute à ce régime désormais unifié une critique identique, tirée du principe selon lequel la stipulation pour autrui ne peut faire naître qu’un droit au profit du bénéficiaire, non pas une obligation. Cependant, dans la mesure où le droit du bénéficiaire naît du contrat générateur de la stipulation faite à son profit, et ce indépendamment de son acceptation, l’exception ainsi consacrée au principe de l’effet relatif des conventions trouve son prolongement naturel dans l’opposabilité des clauses de ce type par les parties au contrat ayant conféré ses droits au tiers bénéficiaire.
Ainsi cette position prétorienne est-elle aussi bien conforme au droit des obligations qu’aux principes généraux gouvernant la stipulation pour autrui. Celle-ci a la singularité de permettre à deux contractants de faire naître un droit au profit d'un tiers, sans toutefois réaliser une opération translative, puisque le tiers bénéficiaire ne recueille pas les droits du stipulant à l’égard du promettant, mais se voit attribuer envers ce dernier des droits propres et directs. Il n’en reste pas moins que les droits du bénéficiaire trouvent leur origine dans la rencontre des volontés du stipulant et du promettant. Ces droits doivent donc se conformer à ceux que les contractants ont voulu qu’ils soient, notamment en ce qui concerne le droit d’action. Si stipulant et promettant ont souhaité insérer au contrat une clause attributive de juridiction pour la résolution des litiges pouvant naître en relation avec ces droits, le tiers bénéficiaire, qui entend se prévaloir de la stipulation faite en sa faveur, ne doit pas avoir la liberté de s’y soustraire. C’est ainsi que l’arrêt rapporté fait écho à l'arrêt Clamageran qui, pour mettre un terme aux effets délétères de la jurisprudence Boot’Shop, a soumis le tiers qui se prévaut du contrat aux conditions et limitations de responsabilité stipulées dans celui-ci (Com. 3 juill. 2024, n° 21-14.947). Se dessine ainsi un régime unifié applicable à ces "faux tiers" qui, sans être parties au contrat, en demandent le bénéfice. Pour cette raison, ils ne peuvent se contenter d’invoquer le contrat : ils doivent aussi s’y soumettre.
Références :
■ Civ. 1re, 9 oct. 2024, n° 22-22.015 : D. 2024. 2230, note G. Lardeux ; Rev. crit. DIP 2025. 139, note D. Sindres
■ Civ. 1re, 11 juill. 2006, n° 03-11.983 : RTD com. 2006. 773, obs. E. Loquin
■ Com. 3 juill. 2024, n° 21-14.947 : DAE 16 sept. 2024, note Merryl Hervieu; D. 2024. 1607, note D. Houtcieff ; ibid. 1577, point de vue A. Gouëzel ; ibid. 2193, chron. C. Bellino, T. Boutié, C. Lefeuvre et G. Maigret ; ibid. 2025. 22, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 267, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RTD civ. 2024. 644, obs. H. Barbier ; ibid. 889, obs. P. Jourdain
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