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Droit de la responsabilité civile
Perte de chance de participer aux jeux olympiques : un espoir à ne pas prendre au sérieux
Le principe de la réparation intégrale permet d’obtenir la réparation de toute perte de chance sans que la victime ait à rapporter la preuve de son caractère sérieux.
Civ. 2e, 25 mai 2022, n° 20-16.351
À la suite d’un accident de la circulation, un jeune espoir de l’athlétisme français se retrouve contraint de mettre un terme à sa carrière d’athlète professionnel. Aussi ce postulant aux futurs jeux olympiques perd-il tout espoir d’y concourir. Le conducteur du véhicule à l’origine de son accident n’ayant pu être identifié, il saisit la commission d’indemnisation des victimes d’infractions pour obtenir réparation, notamment d’une perte de chance d’être sélectionné et de participer aux Jeux Olympiques. La cour d’appel refuse d’y accéder au motif que si la victime avait participé à des championnats juniors et à des courses de sélection catégorie espoirs, elle n’en était qu’au début de sa carrière et ne fournissait, de surcroît, aucune explication permettant de penser qu’elle aurait pu atteindre le temps nécessaire pour être sélectionnée aux Jeux Olympiques (3,42 minutes contra 3,38 minutes requises). En somme, la victime ne rapportait pas la preuve de l’existence d’une chance sérieuse. Telle n’est pas la solution retenue par la Cour de cassation qui considère qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que toute perte de chance, même faible, ouvre droit à réparation, la cour d’appel a violé, notamment, le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.
« L’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition, par l’effet du délit, de la probabilité d’un événement favorable, encore que, par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Crim. 6 juin 1990, n° 89-83.703). Pour tenir compte de cet inévitable aléa, seule peut constituer une perte de chance réparable « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Civ. 1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674). Selon une logique probabiliste, pour être réparable, la chance perdue doit reposer sur l’espoir légitime et sérieux que l’événement favorable se soit produit si les circonstances n’en avaient pas empêché la survenance : la jurisprudence n’accepte donc en principe d’indemniser la chance perdue par la victime qu’un événement favorable ait pu lui profiter qu’à la condition que la réalisation de cet événement n'était pas simplement hypothétique, mais réelle et sérieuse. C’est à la condition de réunir ces deux caractères que la perte de chance, qui n’échappe pas à l’exigence de certitude du préjudice, peut être réparée.
En pratique cependant, l’incertitude inhérente à la notion de perte de chance explique sans doute que la Cour de cassation ait varié dans son appréciation du taux de probabilité de survenance de la chance attendue, mais manquée. Initialement sévère, elle fait preuve depuis quelques années d’une grande souplesse. En effet, après avoir fermement rappelé la nécessité que la perte de chance fût réelle et sérieuse (Civ. 1re, 4 avr. 2001, n° 98-23.157), elle admit d’indemniser la perte, jugée certaine, d'une faible (Civ. 1re, 16 janv. 2013, n° 12-14.439), voire d’une « minime » chance (Civ. 1re,12 oct. 2016, n° 15-23.230). Elle confirma ensuite sa volonté d’assouplissement, augurée en 2013 et poursuivie en 2016, par un nouvel arrêt rendu cette même année (Civ. 1re, 14 déc. 2016, n° 16-12.686), prononçant la cassation de l’arrêt ayant retenu qu’une cliente avait échoué à démontrer que la faute commise par son avocat lui avait fait perdre une chance d’obtenir en justice le remboursement de sa créance. Au motif depuis devenu suffisant que toute perte de chance ouvre droit à réparation, elle en vient désormais à délaisser la nécessité pour le demandeur en réparation de la perte d’une chance de démontrer l’existence d’une probabilité minimale de survenance d’une éventualité plus favorable (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 18-25.440 ; Civ. 1re, 14 déc. 2016, préc.) en sorte que pour débouter la victime de sa demande en réparation, le juge doit constater l’improbabilité certaine que la victime ait pu profiter de la chance prétendument perdue.
On comprend dès lors pourquoi dans cette affaire la Cour de cassation condamne sèchement l’analyse des juges d’appel, ces derniers n’ayant pas constaté l'absence de probabilité pour la victime d'atteindre le temps requis et d’être ainsi sélectionnée pour les JO.
Au contraire, son jeune âge, son début de carrière prometteur ainsi que le temps qu’elle avait réalisé, proche d’atteindre celui requis pour être sélectionné, auguraient une marge de progression rendant crédible la chance perdue d’avoir pu battre son record et d’atteindre ainsi le temps exigé pour participer à la compétition. Caractérisée, la perte de chance ouvrait donc droit à réparation sans que la victime ait à rapporter la preuve de son caractère sérieux.
Références :
■ Crim. 6 juin 1990, n° 89-83.703 : RTD civ. 1991. 121, obs. P. Jourdain ; ibid. 1992. 109, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674 : D. 2006. 3013, et les obs.
■ Civ. 1re, 4 avr. 2001, n° 98-23.157 : D. 2001. 1589, et les obs.
■ Civ. 1re, 16 janv. 2013, n° 12-14.439 : D. 2013. 619, obs. I. Gallmeister, note M. Bacache ; ibid. 2014. 47, obs. P. Brun et O. Gout ; ibid. 169, obs. T. Wickers ; D. avocats 2013. 196, note M. Mahy-Ma-Somga et J. Jeannin ; RTD civ. 2013. 380, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re,12 oct. 2016, n° 15-23.230 : D. 2017. 46, note J. Traullé ; ibid. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; D. avocats 2016. 365, obs. M. Mahy-Ma-Somga
■ Civ. 1re, 14 déc. 2016, n° 16-12.686 : DAE, 24 janv. 2017, note Merryl Hervieu, D. 2017. 6 ; ibid. 2018. 87, obs. T. Wickers
■ Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 18-25.440 : DAE 29 juin 2020, note Merryl Hervieu, D. 2020. 1100 ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RDI 2020. 524, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2020. 385, obs. C. François ; RTD civ. 2020. 629, obs. H. Barbier
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