Actualité > À la une
À la une

Droit de la famille
Point sur l’adoption coparentale dans les couples de femmes
L’adoption plénière de l’enfant du conjoint, du partenaire ou du concubin, est susceptible de faire apparaître des liens de filiation dans des contextes factuels assez divers. Cependant, c’est à la suite d’une recomposition familiale qu’elle a le plus naturellement vocation à être sollicitée. En conséquence, le législateur permet à un individu d’adopter un enfant dont son conjoint, partenaire ou concubin, est le parent biologique, dans le cas où l’autre parent est décédé ou privé de son autorité parentale, et que l’enfant est élevé par son second parent par le sang ainsi que par la personne vivant désormais en couple avec lui (C. civ., art. 370-1-3).
C’est pourtant dans d’autres circonstances que l’intérêt de l’adoption coparentale s’est révélé. Après l’entrée en vigueur de la loi « Mariage pour tous » du 17 mai 2013, elle est en effet devenue le principal moyen d’établir la filiation de l’enfant à l’égard d’un couple unissant deux personnes de même sexe. Il importe à cet égard de rappeler que jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi bioéthique du 2 août 2021 ouvrant l’aide médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes, la loi française réservait l’assistance à la conception aux couples hétérosexuels. Pour compenser cette exclusion, l’adoption coparentale dans les couples de femmes a donc été, jusqu’à une époque récente, considérablement favorisée par le législateur comme par le juge. L’ouverture de l’AMP aux couples de femmes, par l’introduction de la « reconnaissance conjointe anticipée » en droit de la filiation, a néanmoins changé la donne : restant utile, l’adoption plénière de l’enfant de son épouse, partenaire ou concubine, occupe désormais une place subsidiaire.
Des obstacles levés – Jusqu’en 2021, faute de pouvoir recourir à l’AMP, la lesbienne qui souhaitait enfanter disposait toutefois de la possibilité d’effectuer une PMA à l’étranger ou de subir une insémination artificielle illicite, à la suite desquelles elle pouvait consentir à ce que l’enfant ainsi mis au monde soit adopté par son épouse. La paternité de l’enfant étant en pratique rarement établie, sa requête était alors susceptible d’être accueillie, sous réserve de la fraude retenue par certains juges du fond pour s’opposer à l’adoption par l’épouse de la mère de l’enfant, conçu à l’étranger en fraude à la loi française. Leur position avait toutefois été fermement condamnée par la Cour de cassation. Dans deux avis rendus le 22 septembre 2014, marquant le début de l’élaboration d’un régime de faveur à l’adoption de l’enfant dans les couples de femmes (Avis, 22 sept 2014, Bull. civ. avis n°6 et 7), celle-ci avait en effet affirmé que le recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme à l’étranger, ne faisait pas obstacle au prononcé de l‘adoption, par l’épouse de la mère de l’enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l’adoption étaient réunies et qu’elle était conforme à l’intérêt de l’enfant. La possibilité ainsi reconnue par la Cour de cassation aux couples lesbiens de recourir à l’adoption plénière avait remporté un franc succès au point que jusqu’en 2020, près de la moitié des adoptions plénières prononcées l’étaient à la demande de l’épouse de la mère biologique.
En outre, avec l’entrée en vigueur de la loi du 21 février 2022, l’adoption coparentale a été généralement favorisée par son ouverture aux concubins et partenaires pacsés, la condition liée au mariage des membres du couple, hétérosexuel ou homosexuel, ayant été purement et simplement supprimée. Cette suppression devait mécaniquement conduire à accroître le nombre d’adoptions plénières prononcées au sein des couples de femmes, les partenaires ou concubines devenant éligibles à la procédure d’adoption.
Ainsi libérée des obstacles jadis érigés à son prononcé, l’adoption coparentale dans les couples de femmes a connu un essor spectaculaire. Son succès semblait toutefois voué à faiblir en conséquence de l’ouverture, en 2021, de l’AMP aux couples de femmes et de la possibilité nouvelle d’établir la filiation de l’enfant par un acte de reconnaissance conjointe. Si cette conclusion s’impose, le législateur a contribué à préserver, en cas de séparation du couple, l’utilité de l’adoption coparentale.
Une utilité préservée – Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021, l’AMP est ouverte aux couples de femmes, privant d’intérêt, pour elles, l’adoption coparentale. En effet, en cas d’insémination artificielle ou de fécondation in vitro bénéficiant à un couple lesbien, aucune d’elles n’a désormais besoin d’adopter l’enfant : l’accouchée devient juridiquement la mère par sa désignation dans l’acte de naissance ; quant à son épouse, partenaire ou concubine, elle peut dorénavant établir le lien l’unissant à l’enfant au moyen d’une reconnaissance conjointe devant notaire (C. civ., art. 342-11). La concurrence faite à la procédure d’adoption est d’autant plus forte que le législateur a ouvert la possibilité d’une reconnaissance conjointe aux couples lesbiens ayant eu recours à une AMP à l’étranger avant la publication de la loi précitée, cette reconnaissance a posteriori établissant en outre à l’identique la filiation de l’enfant à l’égard de l’autre femme (art. 6).
Dans le cas d’une AMP réalisée à l’étranger avant la réforme de la loi bioéthique, l’adoption est toutefois restée provisoirement utile, en cas de séparation du couple, lorsque l’accouchée dont la maternité a été officialisée (C. civ., art. 311-25) s’oppose à ce qu’un lien de filiation soit établi entre l’enfant et son ancienne compagne. Dans une telle situation, aucune reconnaissance conjointe n’est alors envisageable. En revanche, une adoption est momentanément concevable : « À titre exceptionnel, pour une durée de trois ans à compter (du 21 février 2022) lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l'acte de naissance de l'enfant refuse la reconnaissance conjointe (…), la femme qui n'a pas accouché peut demander à adopter l'enfant, sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun et de l'assistance médicale à la procréation réalisée à l'étranger avant la publication de la loi (du 2 août 2021) (…). Le tribunal prononce l'adoption s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige. » L'adoption ainsi obtenue entraîne « les mêmes effets, droits et obligations qu'en matière d'adoption de l'enfant du conjoint, du partenaire d'un pacte civil de solidarité ou du concubin. » (art. 9).
En cas d’impossibilité de reconnaissance conjointe, hypothèse rendue fréquente par l’importance du nombre de divorces et de séparations, l’adoption s’est ainsi présentée comme un outil fort utile à l’établissement du second lien de filiation de l’enfant, malgré la séparation du couple et l’opposition de sa mère légale.
Des conditions évincées – En pareille situation de conflit, l’adoption coparentale s’est vue considérablement favorisée : elle a été rendue envisageable malgré l’absence de consentement de l’accouchée et en dépit de la disparition du lien conjugal ou de la vie de couple entre elle et la requérante (art.9 ; v. réc. Civ. 1re, 26 mars 2025, n° 22-22.507, DAE 2 mai 2025, note M. Hervieu). Sur un plan probatoire, les règles ont en outre été largement assouplies par la Cour de cassation, au service de la finalité comme de l’efficacité des textes. Ainsi a-t-elle d’abord refusé de soumettre le prononcé de l’adoption à une condition autonome tenant à l’exigence de protection de l’enfant, considérant qu’ « admettre que le législateur ait posé une exigence supplémentaire supposant de démontrer concrètement que la mesure d’adoption est indispensable pour protéger l’enfant d’un danger, conduirait à limiter considérablement la possibilité d’adoption plénière alors même que le refus de reconnaissance conjointe serait injustifié » (Civ. 1re, 23 mai 2024, n° 22-20.069). Dans une même volonté d’assouplissement, elle a récemment écarté tout formalisme dans la preuve du refus de la mère légale, « aucune exigence formelle relative à la mise en œuvre d’une tentative préalable de reconnaissance conjointe devant notaire » n’étant requise par la loi : « la preuve du refus de la mère inscrite dans l’acte de naissance de procéder à cette reconnaissance peut être rapportée par tout moyen ». (Civ. 1re, 12 juin 2025, n° 24-10.743).
Une portée temporellement limitée - Exorbitante des règles normalement applicables, la possibilité pour une femme d’adopter en pareilles circonstances n’a toutefois été conçue que comme une solution temporaire et transitoire, limitée à une durée de trois ans. À noter que le dispositif précité a donc expiré le 24 février dernier. Dans les couples de femmes, l’établissement d’une double filiation maternelle emprunte désormais la voie principale de la reconnaissance conjointe, dont la remise à l’officier d’état civil permet d’établir la filiation de l’enfant à l’égard de la femme qui ne l’a pas porté, de cette façon désignée en qualité de mère dans l’acte de naissance (C. civ., art. 342-11). La mention de deux mères dans l’acte de naissance de l’enfant établit son double lien de filiation. Le recours à l’adoption plénière se présente comme un choix subsidiaire, qui pourra être adopté à défaut de reconnaissance conjointe anticipée. En effet, en dépit de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes, certaines Françaises continuent de se rendre à l’étranger, notamment pour éviter des délais d’attente trop longs. Or même dans ce cas, le couple devra procéder à une reconnaissance conjointe devant un notaire français : si la reconnaissance n’impose pas de recourir à l’AMP en France, elle doit dans tous les cas être établie sur notre sol pour y faire établir la filiation de l’enfant à l’égard de sa mère d’intention. À défaut d’y avoir procédé, cette dernière garde toutefois l’option de solliciter l’adoption de l’enfant de sa compagne (C. civ. art. 348-1).
Références :
■ C. Cass. Avis, 22 sept 2014, n° 14-70.006 et n° 14-70.007 : D. 2014. 2031, obs. A. Dionisi-Peyrusse, note A.-M. Leroyer ; ibid. 2015. 21, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 649, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1007, obs. RÉGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1777, chron. I. Gallmeister ; ibid. 1919, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2014. 555 ; ibid. 523, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2014. 872, obs. J. Hauser
■ Civ. 1re, 26 mars 2025, n° 22-22.507 : DAE 2 mai 2025, note M. Hervieu ; D. 2025. 582 ; AJ fam. 2025. 279, obs. M. Saulier ; ibid. 192, obs. A. Dionisi-Peyrusse
■ Civ. 1re, 23 mai 2024, n° 22-20.069 : D. 2024. 1510, note M. Mesnil ; AJ fam. 2024. 464, obs. L. Brunet ; ibid. 325, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2024. 631, obs. A.-M. Leroyer
■ Civ. 1re, 12 juin 2025, n° 24-10.743 : AJ fam. 2025. 393, obs. M. Saulier ; ibid. 364, obs. A. Dionisi-Peyrusse
Autres À la une
-
Droit pénal général
[ 13 octobre 2025 ]
Point sur : « Les nouveaux quartiers de lutte contre la criminalité organisée »
-
Droit des obligations
[ 10 octobre 2025 ]
Responsabilité de plein droit des constructeurs : l’indétermination de la cause du dommage n’empêche pas le jeu de la présomption d’imputabilité
-
Droit de la responsabilité civile
[ 9 octobre 2025 ]
La responsabilité du fait d’autrui en tableau
-
Droit administratif général
[ 8 octobre 2025 ]
Les missions du Conseil d’État
-
Droit des obligations
[ 7 octobre 2025 ]
Appréciation de la date de connaissance d’un vice caché dans une chaîne de contrats : la première chambre civile s’aligne sur la chambre commerciale
- >> Toutes les actualités À la une