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Droit des personnes
Point sur la protection de la liberté de choix du prénom
En droit français, l’attribution du prénom est régie par un principe de liberté, garanti à la fois par le législateur et par le juge. Cette liberté fait en outre l’objet d’une double protection, civile et pénale, renforçant la volonté de préserver cet attribut essentiel de la personnalité contre les limites excessives et les atteintes répréhensibles susceptibles de lui être portées.
La protection civile de la liberté de choix du prénom – La liberté de choix du prénom est principalement protégée par le droit civil, qui consacre le caractère volontaire du choix du prénom de l’enfant par ses parents (C. civ., art. 57), à l’inverse du nom de famille, imposé par la filiation et déterminé par les règles d’attribution légale.
Jadis limitée aux prénoms historiques et calendaires, la liberté de choix dans l’attribution du prénom est désormais quasi-totale, le prénom se présentant autant comme un moyen d’identification sociale et familiale que comme un attribut personnel revêtant un caractère intime et affectif (CEDH, 24 oct. 1996, Guillot c./France, req. n° 22500/93). Déjà observée en pratique, la poursuite d’une politique libérale concernant l’attribution du choix du prénom a été consacrée par une loi du 8 janvier 1993, abrogeant la loi du 11 Germinal an XI restreignant le choix des parents aux prénoms tirés des différents calendriers ou connus de l’histoire française. Depuis cette loi, tout prénom peut en principe être librement choisi. Sont notamment admis les prénoms étrangers, d’origine européenne ou extra-européenne, ou encore ceux issus d’une tradition locale (basques, bretons), sous la seule réserve que les caractères alphabétiques étrangers ne soient pas utilisés.
Cette liberté reste contrôlée par les autorités, mais ce contrôle ne s’exerce qu’a posteriori, au nom de l’intérêt de l’enfant et du droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, lesquels peuvent exceptionnellement justifier l’opposition de l’officier d’état civil puis la suppression par le JAF, après en avoir été avisé, du prénom choisi sur les registres d’état civil. A ainsi été jugé non conforme à l’intérêt de l’enfant le prénom de Titeuf, héros d’une bande-dessinée qui est « présenté comme un garnement pas très malin » (Civ. 1re, 15 févr. 2012, n° 10-27.512 et 11-19.963) ou encore celui de « Joyeux », « Nutella », « Djihad » (v. A. Marais, Droit des personnes, Dalloz, 4e éd., n°180).
La protection pénale de la liberté de choix du prénom – La liberté de choix du prénom est indirectement protégée en droit pénal par le biais de la prohibition de l’injure, infraction définie à l’article 29, alinéa 2, de la loi sur la presse. L’injure correspond à toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis. Du point de vue de sa matérialité, elle suppose des propos utilisés pour insulter une personne ou un groupe de personnes déterminées, même en l’absence d’atteinte à l’honneur ou à la considération (sinon l’infraction constitue une diffamation, incriminée au § 1er du même article). Pour être publique, l’injure implique en outre l’utilisation de l’un des moyens de publicité énoncés par l’article 23, qui procède par énumération des différents supports de publicité. S’agissant des paroles en particulier, elles doivent avoir été proférées, c’est-à-dire tenues à haute voix, dans un espace public (l’injure non publique demeure incriminée, mais au titre des contraventions de la 1re classe). Son élément moral est classiquement présumé, l’injure étant réputée faite dans l’intention de nuire. Par un arrêt du 2 septembre 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation a retenu cette qualification pour rendre définitive la condamnation au délit d’injure publique envers un particulier un polémiste qui avait qualifié, dans une émission de télévision, le prénom d’une femme, d’origine supposément étrangère, « d’insulte à la France » (n° 24-82.963). Stigmatisant le prénom de la partie civile, attribut essentiel de sa personnalité, en la renvoyant à son ascendance africaine, ses propos ont été jugés comme constituant une injure raciale. Désormais admise presque sans réserves (v. supra), l’extranéité du prénom de la personne se trouve ainsi protégée, en droit pénal, par la sanction de cette infraction spécifique : injure spéciale, l’injure raciale nécessite en effet d’établir, outre les éléments classiques constitutifs de l’infraction, un mobile ségrégationniste : l’article 33, alinéa 3, de la loi sur la presse incrimine ainsi l’injure visant une personne ou un groupe de personnes « à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée », ce qui était le cas en l’espèce. Ce mobile, qu’il soit expressément formulé ou dissimulé, procède du lien de causalité que l’auteur des propos fait entre le mépris jeté sur la victime et la race de celle-ci, l’infraction consistant à reprocher à autrui, à raison de sa race, d’être ou d’agir de telle façon (Rép. pén., v° Injures publiques et non publiques, E. Dreyer, n° 69). L’injure raciale est une injure aggravée qui fait encourir à son auteur une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
La preuve des éléments constitutifs de l’injure suppose toutefois de tenir compte de l’ensemble des circonstances dans lesquelles les propos ont été tenus. Dans l’affaire rapportée, le polémiste avait, pour sa défense, fait valoir le contexte global de ses propos, inscrits dans le cadre d’un débat d’intérêt général, relatif à la défense d’une politique d’assimilation à laquelle contribuerait le retour à l’obligation légale de choisir un prénom français. Selon lui, ce contexte global devait exclure la qualification d’injure raciale retenue en cause d’appel. Ce n’est pas l’avis de la Cour de cassation, qui confirme la qualification d’injure raciale dès lors que ces propos, injurieux à l’égard de la partie civile à raison de son origine supposée, ne s’inscrivaient plus dans le débat d’intérêt général sur le choix des prénoms qui était le sujet des précédents échanges et dépassaient, dès lors, les limites admissibles de la liberté d’expression.
Références :
■ CEDH, 24 oct. 1996, Guillot c./France, req. n° 22500/93 : RTD civ. 1997. 396, obs. J. Hauser ; ibid. 551, obs. J.-P. Marguénaud
■ Civ. 1re, 15 févr. 2012, n° 10-27.512 et 11-19.963 : DAE, 2 mars 2012, note M.H. ; D. 2012. 552 ; ibid. 2267, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2012. 231, obs. M. Lambert ; RTD civ. 2012. 287, obs. J. Hauser
■ Crim. 2 sept. 2025, n° 24-82.963 : D. 2025. 1478
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