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Procédure pénale
Photographies d’un suspect sur la voie publique : souriez, c’est régulier !
La prise de clichés photographiques, qui n’ont pas été recueillis de manière permanente ou systématique, ne peut être assimilée à la mise en place d’un dispositif de captation et d’enregistrement continu d’images de personnes se trouvant dans un lieu public. Par conséquent, justifie sa décision la chambre de l’instruction qui relève que ces actes ne constituent pas une ingérence dans la vie privée, qu’ils ne nécessitaient pas une autorisation préalable d’un magistrat et que l’intéressé est sans qualité pour en contester la régularité.
Crim. 28 mars 2023, n° 22-83.874 B
Dans un lieu public et lors d’une enquête, quelle distinction faire entre vidéosurveillance d’un côté et surveillance photographique de l’autre ? À première vue aucune. Dans les deux cas, il s’agit de captation et de fixation d’images soit au moyen d’une caméra, soit au moyen d’un appareil photo de sorte que l’objectif poursuivi par les enquêteurs est le même, à savoir observer (pour ne pas dire espionner) un ou des suspect(s) qui déambul(ent) sur la voie publique afin de récolter des preuves. Il existe pourtant des différences essentielles. Les unes sont d’ordre technique et reposent sur le caractère continu ou non de la captation et de l’enregistrement des images, les autres sont juridiques et se réfèrent au résultat du dispositif qui porte ou non atteinte à l’intimité de la vie privée. Ces différences sont ainsi mises en lumière dans cet arrêt rendu le 28 mars 2023 par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
En l’espèce, à la suite d’un renseignement anonyme, un fonctionnaire de police avait été avisé qu’une personne organisait de manière clandestine un commerce de produits de luxe. Une enquête avait alors été diligentée à l’occasion de laquelle huit photographies du suspect sur la voie publique avaient été prises de manière discontinue sur plusieurs jours, entre le 12 mai 2020 et le 9 juin 2020. En parallèle, des mesures de localisation en temps réel des lignes téléphoniques avaient été mises en œuvre. Quelques mois plus tard, le suspect était mis en examen et saisissait la chambre de l’instruction d’une requête en annulation. Il contestait la régularité de plusieurs actes et pièces du dossier : le procès-verbal de saisine recueillant le renseignement anonyme, la mesure de localisation en temps réel des lignes téléphoniques et l’accès aux données de connexion téléphoniques. La chambre de l’instruction rejetait pourtant toutes ses demandes, considérant l’ensemble des actes comme réguliers. L’intéressé formait alors un pourvoi en cassation.
Mais par l’arrêt commenté, la Cour de cassation rejette son pourvoi. S’agissant de la demande d'annulation du procès-verbal de saisine recueillant un renseignement anonyme, la chambre criminelle rappelle que ce procès-verbal ne s’analyse pas en une audition et n’entre pas dans les prévisions des articles 706-57 et suivants du Code de procédure pénale. Un tel acte est dépourvu de force probante et a pour seul objet de fournir des renseignements destinés à permettre des investigations ultérieures ou à en faciliter l'exécution. Sur la problématique relative à l’accès aux données de connexion téléphoniques, l’intéressé faisait valoir que cet accès avait été autorisé par un magistrat du parquet, en méconnaissance des exigences européennes, et qu’il n’était pas justifié par les nécessités de l’enquête. Dès lors, il s’agissait pour lui d’une atteinte à l’intimité de sa vie privée. La réponse de la Cour se fait en trois temps. En premier lieu, elle considère que le demandeur ne justifiait pas d’une atteinte à sa vie privée de sorte qu’il était sans qualité pour en contester la régularité devant la chambre de l’instruction. En deuxième lieu, la mesure avait été autorisée par le procureur de la République mais aussi par le juge des libertés et de la détention. Enfin, le grief qui reprochait à la chambre de l’instruction de ne pas avoir vérifié notamment si l’accès aux données était, au regard des circonstances de l’espèce, limité à ce qui était strictement justifié par les nécessités de l’enquête était nouveau et mélangé de fait et de droit. Le moyen est ainsi écarté, jugé inopérant en sa première branche et irrecevable en sa seconde.
Si sur ces deux points, la solution retenue par la Cour de cassation s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence (sur le renseignement anonyme, v. Crim. 9 juill. 2003, n° 03-82.119 ; 6 oct. 2015, n° 15-82.247 ; sur les données de connexion v. Crim. 12 juill. 2022, n° 21-83.710, 21-83.820, 21-84.096 et 20-86.652), elle interpelle en revanche sur la question de la régularité des photographies prises sur la voie publique. Une surveillance photographique mise en place sur plusieurs jours par des enquêteurs est-elle une technique d’enquête spéciale et s’assimile-t-elle à une vidéosurveillance ? Si la réponse est positive et que ces dispositifs sont assimilables, alors la surveillance photographique devrait obéir au même régime que la vidéosurveillance, peu important que l’on soit dans un lieu privé ou public. L’enjeu était ici essentiel.
Dans son deuxième moyen, l’intéressé soutenait ainsi que le fait pour des policiers de prendre des clichés photographiques pendant quelques heures et sur plusieurs jours devait s’analyser en une surveillance, et très précisément en une technique spéciale d’enquête encadrée aux articles 706-95-12 et suivants du Code de procédure pénale. Selon lui, la prise de photographies d’une personne constitue, au même titre que la vidéosurveillance, un dispositif de captation de l’image des personnes, peu important que ces mesures soient effectuées dans un lieu privé ou public. Par conséquent, la mesure ne pouvait être régulière qu’à la double condition d’avoir été autorisée et contrôlée par un juge, conformément à ce que prévoit le Code de procédure pénale.
La chambre de l’instruction avait pourtant refusé d’annuler ces actes, les qualifiant de captation d’images de personnes déambulant sur la voie publique. De tels actes ne constituaient alors pas une ingérence dans la vie privée et ne nécessitaient pas une autorisation préalable d'un magistrat.
La solution est confirmée par la Cour de cassation. Après avoir précisé que le suspect avait été photographié sur la voie publique à l’occasion de surveillances policières « les 12 mai 2020 à 15 heures 20, le 14 mai 2020 à 15 heures 50 et 16 heures 53, le 18 mai 2020 à 17 heures 25, le 20 mai 2020 à 13 heures 02, le 28 mai 2020 à 13 heures 02 et 13 heures 55 ainsi que le 9 juin 2020 à 15 heures 50 » (§15), la Cour en déduit que « la prise de ces clichés photographiques, qui n'ont pas été recueillis de manière permanente ou systématique, ne peut être assimilée à la mise en place d'un dispositif de captation et d'enregistrement continu d'images de personnes se trouvant dans un lieu public nécessitant une autorisation du procureur de la République » (§16). La Cour ne se prononce donc même pas sur l’existence d’une ingérence dans l’intimité de la vie privée mais écarte tout simplement la possibilité d’assimilation entre les deux dispositifs. Le critère de distinction entre une vidéosurveillance (qui est une technique d’enquête spéciale), et la simple surveillance photographique (qui n’en est pas une), repose sur le caractère permanent ou systématique de la captation d’images.
La solution n’est en soi pas surprenante. Déjà, dans un arrêt rendu le 6 avril 2022 (n° 21-84.092), la chambre criminelle avait posé le principe que la prise de clichés photographiques qui n’est ni permanente, ni systématique, ne peut être assimilée à la mise en place d’un dispositif de vidéosurveillance qui, pour sa part, est un dispositif de captation et d’enregistrement continu. Mais ici, la solution diffère en ce que la Cour de cassation s’est livrée à un contrôle plus approfondi en relevant avec précision le nombre de clichés photographiques, ainsi que les jours et heures de prise.
Il est vrai que d’un point de vue technique, la prise de clichés photographiques ne suppose pas de recueillir et d’enregistrer de manière continue et systématique des données. C’est d’ailleurs pour cette raison que dans la motivation de la décision apparaissent de manière précise les jours et heures des surveillances policières et des clichés photographiques. Mais la solution aurait-elle été identique si la prise de photographies s’était réalisée sur une journée entière ou si les enquêteurs avaient photographié de manière systématique toutes les personnes déambulant sur la voie publique ? L’on peut s’interroger.
D’un point de vue juridique, la vidéosurveillance étant un dispositif de captation et surtout de traitement de données, elle est plus attentatoire à l’intimité de la vie privée que la « simple » surveillance photographique. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation avait pu exiger, dans le silence de la loi, et en raison de l’ingérence dans la vie privée, une autorisation du procureur de la République pour la mise en œuvre d’une vidéosurveillance sur la voie publique en enquête (Crim. 8 déc. 2020, n° 20-83.885). La surveillance photographique ne devient quant à elle attentatoire à l’intimité de la vie privée que dès lors qu’elle est utilisée pour capter l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé (Crim. 21 mars 2007, n° 20-83.885).
Références :
■ Crim. 9 juill. 2003, n° 03-82.119 P : D. 2003. 2285 ; AJ pénal 2003. 73, obs. A.P.
■ Crim. 6 oct. 2015, n° 15-82.247 P : D. 2016. 1727, obs. J. Pradel.
■ Crim. 12 juill. 2022, n° 21-83.710, 21-83.820, 21-84.096 et 20-86.652 B :D. 2022. 1540, note M. Lassalle ; ibid. 2002, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; AJ pénal 2022. 415, note M. Bendavid et C. Quendolo ; Dalloz IP/IT 2022. 408, obs. J. Eynard ; Légipresse 2022. 459 et les obs. ; ibid. 2023. 241, étude N. Mallet-Poujol.
■ Crim. 6 avr. 2022, n° 21-84.092 B : D. 2022. 1487, obs. J.-B. Perrier ; AJ pénal 2022. 323, obs. A. Coste ; RSC 2022. 399, obs. J.-P. Valat.
■ Crim., 8 déc. 2020, n° 20-83.885 P : DAE, 7 janv. 2021, note C. Lacroix ; D. 2021. 15 ; ibid. 1564, obs. J.-B. Perrier ; AJ pénal 2021. 98, obs. G. Roussel ; RSC 2021. 124, obs. N. Jeanne.
■ Crim. 21 mars 2007, n° 06-89.444 P: D. 2007. 1204, obs. A. Darsonville ; ibid. 1817, chron. D. Caron et S. Ménotti ; AJ pénal 2007. 286, obs. G. Royer ; RSC 2007. 841, obs. R. Finielz ; ibid. 897, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 2008. 655, obs. J. Buisson.
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