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[ 15 juin 2023 ] Imprimer

Droit immobilier

Point sur les potentielles conséquences du manque de fiabilité du diagnostic de performance énergétique

Si la loi française ne définit pas la performance énergétique, le décret n° 2021-19 du 11 janvier 2021 relatif au critère de performance énergétique dans la définition du logement décent en France métropolitaine fixe un critère en la matière dans la définition du logement décent en France métropolitaine en se basant sur le diagnostic de performance énergétique (DPE), ce dernier devant démontrer une consommation d'énergie inférieure à 450 kilowattheures d'énergie finale par mètre carré de surface habitable et par an pour que le logement puisse être considéré comme décent.

Cet instrument, dont la médiatisation est particulièrement assurée depuis 2021 grâce à l’entrée en vigueur de la loi Climat et résilience (loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets 1) a pourtant été créé en 2006 (arrêté du 15 septembre 2006 relatifs au diagnostic de performance énergétique pour les bâtiments ou parties de bâtiment autres que d'habitation existants proposés à la vente en France métropolitaine). Il évalue par un système d’étiquettes de A à G la consommation d’énergie d’un bâtiment et son impact en termes d’émissions de gaz à effet de serre, l’objectif étant notamment d’identifier les « passoires thermiques » (étiquettes F et G), représentant les logements qui consomment le plus d’énergie et/ou émettent le plus de gaz à effet de serre. Le diagnostic de performance énergétique doit être réalisé par un professionnel certifié (CCH, art. L. 126-26 ; art. R. 271-1) et s’impose dans certaines situations juridiques telles que : la vente d’un bâtiment ou d’une partie de bâtiment (CCH, art. L. 271-4) ; la conclusion ou le renouvellement du contrat de location (CCH, art. L. 126-29) ; lors de la construction ou de l’extension d’un immeuble (CCH, art. L. 126-27) et également les annonces immobilières de vente ou de location (CCH, art. L. 126-33). Ce diagnostic, mis à part quelques exceptions (Décret n° 2020-1610 du 17 décembre 2020 relatif à la durée de validité des diagnostics de performance énergétique), sera valable pendant 10 ans. Aussi pour être valable ce DPE doit être enregistré dans la base de données de l’observatoire de l’ADEME. Cette obligation s’impose au diagnostiqueur depuis le 1er juin 2013.

Depuis sa création d’importantes réformes sont entrées en vigueur, comme celle de 2013 (décret n° 2013-695 du 30 juillet 2013 relatif à la réalisation et à l'affichage du diagnostic de performance énergétique dans les bâtiments accueillant des établissements recevant du public de la 1re à la 4e catégorie) et surtout celle du 1er juillet 2021 (arrêté du 31 mars 2021 relatif au diagnostic de performance énergétique pour les bâtiments ou parties de bâtiments à usage d'habitation en France métropolitaine), le DPE perdant son caractère informatif et devenant opposable. La nouvelle méthode d’évaluation de la performance énergétique d’un bâtiment (méthode de calcul conventionnelle dite « 3CL-DPE-2021 » définie par arrêté) prend en considération certains facteurs comme l’isolation, le chauffage, la ventilation, la production d'eau chaude sanitaire, et n’est plus générée à partir de factures, elle repose sur des données d’entrée visant les caractéristiques constructives et les équipements de chaque logement. Une méthode de calcul est appliquée, en cas de copropriété, à chaque lot et non plus au bâtiment entier. Le choix de la méthode employée reste contesté et la fiabilité des DPE est remise en question par plusieurs études récentes.

La première publiée par Hello Watt en janvier 2023 et récemment modifiée le 1er mars 2023 pour plus d’éclaircissements compare les DPE avec la consommation énergétique mesurée par des compteurs connectés. Il y apparaît qu’il n’existe pas de corrélation manifeste entre les deux : « parmi les 221 logements qui ont été identifiés, 29 % sont classés dans la même classe DPE avec les deux méthodes, 40 % sont classées dans des classes adjacentes, et 31 % dans des classes ni identiques ni adjacentes » (validation à grande échelle des diagnostics de performance énergétique via la consommation mesurée par les compteurs connectés Guillaume Matheron Hello Watt).

La deuxième étude publiée par UFC Que Choisir consiste à faire tester un même logement par plusieurs diagnostiqueurs. On y découvre que « parmi les 7 maisons qui ont fait l’objet de nombreux diagnostics (entre 4 et 5 chacune), 6 d’entre elles ne se sont pas vues reconnaître la même classe énergétique, avec même une maison pour laquelle la classe attribuée va de B à E alors qu’elle est basse consommation ! ».

Ce manque de fiabilité constitue un véritable problème pour le développement et l’application d’un droit contraignant en matière de rénovation énergétique, qui émerge des lois récentes. En effet, les passoires énergétiques (classes F et G) la réalisation d’audits énergétiques pour toutes les ventes de maisons individuelles et de bâtiments d’habitation collective en monopropriété s’impose depuis le 1er avril 2023 (v. art. 1er de l’arrêté du 9 août 2022 modifiant l'arrêté du 4 mai 2022 définissant le contenu de l'audit énergétique réglementaire prévu par l'article L. 126-28-1 du code de la construction et de l'habitation et applicable en France métropolitaine) ; le gel de l’augmentation de leurs loyers est en vigueur depuis le 25 août 2022 ; une interdiction à terme de leur présence sur le marché locatif via l'exigence d'un niveau minimal de performance pour la décence, qui conduira à considérer comme non décents les logements classés G à compter de 2025, les logements classés F à compter de 2028 et les logements classés E à compter de 2034 (v. art. 159 Loi Climat et résilience), sans compter que depuis le 1er janvier 2023 certains logements classés G sont déjà considérés comme indécents. De plus, toutes ces mesures ont un impact direct sur les prix des biens, sur la hausse de taux d’intérêt et enfin sur la valorisation du parc de logements.

Comment caractériser l’indécence d’un logement pour défaut de performance énergétique si l’instrument devant évaluer cette dernière est défaillant ? L’enjeu est important car le juge peut selon l’article 20-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 réduire ou suspendre le paiement du loyer tant que les travaux prescrits et nécessaires à la décence du logement ne sont pas réalisés.

Comment appliquer l’opposabilité du DPE ? Sans même penser aux risques et incertitudes contentieuses... La fiabilité du DPE est encore un sujet médiatique et la question de la responsabilité des différents acteurs, diagnostiqueurs et potentiellement vendeurs et bailleurs, en cas de fourniture d'un DPE erroné, reste source d’inquiétude. En outre, la qualification juridique d’un DPE en tant « qu’ erroné » pour caractériser le fait générateur de la responsabilité du diagnostiqueur n'est pas chose aisée.

Avant le caractère « opposable » du DPE, qui remplace le caractère purement informatif de celui-ci et permet donc la mise en œuvre du régime de la responsabilité des acteurs, la jurisprudence (Civ. 3e, 21 nov. 2019, n° 18-23.251) avait déjà considéré que le montant du préjudice indemnisable se traduisait en une perte de chance de négocier le prix de vente (réduction en fonction des travaux à prévoir)... un renouvellement de la jurisprudence pourrait se présenter dans les années à venir... 

Références :

■ Xpair : Nouveau DPE : chronique d’un désastre annoncé

 Hello watt : 71 % des DPE ne correspondent pas à la consommation mesurée par Linky

■ UFC-Que Choisir : Diagnostics de performance énergétique. Du grand n’importe quoi, encore et toujours

■ Civ. 3e, 21 nov. 2019, n° 18-23.251 P : DAE, 11 déc. 2019, note M. Hervieu ; D. 2019. 2386 ; ibid. 2384, avis P. Brun ; ibid. 2387, note P. Jourdain ; ibid. 2020. 1012, obs. V. Monteillet et G. Leray ; AJDI 2020. 532, obs. G. Maire ; AJ contrat 2020. 41, obs. C.-E. Bucher ; RTD civ. 2020. 85, obs. H. Barbier.

 

Auteur :Fernanda Sabrinni-Chatelard et Gaëlle Audrain-Demey


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