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Tradition locale ininterrompue et courses de taureaux
Une collectivité territoriale peut-elle légalement autoriser l’organisation d’une manifestation taurine sur son territoire ? Quelles sont les conditions pour que la tradition locale ininterrompue de ce type de manifestations prime sur le bien-être animal ?
CAA Toulouse, 2 octobre 2025, Commune de Pérols, n° 24TL02100
CAA Toulouse, 2 octobre 2025, Commune de Bouillargues, n° 24TL00602
La commune de Pérols (Hérault) avait autorisé la tenue d'une novillada, qui oppose de jeunes taureaux à de jeunes toreros, avec mise à mort des taureaux, dans les arènes de la ville, le 15 juillet 2023. Le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier avait suspendu, le 16 mai 2023, la délibération du conseil municipal autorisant la tenue du spectacle tauromachique (n° 2302171-2302216). L’affaire a ensuite été jugée au fonds et le tribunal administratif de Montpellier a annulé la délibération litigieuse (4 juin 2024, n° 2302172). Cette décision vient d’être confirmée par la cour administrative d’appel de Toulouse, le 2 octobre 2025.
La commune de Bouillargues (Gard) avait également décidé d'organiser, le 9 octobre 2021, une « novillada sans chevaux ». Et contrairement, à la décision précédente, le tribunal administratif de Nîmes (10 janv. 2024, n° 2102872) et la cour administrative d’appel de Toulouse ont confirmé la légalité de cette manifestation.
Afin de comprendre pourquoi deux décisions portant sur les mêmes faits aboutissent à des solutions distinctes ; il convient de revenir sur la notion de « tradition locale ininterrompue » utilisée par le juge administratif pour justifier ces décisions.
Selon la première phrase de l’alinéa 7 de l’article 521-1 du code pénal : « Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. ». Il s’ensuit que la coutume peut ainsi permettre que certains sévices graves ou actes de cruauté envers des animaux, et plus précisément des taureaux, ne soient pas répréhensibles.
Cette exception trouve son origine dans la loi n° 51-461 du 24 avril 1951 complétant la loi du 2 juillet 1850 relative aux mauvais traitements exercés envers les animaux, dite « Ramanory-Sourbet », créant, en matière de courses de taureaux, une exception au principe de la répression pénale des sévices graves envers les animaux « lorsqu’une tradition ininterrompue peut être invoquée »; l’adjectif « locale » a cependant été ajouté par un décret du 7 septembre 1959.
Le juge constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution la première phrase de l’alinéa 7 de l’article 521-1 du code pénal (2012-271 QPC, 21 sept. 2012) en précisant que le législateur a entendu que ces dispositions ne puissent pas conduire à remettre en cause certaines pratiques traditionnelles qui ne portent atteinte à aucun droit constitutionnellement garanti. L'exclusion de responsabilité pénale instituée par cette phrase n'est applicable que dans les parties du territoire national où l'existence d'une telle tradition ininterrompue est établie et pour les seuls actes qui relèvent de cette tradition.
■ La notion de « course de taureaux »
Les courses de taureaux sont des spectacles au sens de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. Elles doivent être regardées, qu'elles se concluent ou non par une mise à mort du ou des taureaux, comme constituant un mauvais traitement volontaire envers des animaux, pénalement réprimé par l'article 521-1 du code pénal, sauf lorsqu'existe une tradition locale ininterrompue de courses taurines. Ainsi, une simple course de taureaux sans mise à mort ne peut être autorisée que s’il s’agit d’une tradition locale ininterrompue. Le maire de Lille ne pourrait pas, par exemple, décider d’un lâcher de taureaux dans sa ville pour cette année…
Le juge administratif doit apprécier les faits de chaque espèce pour constater l’existence une tradition locale ininterrompue permettant la tenue d’une course de taureaux dans une commune.
■ La « tradition » est assortie de deux conditions cumulatives :
- une pratique « ininterrompue » en tenant compte de la nature des spectacles antérieurement organisés, la diversité des formes de courses taurines pouvant constituer des pratiques culturellement distinctes et correspondre ainsi à des traditions différentes ;
- une délimitation géographique, « locale ». Le juge apprécie l'existence de cette tradition dans le cadre d'un ensemble démographique qui, sans se limiter nécessairement aux frontières de la commune concernée, doit conserver une dimension locale.
Cette interprétation n’est pas récente, par exemple, le Conseil d’État, dans une décision du 10 février 1967 (n° 68450 A), avait constaté que le préfet (décision préfectorale du 30 mai 1963) ne pouvait légalement autoriser une course de taureaux avec mise à mort, à Canet-plage car aucune manifestation de ce type n'avait été organisée avant 1951 et que, depuis cette date, il n'a été donné de spectacles de cette nature qu'en 1952 et en 1959. Même en recherchant l'existence d'une tradition locale dans l'ensemble des communes groupées entre Perpignan et Canet-plage, il est établi qu'à la date de la décision attaquée du préfet et depuis 1953, des courses de taureaux n'avaient eu lieu à Perpignan qu'en une seule occasion. Ainsi, le juge administratif a pu constater qu’il n’existait pas de tradition locale ininterrompue.
Plus récemment, si la commune de Pérols est marquée par l'existence d'une culture taurine, illustrée notamment par la présence, sur son territoire, d'arènes et l'organisation régulière, depuis plusieurs décennies, de manifestations taurines festives ; il en va différemment pour les manifestations comme les corridas ou les novilladas, ayant pour conséquence la mise à mort de l'animal, qui n’ont plus été tenues depuis 2002. Par ailleurs, les affiches et coupures de presse relatives à des spectacles organisés dans les communes voisines, de même que l'instauration d'un trophée taurin par la métropole de Montpellier, ne suffisent pas à établir l'existence d'une tradition locale ininterrompue de spectacles entraînant la mise à mort de l'animal à l'échelle d'un ensemble démographique plus vaste incluant la commune de Pérols. Certaines communes proches ont notamment officiellement cessé d'accueillir des corridas depuis 2017 ou 2020. Enfin, la commune de Pérols n'est proche d'aucune ville connaissant une tradition taurine. Dans ces conditions, et dès lors que la persistance d'activités taurines ne permet pas, à elle-seule, d'établir l'existence d'une tradition locale ininterrompue pour le type de spectacles que la commune de Pérols entendait organiser sur son territoire (courses de taureaux avec mise à mort), les délibérations en litige ne sauraient relever de l'exception prévue par les dispositions précitées de l'article 521-1 du code pénal (n° 24TL02100).
Inversement, les juges administratifs d’appel ont constaté que la commune de Bouillargues doit être regardée, compte tenu notamment de son inclusion dans la communauté d'agglomération « Nîmes Métropole » et de l'attractivité de l'aire nîmoise, comme se rattachant à l'ensemble démographique de Nîmes, dont elle est en outre géographiquement très proche. De plus, il existe au sein de la commune de Nîmes, une forte tradition taurine qui se manifeste par l'organisation régulière de spectacles complets de corridas au moyen de structures adaptées permanentes attirant un nombre conséquent de spectateurs. La tradition taurine à Nîmes exerce une influence culturelle qui n'est pas circonscrite aux limites administratives de son territoire. En outre, la commune de Bouillargues est géographiquement proche des communes de Rodilhan, de Saint-Gilles, de Vauvert, de Beaucaire et d'Arles où se tiennent également des spectacles complets de corridas et novilladas. Enfin, même si des novilladas ne se sont pas tenues à Bouillargues avant 2016, cette commune est elle-même marquée par la culture taurine, ainsi qu'en témoigne la création sur son territoire, dès 1921, d'un club taurin dont le centenaire a été célébré en 2021. La commune de Bouillargues doit être regardée comme située dans un ensemble démographique dans lequel les spectacles de corridas et de novilladas peuvent se prévaloir d'une tradition locale ininterrompue.
A noter que le législateur prévoit une seconde exception au principe de répression pénale des sévices graves envers les animaux lorsqu’il existe une tradition locale ininterrompue pour les combats de coqs (C. pén., art. 521-1, al. 7, 2de phrase). Toutefois, le huitième alinéa de l'article 521-1 du code pénal prévoit également que, pour ce type de combats, il est interdit de créer de nouveaux gallodromes. Le juge constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité de cet alinéa (n° 2015-477 QPC) en précisant que si le législateur a entendu, tant pour les courses de taureaux que pour les combats de coqs, fonder l'exclusion de responsabilité pénale sur l'existence d'une tradition ininterrompue, il s'agit toutefois de pratiques distinctes par leur nature. Il ressort également des travaux préparatoires de la loi n° 64-690 du 8 juillet 1964 modifiant la loi n° 63-1143 du 19 novembre 1963 relative à la protection des animaux que le législateur a entendu encadrer plus strictement l'exclusion de responsabilité pénale pour les combats de coqs afin d'accompagner et de favoriser l'extinction de ces pratiques. Ainsi, en interdisant la création de nouveaux gallodromes, le législateur a traité différemment des situations différentes.
Références
■ TA Montpellier, ord., 16 mai 2023, n° 2302171-2302216
■ TA Montpellier, 4 juin 2024, n° 2302172 : AJCT 2024. 627, obs. P. Noual
■ CE 10 février 1967, n° 68450 A
■ Cons. const. 31 juillet 2015, M. Jismy R., n° 2015-477 QPC : DAE 14 sept. 2015 ; AJDA 2015. 1945, tribune T. Hochmann ; D. 2015. 1701 ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJCT 2016. 44, obs. L. Fabre ; RSC 2015. 718, obs. B. de Lamy
■ Cons. const. 21 septembre 2012, Comité radicalement anti-corrida Europe, n° 2012-271 QPC : DAE 24 sept. 2012 ; AJDA 2012. 1770 ; D. 2012. 2486, note X. Daverat ; ibid. 2233, édito. F. Rome ; ibid. 2917, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2012. 597, obs. C. Lacroix ; AJCT 2013. 50, obs. L. Fabre ; JS 2012, n° 125, p. 9, obs. G.D. ; RFDA 2013. 141, chron. Agnés Roblot-Troizier et G. Tusseau ; Constitutions 2012. 616, obs. P. Abadie ; RSC 2013. 427, obs. B. de Lamy
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