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Procédure pénale
Vidéosurveillance sur la voie publique en enquête préliminaire : souriez, vous êtes filmés par le procureur de la République
Le procureur de la République peut faire procéder, sous son contrôle effectif et selon les modalités qu’il autorise, à une vidéosurveillance sur la voie publique, aux fins de rechercher la preuve des infractions à la loi pénale ; l’ingérence dans la vie privée résultant d’une telle mesure présente par sa nature même un caractère limité et est proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, elle n’est pas contraire au respect de la vie privée.
Crim. 8 décembre 2020, n° 20-83.885 P
Des caméras peuvent être installées sur la voie publique pour notamment prévenir des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques (agression, vol ou trafic de stupéfiants, actes de terrorisme), dans les conditions prévues aux articles L. 251-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure. Ces opérations de vidéoprotection de la voie publique sont réalisées de telle sorte qu'elles ne visualisent pas les images de l'intérieur des immeubles d'habitation ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. Le public est informé de manière claire et permanente de l'existence du système et de l'autorité ou de la personne responsable. Elles sont soumises à une autorisation du préfet. Mais quid lorsque l'installation d'un tel système de vidéosurveillance est réalisée dans le cadre d’une enquête policière ? Une telle technique, qui peut se révéler précieuse dans la recherche des preuves, heurte néanmoins le droit au respect de la vie privée. Ce fut l’objet de l’arrêt du 8 décembre 2020.
Une enquête préliminaire a été́ ouverte suite au renseignement selon lequel une habitation située était susceptible d'abriter une plantation d'herbe de cannabis d'environ mille plants devant être récoltée à court terme. Les investigations ont permis de confirmer qu'une culture de produits stupéfiants avait bien eu lieu dans cette maison et environ cinq kilogrammes d'herbe de cannabis, séchée et visiblement abandonnée, y ont été́ découverts. Les enquêteurs ont, dans le cadre de l'enquête préliminaire, mis en place des surveillances physiques, appuyées par des moyens vidéos sur la voie publique, puis procédé́ à l'interpellation de différentes personnes. L’une d’elles, qui avait été filmée par le moyen de vidéosurveillance, a été́ mise en examen le 29 mars 2019 des chefs de production ou fabrication illicites de stupéfiants, d’association de malfaiteurs, de blanchiment et d’infractions à la législation sur les stupéfiants.
Le 11 juillet 2019, son conseil a déposé une requête devant la chambre de l'instruction aux fins de voir constater que les vidéosurveillances réalisées sur la voie publique, datées des 21 janvier 2019, 14 février 2019 et 27 février 2019, ont été mises en œuvre sans l’accord d'un magistrat du siège indépendant et en conséquence de voir ordonner la nullité des procès-verbaux relatifs aux surveillances précitées ainsi que la cancellation de différents actes subséquents. Devant le refus de la cour d’appel, il a formé un pourvoi en cassation. Selon le demandeur, « tout dispositif de captage et d’enregistrement d’une image, d’une personne, fût-ce dans un lieu public, suppose nécessairement une ingérence dans sa vie privée et ne peut être mis en place que sous le contrôle effectif d’un juge, et selon les modalités qu’il a au préalable autorisées ». Par ailleurs, l’article 14 du Code de procédure pénale ne donne aucune autorisation générale aux officiers de police judiciaire agissant en enquête préliminaire d’utiliser un tel dispositif de leur propre chef. Dès lors, en validant l’installation d’une vidéosurveillance sur un lieu public par des officiers de police judiciaire agissant en enquête préliminaire, sans autorisation préalable du juge, il y a violation des articles 14 du Code de procédure pénale et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Rejetant le pourvoi, la chambre criminelle admet la conventionalité et la légalité d’un dispositif de vidéosurveillance sur la voie publique dans le cadre d’une enquête préliminaire. Mais elle s’écarte très sensiblement pour ce faire, du raisonnement tenu par la chambre de l’instruction.
En effet, les juges de la chambre de l’instruction avaient refusé de faire droit à cette demande en considérant que le recours à la technique de vidéosurveillance sur la voie publique ne portait pas atteinte à la vie privée et que les enquêteurs pouvaient y procéder sans autorisation du procureur de la République. La motivation tenait en deux propositions. La première consiste à raisonner a contrario de l’article 706-96 du Code de procédure pénale qui autorise les officiers de police judiciaire à participer à des opérations de surveillance consistant en des sonorisations et des fixations d’images. Le texte permet la mise en place d'un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation (…) de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé. Ils en déduisent que si dans le cadre de cette disposition, la nécessité d’une autorisation par un magistrat du siège indépendant a été prévue, c’est au regard de la nature privée du lieu de fixation de l’image et donc du risque d’atteinte injustifiée au droit à la vie privée protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dès lors, la pose d’un moyen de vidéosurveillance sur la voie publique ne requiert pas une telle exigence puisque selon eux, « le législateur ayant estimé que la présence d'un individu, dans un tel lieu, étant par nature susceptible d'être vue par quiconque, il n'y avait pas lieu de prévoir un dispositif légal spécifique pour en capter et fixer l'image ». Il n’y aurait pas d’ingérence ainsi au droit à la vie privée….sic
La seconde proposition trouvait son fondement dans l’article 14 du Code de procédure pénale lequel confie à la police judiciaire le soin de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs tant qu'une information n'est pas ouverte. La mise en œuvre d'un tel dispositif ne portant pas atteinte à la vie privée et n’impliquant pas, aux dires des juges, « d'acte de contrainte, ni d'atteinte à l'intégrité des personnes dont l'image est ainsi recueillie, ni de saisie, d'interception ou d'enregistrement des paroles de ces personnes », elle peut être réalisée par les officiers de police judiciaire, agissant en enquête préliminaire, avec ou sans l’autorisation du procureur de la République.
Le raisonnement ne convainc pas la chambre criminelle. Elle retient que « C’est à tort que l’arrêt écarte toute atteinte à la vie privée pouvant résulter de la mise en œuvre d’une vidéosurveillance sur la voie publique, et considère que les enquêteurs pouvaient y procéder sans autorisation du procureur de la République ». La solution ne saurait surprendre au regard de la jurisprudence antérieure de la chambre criminelle. Déjà en 2018, au visa des articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et 81 du Code de procédure pénale, la chambre criminelle affirmait dans un attendu de principe que « si le juge d’instruction tire du second de ces textes, interprété à la lumière du premier, le pouvoir de faire procéder à une vidéo-surveillance sur la voie publique aux fins de rechercher des preuves des infractions dont il est saisi, à l’encontre des personnes soupçonnées de les avoir commises, une telle ingérence dans la vie privée présentant, par sa nature même, un caractère limité et étant proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, il doit résulter des pièces de l’information que la mesure a été mise en place sous le contrôle effectif de ce magistrat et selon les modalités qu’il a autorisées ». (Crim. 11 déc. 2018, n° 18-82.365 ; v. également Crim. 18 juin 2019, n° 18-86.421).
En l’espèce, la Cour de cassation adopte un raisonnement analogue. Elle rappelle d’abord qu’il entre dans les prérogatives du Procureur de la République de procéder ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale (C. pr. pén., art. 41). Par ailleurs, le procureur de la République peut adresser des instructions générales ou particulières aux enquêteurs. Il contrôle la légalité des moyens mis en œuvre par ces derniers, la proportionnalité des actes d'investigation au regard de la nature et de la gravité des faits, l'orientation donnée à l'enquête ainsi que la qualité de celle-ci. Il veille à ce que les investigations tendent à la manifestation de la vérité et qu'elles soient accomplies à charge et à décharge, dans le respect des droits notamment de la personne suspectée (C. pr. pén., art. 39-3). Elle en déduit donc que « Le procureur de la République tient des articles 39-3 et 41 du Code de procédure pénale le pouvoir de faire procéder, sous son contrôle effectif et selon les modalités qu’il autorise s’agissant de sa durée et de son périmètre, à une vidéosurveillance sur la voie publique, aux fins de rechercher la preuve des infractions à la loi pénale ». Elle admet ensuite la conventionalité du dispositif soulignant que « L’ingérence dans la vie privée qui résulte d’une telle mesure présentant par sa nature même un caractère limité et étant proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, elle n’est pas contraire à̀ l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
Si la technique de la vidéosurveillance sur la voie publique constitue une ingérence dans la vie privée, sa faible gravité ne nécessite pas qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge. Le contrôle du procureur de la République est suffisant selon les juges du quai de l’Horloge. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le pourvoi est rejeté. En l’espèce, le procureur de la République a spécialement autorisé les enquêteurs à installer le dispositif selon des modalités précises et il en a effectivement assuré le contrôle.
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Art. 8. « Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
« 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ Crim. 11 déc. 2018, n° 18-82.365 P : Dalloz Actu Étudiant, 18 janv. 2019, obs. C. Lacroix ; D. 2019. 15 ; ibid. 1568, chron. L. Ascensi, A.-L. Méano, C. Carbonaro et A.-S. de Lamarzelle ; AJ pénal 2019. 101, obs. P. de Combles de Nayves ; RSC 2019. 417, obs. F. Cordier
■ Crim. 18 juin 2019, n° 18-86.421 P : D. 2019. 1341 ; ibid. 1568, chron. L. Ascensi, A.-L. Méano, C. Carbonaro et A.-S. de Lamarzelle
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