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[ 2 mars 2021 ] Imprimer

Droit de la famille

PACS : une véritable entraide économique

Relevant de l’obligation d’aide matérielle entre partenaires pacsés, le remboursement intégral, par un seul des partenaires, de deux prêts souscrits par chacun des membres du couple pour financer l’acquisition du logement familial indivis, ne confère pas à celui qui a procédé seul au règlement un droit de créance à l’égard de l’autre.

Civ. 1re, 27 janv. 2021, n° 19-26.140

Quasiment absente en jurisprudence, l’aide matérielle entre partenaires pacsés se trouve au centre du présent arrêt, dont les précisions apportées sur la teneur et la portée de cette obligation méritent d’être relevées.

En 2003, un couple acquiert en indivision sa résidence commune. L’achat est financé par deux prêts, chacun souscrivant un prêt à son nom. Deux semaines plus tard, le couple conclut un PACS, qui sera finalement dissous dix ans plus tard, soit en 2013. 

En 2016, l’un d’eux assigne l’autre pour que soit ordonné le partage judiciaire de l’indivision existant entre eux. Celui auquel l’assignation est adressée demande alors à ce qu’une créance soit constatée à son profit à raison de l’intégralité du remboursement, par ses soins, pendant la durée du PACS, des sommes dues au titre des deux prêts immobiliers, dont celui contracté par son ancienne partenaire Sa demande rejetée, il forme un pourvoi en cassation, soutenant notamment que la circonstance qu’il ait remboursé seul les prêts et que l’autre ne disposait pas de revenus à la hauteur des remboursements qui lui incombaient n’établissait pas leur volonté non équivoque de faire peser sur l’un la totalité des remboursements ou de faire peser sur l’autre des charges excédant ses facultés respectives. 

Mais la Cour de cassation rejette le pourvoi. Rappelant les termes de l’article 515-4, alinéa 1er, du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, applicable à la cause, elle juge qu’ « (a)près avoir constaté que l’immeuble avait été acquis indivisément par les parties et que les mensualités des prêts avaient été réglées intégralement par [le demandeur], l’arrêt relève que les intéressés ont disposé de facultés contributives inégales, [le demandeur] ayant perçu des revenus quatre à cinq fois supérieurs à ceux de [la défenderesse]. Il ajoute qu’il résulte des relevés du compte de [la défenderesse] que celui-ci a oscillé entre un faible solde créditeur et un solde régulièrement débiteur (…) et que, si [le demandeur] soutient avoir payé l’intégralité des charges du ménage, permettant ainsi à [la défenderesse] de réaliser des économies, la preuve de ces économies n’est pas rapportée. Il relève encore que les revenus de [la défenderesse] étaient notoirement insuffisants pour faire face à la moitié du règlement des échéances des emprunts immobiliers. La cour d’appel, qui a souverainement estimé que les paiements effectués par [le demandeur] l’avaient été en proportion de ses facultés contributives, a pu décider que les règlements relatifs à l’acquisition du bien immobilier opérés par celui-ci participaient de l’exécution de l’aide matérielle entre partenaires et en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, qu’il ne pouvait prétendre bénéficier d’une créance à ce titre. » 

Aux termes de l’article 515-4 alinéa 1er du Code civil, les partenaires pacsés s’engagent à une aide matérielle. Cet impératif s’apparente au devoir auquel l’article 214 du même code soumet les époux, imposant à chacun des membres du couple la charge de supporter une partie des dépenses courantes et domestiques. L’aide matérielle obligeant les pacsés est expressément présentée comme le pendant de la contribution aux charges du mariage par plusieurs dispositions légales (v. C. civ. art. 515-11, 5°; COJ, art. L. 213-3). Pour préciser la consistance de cette obligation, le législateur a même purement et simplement recopié certains passages de l’article 214. Il a ainsi souligné que « [si] les partenaires n’en disposent pas autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives » (C. civ., art. 515-4). Le critère retenu est donc exactement le même que dans les relations entre époux : le législateur n’exige pas que les participations de chacun soient équivalentes, c’est-à-dire réparties par moitié, mais que les charges soient partagées en fonction des moyens dont disposent respectivement chacun des deux partenaires. Il serait en effet injuste de les contraindre à supporter des dépenses égales lorsque leurs ressources respectives ne le sont pas. Comme son nom l’indique, le pacte civil de solidarité n’est donc pas destiné aux individualistes invétérés. Une fois qu’il a été conclu, il incombe à celui des membres du couple dont les ressources sont les plus importantes de supporter la plus grande partie des dépenses quotidiennes. Par symétrie, celui dont les revenus sont les plus modestes est en droit de laisser à son conjoint la charge d’assumer financièrement l’essentiel des charges du ménage. 

La jurisprudence s’étant très rarement prononcée sur la teneur et la portée exactes de cette disposition (v. cpdt, Civ. 1re, 11 avr. 2018, n° 17-18.207 ; Civ. 1re, 21 nov. 2018, n° 15-16.331, précisant l’articulation entre le devoir d’aide matérielle et l’action de droit en enrichissement sans cause), la question de la mesure avec laquelle l’emprunt aux règles applicables à la contribution aux charges du mariage pouvait servir à préciser celles relatives à l’obligation d’aide matérielle des pacsés restait posée, et l’arrêt rapporté a le mérite et l’intérêt d’apporter plusieurs éléments de réponse. Subsistait principalement un doute concernant les dépenses liées à l’achat d’un bien immobilier et, en particulier, au financement par l’emprunt de l’acquisition de la résidence principale des pacsés (Y. Flour in M. Grimaldi [dir.], Droit patrimonial de la familleDalloz Action, 2018-2019, § 511.43). Le doute est ici levé : à l’instar de ce qui a pu être jugé à propos du remboursement intégral, par un seul conjoint, de l’emprunt contracté par le couple pour financer l’achat d’un bien immobilier, a fortiori lorsque le bien litigieux constitue le logement de famille (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 05-15.980), la Cour juge en l’espèce, par analogie avec avec la contribution aux charges du mariage, que le remboursement d’un prêt destiné à financer l’acquisition du logement des partenaires pacsés est une modalité de contribution à l’aide matérielle. 

On ne peut que souligner l’ampleur de la portée ainsi conférée à l’article 515-4 du Code civil, son domaine d’application ne se limitant pas aux seuls frais courants : comme en témoigne le présent arrêt, il englobe, pareillement à l’article 214 applicable aux époux dont il s’inspire, les investissements immobiliers des partenaires (Civ. 1re, 14 mars 2006, préc. ; v. aussi, pour une résidence secondaire, Civ. 1re, 15 mai 2013, n° 11-26.133). 

Cette portée est encore accrue par le silence volontairement gardé par la Cour sur le régime de l’indivision auquel les partenaires étaient soumis, ces derniers s’étant pacsés avant la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités, ayant opté pour un régime séparatiste. Quoiqu’il en soit, le silence de la Cour doit être interprété comme une volonté de rendre applicable la solution ici rapportée à tous les partenaires pacsés, quel que soit le régime patrimonial adopté, étant précisé que cette indifférenciation est logique au regard de l’obligation considérée, relevant du régime patrimonial primaire impératif. La portée de la règle dégagée par le présent arrêt est encore et enfin augmentée par l’inefficacité affirmée par la Cour de tout accord tacite – réel ou supposé – des partenaires sur la répartition des charges du ménage. En effet, alors que la juridiction d’appel avait relevé qu’en l’absence d’éléments contraires apportés par le prétendu créancier, le déséquilibre des facultés contributives des partenaires traduisait l’existence d’« une volonté commune que ce dernier assumât la charge des échéances du crédit immobilier qui prévaut sur la présomption d’indivision régissant le PACS conclu le 26 septembre 2003 ». Or ces motifs sont qualifiés de surabondants par la Cour. Autrement dit, sauf stipulation expresse du pacs, la redéfinition des modalités de contribution à l’aide matérielle, notamment pour s’affranchir du critère légal de la proportionnalité des facultés respectives, ne peut en aucun cas résulter d’un accord tacitement convenu entre les partenaires. 

À poursuivre le raisonnement analogique des juges, l’appréciation des facultés contributives propres à chacun des époux devrait servir à déterminer celles des partenaires pacsés, ce que l’arrêt rapporté tend à attester. Or, concernant la contribution aux charges du mariage, les juges veillent tout particulièrement à l’effectivité de ce devoir pécuniaire dont le conjoint qui, à l’heure du bonheur conjugal, s’en était acquitté de bon cœur puis qui, une fois ce bonheur envolé, entend obtenir une juste contrepartie des avantages autrefois consentis, et désormais regrettés. Comme dans l’espèce rapportée, il est fréquent qu’un ancien conjoint sollicite une indemnité au prétexte qu’il a intégralement payé un immeuble indivis ou contribué à son financement. Or le juge se méfie du conjoint divorcé regrettant sa générosité passée. Ainsi s’assure-t-elle, avant d’accueillir sa demande, que le sacrifice dont il se prévaut excède véritablement ce dont il était redevable au titre de son obligation (jurisprudence constante ; v. not. Civ. 1re, 26 oct. 2011, n° 10-24.214 ; Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-21.892 ; Civ. 1re, 24 sept. 2014, n° 13-21.005). L’appréciation judiciaire repose sur des éléments à la fois objectifs et subjectifs : il ne suffit pas de prendre en compte le montant des revenus respectivement perçus, encore faut-il vérifier que leur déséquilibre ne trouve pas sa cause dans l’attitude du partenaire qui aurait, de son fait, contribué à la faiblesse de ses ressources en refusant, par exemple, de rechercher un emploi (Civ. 1re, 27 févr. 2013, n° 12-17.097). Or cette grille d’appréciation de la contribution excessive au regard des facultés de chacun des époux se retrouve également appliquée en l’espèce pour mesurer l’éventuel excès, allégué par le partenaire prétendument créancier, des dépenses exposées. Dans l’énoncé de son pourvoi, ce dernier avait vainement tenté d’exploiter le critère subjectif en le rattachant à la situation de son ancienne partenaire qui, en conséquence de l’inexécution de son obligation d’aide matérielle, aurait ainsi grâce à lui réalisé, indirectement, des économies. Or non seulement la preuve de telles économies n’était pas établie, mais le moyen était en tout état de cause inopérant car à supposer cette preuve établie, elle n’aurait pas remis en cause l’attitude de son ancienne partenaire qui n’avait pas intentionnellement refusé de participer au remboursement en vue de se constituer des économies, mais en avait été objectivement empêchée en conséquence de la faiblesse de ses revenus qui ne pouvait, semble-t-il, lui être imputée. Au surplus, la prise en compte du critère objectif conduisait au constat de la très large supériorité de revenus du demandeur. Le caractère très déséquilibré des facultés contributives des partenaires concernés justifiait que les dépenses que le partenaire solvens avait exposées aient été jugées proportionnelles à ses facultés contributives et partant, exclusives d’un droit de créance à l’encontre de son ancienne partenaire. En l’empêchant de récupérer ce qu’il était tenu de verser, la Cour de cassation lui interdit ainsi de se soustraire à son obligation d’aide matérielle, devoir pécuniaire impératif et consubstantiel au PACS : elle lui rappelle qu’au même titre qu’un époux, chaque partenaire pacsé doit supporter de manière définitive, sauf à prouver l’excès de sa contribution, une partie des charges du foyer. Sous l’influence de ce devoir pécuniaire, le passé se fige : en offrant une justification juridique aux avantages qu’un partenaire pacsé a consentis à l’autre, l’obligation de l’article 515-4 s’oppose à ce qu’ils soient remis en cause. La Cour de cassation assure ainsi la pérennisation des avantages consentis. 

Il est enfin à noter que par une nouvelle identité aux règles du mariage, l’aide matérielle échappe à l’application de la règle « aliments ne s’arréragent point », à laquelle le devoir de contribution des conjoints est également soustrait, en sorte que cette obligation peut être invoquée postérieurement à la dissolution du pacs, le juge devant alors procéder à une appréciation rétrospective de la répartition des charges à l’aune des facultés contributives respectives de chacun des anciens partenaires (J. Garrigue, Droit de la famille, Dalloz, Coll. Hypercours, 2e éd., n° 526).

Moralité, en prévention de ce contentieux du regret, les partenaires pacsés auraient donc intérêt à tempérer leurs élans de générosité… Une moralité qui en est en fait privée !

Références :

■ Fiches d’orientation Dalloz : PACS (dissolution)

■ Civ. 1re, 11 avr. 2018, n° 17-18.207

■ Civ. 1re, 21 nov. 2018, n° 15-16.331

■ Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 05-15.980 P: AJ fam. 2006. 293, obs. P. Hilt

■ Civ. 1re, 15 mai 2013, n° 11-26.133

■ Civ. 1re, 26 oct. 2011, n° 10-24.214 P: D. 2011. 2656 ; ibid. 2012. 971, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2012. 111, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2012. 102, obs. J. Hauser 

■ Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-21.892 P: D. 2013. 2682, note A. Molière ; ibid. 2014. 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2013. 647, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2013. 821, obs. J. Hauser ; ibid. 2014. 698, obs. B. Vareille ; ibid. 703, obs. B. Vareille

■ Civ. 1re, 24 sept. 2014, n° 13-21.005 P: DAE 20 oct. 2014; AJ fam. 2014. 641, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2015. 106, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 27 févr. 2013, n° 12-17.097

 

Auteur :Merryl Hervieu

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