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[ 20 mai 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Point sur : le prix du contrat

Sans régime unique, le prix du contrat obéit à des règles diverses qui font en outre l’objet d’évolutions constantes. C’est pourquoi il est source de nombreuses difficultés, auxquelles la réforme de 2016 a tenté de remédier. Voici un point sur les règles principales qu’il est possible de dégager de l’évolution du droit sur le régime qui lui est désormais applicable.

Exigence de détermination de la prestation du contrat - Pour que le contrat soit valable, encore faut-il que le contractant sache ce à quoi il s’engage. C’est pourquoi la détermination de son contenu a toujours été une condition essentielle de sa validité. Avant la réforme de 2016, la jurisprudence exigeait, sur le fondement de l’ancien article 1129 du Code civil, que l’objet du contrat fût déterminé. Pour l’essentiel, les nouveaux articles 1163 s. du Code civil entérinent et complètent la jurisprudence antérieure, substituant toutefois au terme d’ « objet » du contrat celui de « prestation ». De manière générale, la prestation doit être déterminée, ou déterminable, ie déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans nécessité d’un nouvel accord entre elles. La sanction de l’indétermination de la prestation du contrat réside en principe dans la nullité de la convention.

Ces exigences paraissent s’appliquer à toute obligation, quel qu’en soit l’objet. Pourtant, lorsqu’elles sont mises en relation avec le prix de la prestation, celles-ci font naître plusieurs interrogations, au point qu’il est permis d’interroger leur transposition au prix du contrat.

Transposition au prix du contrat – La transposition des règles précédentes au prix du contrat ne va pas de soi. D’une part, le prix ne peut être assimilé, stricto sensu, à une prestation. D’autre part, jusqu’à la réforme du droit des contrats, aucun texte de portée générale n’exigeait que le prix du contrat fût déterminé au stade de sa formation, même si certains contrats spéciaux se trouvaient déjà soumis par dispositions dérogatoires à la nécessité d’un prix déterminé (vente, bail, contrat de travail, etc.). 

Bien que l’on puisse hésiter à qualifier le prix de prestation, ce dernier paraît bien soumis à l’exigence générale d’une prestation déterminée dès la conclusion du contrat, le nouvel article 1163 du Code civil ne réservant pas de dérogation particulière pour le prix du contrat. Dès avant la réforme, la jurisprudence empruntait les règles gouvernant les choses de genre pour les appliquer au prix de certains contrats spéciaux : le prix ne pouvant être fixé par le juge, il devait être déterminé par les parties, ou déterminable selon des critères objectifs indépendants de la volonté des contractants (ex. pour la vente, Req., 7 janv. 1925, GAJC, vol. 2, n° 262). L’exigence relève désormais plus largement du droit commun contractuel : le prix doit être déterminé, ou déterminable lors de la conclusion du contrat, pour tous les contrats conclus à partir du 1er octobre 2016.

Des exceptions sont toutefois réservées dans les cas spécifiques des contrats-cadre et des prestations de service. D’une importance capitale en pratique, des règles spéciales ont en effet été posées pour régir le prix de ces contrats qui faisaient déjà, avant la réforme, l’objet de jurisprudences dérogatoires au droit commun.

Règles propres au prix de la prestation de service – La nécessité d’un prix déterminé a toujours connu une exception traditionnelle dans les contrats ayant pour objet une prestation de service. Compte tenu de l’impossibilité de déterminer par avance l’étendue de ce type de prestation et partant, d’en fixer un prix définitif dès la conclusion du contrat, la jurisprudence considérait que la détermination du prix n’était pas une condition de sa validité. Elle admettait en conséquence que les parties puissent s’accorder sur son montant seulement après l’exécution de la prestation. Un contrat conclu sans prix n’encourrait donc pas de sanction. Si en cours d’exécution, aucun accord ne parvenait à être trouvé, le prix était alors fixé par le juge (Civ. 3e, 24 janv. 1978, n° 76-12.056 ; Civ.1re, 28 nov. 2000, n° 98-17.560).

L’article 1165 du Code civil issu de l’ordonnance a renouvelé ces règles. Selon ce texte, « (d)ans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du contrat ». Conformément à la liberté laissée aux parties par la jurisprudence antérieure, ce texte n’exige pas la fixation du prix au jour de la conclusion du contrat. Il reconnaît en revanche au créancier un pouvoir nouveau de fixation unilatérale du prix dont il doit, en cas de litige, pouvoir justifier le montant. Relevant du droit des contrats de prestation de service, le pouvoir unilatéral du créancier prévu par le nouvel article 1165 n’est applicable qu’à défaut de dispositions légales contraires (Com. 20 sept. 2023, n° 21-25.386, v. DAE, 16 oct. 2023, note Merryl Hervieu). Sous cette réserve, le juge se voit désormais privé de son pouvoir traditionnel de détermination du prix, même en cas de désaccord des parties sur le prix fixé par le créancier. Réduit, son rôle consiste désormais dans l’octroi de DI ou le prononcé de la résiliation du contrat en cas d’abus dans la fixation du prix. À noter que ce pouvoir judiciaire de contrôle du prix abusif déroge au droit commun contractuel : le nouvel article 1171 du Code civil, fondement du contrôle des clauses abusives en droit commun, précise en effet que l’appréciation du déséquilibre significatif – soit le critère de l’abus - ne peut porter sur l’adéquation du prix à la prestation : alors qu’en droit commun contractuel, le prix échappe au contrôle judiciaire de l’abus, le juge détient par exception ce pouvoir s’agissant du prix des prestations de service. 

Du reste, l’article 1165 ne donne pas de critères de l’abus dans la fixation du prix de la prestation de service. La jurisprudence antérieure à la réforme fournit toutefois quelques indices. L’on sait notamment que l’abus dans la fixation unilatérale du prix ne peut se déduire du seul examen objectif de son montant (Civ. 1re, 30 juin 2004, n° 01-00.475, Bull. I, n°190 ; D.2005, p.1828, note D. Mazeaud). Il tiendrait davantage à l’économie du contrat qui confère à un cocontractant une emprise sur l’autre – notamment en raison de sa longue durée ou de son caractère exclusif –, celui-ci n’ayant alors pas d’autre choix que de subir le prix fixé (Com. 21 janv. 1997, n° 94-22.034 D. 1997, p.414, note C. Jamin). L’on sait également qu’un prix abusif n’est pas un prix injuste, le défaut d’équivalence des prestations n’étant pas une cause de nullité des contrats synallagmatiques (C. civ., art. 1168). Mais un prix abusif pourrait être un prix exagéré au regard de la prestation rendue si l’on s’en tient aux Principes du droit européen des contrats (PDEC, art. 1 : 302 et 6 : 105)

Règles propres au prix du contrat-cadre – Les règles gouvernant le prix du contrat-cadre sont également dérogatoires. En outre, l’évolution du régime applicable au prix de ces contrats est notable. Il faut dire que la configuration contractuelle est complexe : les contrats de distribution concernés prennent la forme d’ensembles contractuels imbriquant des conventions multiples. Le plus souvent, un contrat-cadre est conclu entre un commerçant et un producteur. Le commerçant s’engage à s’approvisionner auprès du producteur pendant une certaine période, à des prix déterminés en fonction des tarifs pratiqués par ce dernier. En contrepartie, le producteur octroie au distributeur divers avantages : aide à l’installation sous forme de prêt ou de garantie bancaire, assistance commerciale, etc. En exécution de cette convention cadre, des contrats d’application sont conclus, en exécution desquels le commerçant se fournit auprès du fabricant. Longtemps régie par la jurisprudence, cette organisation contractuelle est désormais explicitement prévue par l’article 1111 du Code civil : le contrat-cadre, qui est « l’accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures », donne naissance à des contrats d’application, qui « en précisent les modalités d’exécution ». 

Pendant longtemps, la jurisprudence refusa d’admettre la validité des contrats-cadre conclus au prix fixé par référence au tarif du fournisseur, assimilé à un prix indéterminé, au point d’entreprendre une véritable chasse à l’indétermination du prix, rendant nulle tous les contrats ainsi conclus sans prix. Elle abandonna toutefois cette entreprise par un revirement de jurisprudence majeur ayant, à la fin de l’année 1995, révolutionné la matière. Cette évolution a été parachevée par la réforme du droit des contrats, qui renforce la spécificité du régime applicable au prix de ces contrats.

■ Avant la réforme

Nullité pour indétermination du prix. Compte tenu des abus susceptibles d’être commis par le « maître du prix » au détriment des commerçants en situation de faiblesse économique, les juges ont initialement entrepris d’annuler les contrats-cadre pour absence de prix :

Com. 11 oct. 1978, n° 77-11.624 : arrêt de principe admettant l’annulation de la convention cadre pour indétermination du prix fixé en référence au tarif fournisseur, sur le fondement de l’article 1129 du Code civil.

Civ. 1re, 22 janv. 1991, n° 88-15.961 : arrêt cantonnant la nullité pour indétermination du prix aux seuls contrats-cadre comportant des obligations de donner.

Admission de la détermination unilatérale du prix. Par les arrêts Alcatel (Civ. 1re, 29 nov. 1994, n° 91-21.009), la Cour de cassation a admis la détermination du prix par référence au tarif du fournisseur, déplaçant la question de la détermination du prix du stade de la formation du contrat à celui de son exécution.

Admission de l’indétermination du prix. Par quatre arrêts de revirement en date du 1er décembre 1995, l’Assemblée plénière a confirmé que le prix fixé par référence au tarif du fournisseur n’affectait pas la validité du contrat, et innové en affirmant que l’article 1129 n’était plus applicable à la détermination du prix, seul l’abus dans la fixation du prix pouvant donner lieu à résiliation ou indemnisation. Le revirement fut total : l’absence de prix laissait inchangée la validité de la convention cadre, sauf textes spéciaux faisant expressément dépendre la validité du contrat de la fixation de son prix (Ass. plén., 1er déc. 1995, n° 91-15.578 et n° 91-15.999 : « lorsqu'une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l'indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n'affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l'abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu'à résiliation ou indemnisation »). 

■ Depuis la réforme

Modification du droit antérieur. Aux termes du nouvel article 1164 du Code civil, « (d)ans les contrats-cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. ». Si dans le prolongement de la jurisprudence antérieure, le prix des prestations futures peut toujours être déterminé unilatéralement par le « maître du prix », c’est à la nouvelle condition que les parties aient préalablement donné leur accord pour un tel mode de fixation. Le maître du prix doit en outre, dans l’éventualité d’une contestation, pouvoir apporter la justification du tarif pratiqué, ce qui constitue également une nouveauté par rapport à la jurisprudence antérieure. À noter que l’admission de l’indétermination du prix de toute convention, sauf dispositions légales contraires (Ass. plén., 1er déc. 1995, n° 93-13.688), n’est pas consacrée par le droit nouveau qui ne prévoit que des dispositions relatives à la fixation unilatérale du prix pour le contrat-cadre et le contrat de prestation de service.

Maintien du droit antérieur. L’abus éventuel dans la fixation du prix reste en revanche sanctionné par l’octroi de dommages et intérêts ou par la résiliation du contrat. Sur ce point, la dérogation au droit commun, qui ne sanctionne pas le prix abusif, doit à nouveau être soulignée (v. supra, sur le contrat de prestation de service). À noter également qu’en conformité avec la jurisprudence d’Assemblée plénière de 1995, le pouvoir judiciaire de révision du prix abusivement fixé, qui avait été proposé par le projet d’ordonnance de février 2015, n’a pas été retenu. La Cour de cassation n’a en effet jamais consacré la possibilité d’une révision judiciaire du prix. Elle admettait uniquement que les parties puissent valablement convenir que l’une d’entre elles fixerait unilatéralement les prix futurs, tandis que la mise en œuvre de ce procédé conventionnel devait être contrôlée par le juge sur le fondement de l’abus. Ce contrôle relevait ainsi des règles traditionnelles de la responsabilité contractuelle, la faute consistant en un abus dans le droit de fixer unilatéralement le prix. La réforme a donc maintenu cet office du juge, cantonné au contrôle de l’abus.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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