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Introduction au droit
Point sur la coutume
« À défaut d’un texte précis sur chaque matière, un usage ancien, constant et bien établi, tient lieu de loi », affirmait Portalis dans son discours préliminaire sur le projet de Code civil. Source formelle du droit, la coutume qualifie un usage ou une pratique constante, a priori non obligatoire, que la collectivité applique par habitude et dans la conviction de son caractère juridiquement obligatoire. Encore aujourd’hui, et malgré la prévalence objective des normes de droit écrit, il reste acquis que la coutume détient un pouvoir propre de création normative, autonome de la loi, ce qui lui confère le statut de véritable source du droit. Si elle ne peut être, dans notre système légaliste, qu’une source secondaire du droit, il convient de ne pas occulter l’importance de son rôle dans la détermination du Droit objectif, qui révèle sa spécificité normative. Tirant sa normativité du fait social, la coutume occupe une place singulière parmi les sources du droit français. Sa singularité se traduit également dans la complexité des rapports qu’elle entretient avec la loi, dont la primauté théorique sur la règle coutumière doit être, en pratique, nuancée.
■ Singularité de la coutume : une normativité sociale - Deux sources du droit français sont incontestées : l’une, principale, est la loi, l’autre, secondaire, est la coutume. La première est écrite, la seconde, orale. Règle subsidiaire non écrite, la coutume tire sa normativité de son effectivité sociale, ce qui marque sa singularité : elle est issue d’une pratique sociale à la fois constante (dans le temps) et répandue (dans l’espace) au point d’être jugée obligatoire par « l’opinion commune » (A. Marais, Introduction au droit, Vuibert, 10 e éd., n°149). Cette définition fait apparaître les deux éléments constitutifs de la coutume : l’élément matériel, d’une part, l’élément psychologique, d’autre part.
Son élément matériel repose sur un critère spatio-temporel : la coutume provient d’une pratique constante dans le temps, ce qui signifie que pour valoir coutume, l’usage doit être ancien et répété (« Une fois n’est pas coutume ») ; la coutume est aussi une pratique répandue dans l’espace, ce qui signifie que pour valoir coutume, l’usage doit aussi être tenu pour obligatoire par une partie suffisante du corps social. Outre les coutumes nationales, il existe également des coutumes locales et des usages sectoriels, le plus souvent professionnels.
Exemple : la tradition locale ininterrompue de corridas ou de combats de coqs est une coutume locale qui permet d’échapper aux sanctions pénales applicables aux actes de cruauté envers les animaux (C .pén., art. L. 521-1) et sur ce fondement légal, le juge apprécie souverainement, dans la localité considérée, l’ancienneté et la constance de cette tradition pour reconnaître (ou non) l’existence d’une coutume (v. pour une dernière application, CAA Toulouse, 2 oct. 2025, (2 arrêts)).
Son élément psychologique consiste en la conviction des sujets de droit d’agir en vertu d’une règle obligatoire, alors qu’elle ne n’est pas. Ainsi est-ce le corps social qui, par sa fausse conviction en son caractère impératif et contraignant, confère à la règle coutumière sa force normative.
Une fois ces éléments réunis, la tradition ou l’usage considéré peut être qualifiée de coutume, en tant que source de droit, c’est-à-dire qu’elle sera dotée d’une force obligatoire autonome (des autres sources de droit).
■ Complexité de la coutume : la diversité de ses rapports à la loi – La coutume peut autant découler de la loi (secundum legem) que compléter la loi (praeter legem), ou encore la contredire (contra legem)
La coutume secundum legem
« Suivant la loi », ce premier type de coutume existe sur ordre du législateur. Conscient de l’existence d’une pratique antérieure, constante et répétée, le législateur renvoie parfois expressément à telle coutume ou à tel usage, lui conférant sa force obligatoire. À noter que même dans ce cas, la coutume reste une source autonome du droit car si le législateur valide la coutume, le contenu de la règle de droit reste exclusivement déterminé par cette dernière.
Dans le cadre de cette « délégation » légale, deux situations sont à distinguer : celle dans laquelle la loi confère à la coutume un caractère supplétif, en sorte que la coutume reste susceptible d’être écartée par une disposition contraire (ex : en matière contractuelle, le renvoi légal aux usages permet au juge de compléter le contenu des obligations nées du contrat : C. civ., art. 1194) ; celle dans laquelle la loi reconnaît à la coutume un caractère impératif, ce qui la rend applicable malgré l’existence d’une disposition contraire. C’est par exemple le cas de plusieurs usages locaux afférents à la propriété immobilière (C. civ. art. 645, 663, 671 et 674). Cela signifie qu’en pareil cas, la règle légale a un caractère supplétif, et qu’elle ne s’applique donc qu’en l’absence d’usage.
À noter que lorsque le caractère impératif de l’usage est reconnu par une loi organique, la reconnaissance de la coutume résulte non plus d’une délégation de la loi mais d’une délégation du constituant, en sorte que même en cas de silence de la coutume, la loi ne s’applique pas à titre subsidiaire (v. à propos du statut civil coutumier kanak reconnu par l’art. 7 de la loi organique n° 99-210 du 19 mars 1999, Civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 08-20.843, écartant en cas de divorce l’application des articles 270 s. du Code civil pour refuser à l’épouse le droit d’obtenir une prestation compensatoire). Dans ce cadre spécifique, les conflits entre la loi et la coutume ne peuvent être réglés au profit de la loi, la coutume étant concurrente et non subsidiaire à la règle légale (v. P. Deumier, « La coutume kanake, le pluralisme des sources et le pluralisme des ordres juridiques », RTD civ. 2006. 516).
La coutume praeter legem
« Dans le silence de la loi », l’existence de la règle coutumière complète la loi lorsque celle-ci se révèle lacunaire. Cette hypothèse consacre l’autonomie de la coutume par rapport à la loi, qui ne détient pas le monopole de la création du droit.
Elle renvoie par exemple à l’usage selon lequel la femme mariée porte le nom de son mari, cette règle coutumière ayant d’ailleurs été ultérieurement consacrée par le législateur qui, par une loi du 6 février 1893, avait complété l’ancien article 299 du Code civil dans les termes suivants : « par l’effet du divorce, chacun des époux reprend l’usage de son nom » (v. C. civ., art. 264). De même, il était d’usage que la preuve de la qualité d’héritier puisse s’établir par un acte de notoriété, ce que la loi a encore une fois repris à son compte par la loi du 3 décembre 2001 (art. 730-1).
En dehors du droit civil, on peut citer le contrat de compte-courant, fruit d’une pratique commerciale née au XIXè siècle, ou encore l’usage d’entreprise en droit du travail ; en droit externe, on songe naturellement à la fameuse Lex mercatoria, ce droit coutumier défini par les milieux professionnels du commerce international et spontanément suivi par les destinataires de tels usages, indépendamment de tout Droit étatique (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 11e éd., 2016).
La coutume contra legem
Une coutume contraire à la loi est en principe dénuée de force obligatoire. Si la coutume est source du droit, c’est à la condition, au demeurant essentielle, de ne pas contredire la loi, qui lui est hiérarchiquement supérieure. En raison de sa supériorité hiérarchique, la loi peut donc abroger une coutume contraire à ses dispositions. Naturellement, la réciproque n’est pas vraie : une coutume ne saurait abroger un texte légal. Cette affirmation doit toutefois être nuancée en distinguant selon que la coutume s’oppose à une loi impérative ou supplétive de volonté.
Lorsque la coutume s’oppose à une loi supplétive de volonté, la loi est alors écartée de la même manière qu’elle peut l’être par l’effet d’une stipulation contractuelle contraire. Par exemple, en droit commercial, on a coutume de présumer la solidarité des codébiteurs, contrairement au principe posé par l’article 1202 du Code civil. Aussi, en droit des personnes, l’article 408 du Code civil indique que le tuteur représente le mineur dans tous les actes de la vie civile, « sauf les cas où l’usage autorise le mineur à agir lui-même ».
Lorsque la coutume s’oppose à une loi impérative, la coutume ne peut prévaloir pour abroger la loi par désuétude. Sur ce point, la jurisprudence est constante, ayant ainsi affirmé que « les lois et règlements ne peuvent tomber en désuétude par suite d’une tolérance plus ou moins prolongée, et ne peuvent être abrogés que par des dispositions supprimant expressément celles en vigueur ou inconciliables avec elles » (Crim. 12 avr. 1960, JCP 1960.II.11765). En pratique, cela n’empêche pas, pourtant, qu’une coutume contra legem puisse parfois conduire à la non-application de la loi. Par exemple, le don manuel, qui consiste à remettre un objet mobilier de la main à la main, est valable alors même que cette pratique est contraire à la règle d’ordre public de l’article 931 du Code civil, qui exige par principe que toute donation, sans aucune distinction, ait lieu en la forme notariée. Contrairement à cette disposition, une jurisprudence traditionnelle, qui ne fait que prolonger un système déjà admis par l'Ancien Droit, admet la validité du don manuel. « La meilleure raison que l'on puisse donner de cette jurisprudence, c'est qu'il est impossible d'empêcher les dons manuels en raison du caractère fugitif de la chose mobilière. Il est donc préférable que le Droit valide ce qu'il ne saurait empêcher » (Jean Carbonnier, Cours d’enregistrement, 1956-1957). Ne serait-ce donc pas, alors, admettre que par sa réceptivité et son effectivité, la coutume puisse « parvenir à abroger les lois par désuétude, mais qu’il est préférable de ne pas le dire ? » (J. Cruet, La vie du droit et l’impuissance des lois, Paris, 1908, p.258).
Références :
■ CAA Toulouse, 2 oct. 2025, n° 24TL02100, n° 24TL00602 (2 arrêts) : DAE, 22 oct. 2025, note Christelle de Gaudemont ; AJDA 2025. 1970, chron. M. Torelli
■ Civ. 1re, 1er déc. 2010, n° 08-20.843 : D. 2010. 2911 ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2011. 610, note V. Parisot
■ Crim. 12 avr. 1960, JCP 1960.II.11765
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