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[ 13 janvier 2025 ] Imprimer

Introduction au droit

Point sur les présomptions en droit de la preuve

L’article 1353 du Code civil détermine un ordre de production des preuves qui renvoie à la question de la charge de la preuve (DAE, 29 nov. 2024, Merryl Hervieu). Or cet ordre légalement prévu à l’administration de la preuve peut être renversé par le jeu des présomptions. 

De façon générale, la présomption conduit à tenir pour certain un fait incertain. Lorsqu’elle est posée par la loi, elle est dite « légale » ; lorsqu’elle est appliquée par le magistrat, elle constitue une « présomption judiciaire » (autrefois appelée « présomption du fait de l’homme »). 

Diverses dans leur source, les présomptions le sont également dans leurs effets. En outre, elles n’ont pas toutes la même force probante (sur ces deux points, v. Astrid Marais, Introduction au droit, Vuibert, 10e éd., n°282 s.).

■ L’effet probatoire des présomptions

Certaines présomptions n’opèrent pas, stricto sensu, un renversement de la charge de la preuve, mais conduisent simplement à déplacer l’objet de celle-ci. D’autres, en revanche, opèrent directement un renversement de la charge de la preuve.

Le déplacement de l’objet de la preuve

Lorsqu’un fait connu rend vraisemblable le fait inconnu, il convient parfois de présumer le fait inconnu à partir du fait connu que le demandeur a la charge d’établir. Dans ce cas, la présomption allège le fardeau de la preuve par un déplacement de l’objet de la preuve : pour établir le fait inconnu, le demandeur doit prouver le fait connu. Toutefois, l’allègement du fardeau de la preuve tend indirectement vers un renversement de la charge de la preuve, puisque ce sera au défendeur de renverser la présomption en établissant que le fait présumé n’existe pas. 

C’est le cas des présomptions judiciaires qui se présentent comme des modes de preuve conduisant à déplacer l’objet de la preuve. En effet, les juges admettent fréquemment que la preuve de l’allégation ne soit rapportée que de manière indirecte, par présomption. 

Ces présomptions sont posées par le magistrat qui déduit un fait inconnu d’un fait avéré en se fondant sur une pluralité d’indices fournis par les plaideurs, tels qu’un rapport d’expertise, un acte d’huissier, des certificats médicaux, etc. Aux termes de l’article 1382 du Code civil, de telles présomptions ne peuvent toutefois être retenues qu’à condition d’être « graves, précises et concordantes » et seulement lorsque la preuve peut être rapportée par tous moyens. Par exemple, pour reconstituer la vitesse à laquelle roulait un véhicule lors d’un accident, le juge va tenir compte de l’état de la carrosserie et/ou de la longueur des traces de freinage sur la route (faits connus) pour établir le fait recherché (vitesse du véhicule).

Certaines présomptions légales ont également pour effet de déplacer l’objet de la preuve, en permettant de présumer l’existence d’un fait connexe à celui qui constitue le véritable objet de la preuve. Par exemple, selon l’article 312 du Code civil, « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ». D’un fait établi (l’enfant né ou conçu pendant le mariage), la loi déduit l’existence d’un fait non acquis mais vraisemblable : la paternité du mari. Pour établir son lien de filiation, l’enfant aura donc la seule charge de prouver qu’il a été conçu ou qu’il est né pendant le mariage. En définitive, ce sera au père ainsi désigné et qui entend combattre la présomption de la renverser en prouvant son absence de paternité (C. civ., art. 332, al. 2).

Le renversement de la charge de la preuve

D’autres présomptions ont pour effet plus radical d’opérer un véritable renversement de la charge de la preuve. Ces présomptions visent celles qui présument un fait, sans que le demandeur n’ait rien à prouver. Elles conduisent donc à faire peser sur le défendeur la charge d’établir que le fait présumé n’existe pas. Puisque le demandeur se voit ainsi libéré de toute charge probatoire et que seul le défendeur supporte la charge de prouver l’absence de ce que la loi présume, il n’y a pas seulement un allègement du fardeau de la preuve pour le demandeur par le déplacement de son objet, mais bien un renversement de la charge de la preuve, qui incombe au défendeur.

Par exemple, en droit des biens, le possesseur qui prétend avoir acquis un droit sur une chose par le biais de la prescription acquisitive est, aux termes de l’article 2274 du Code civil, toujours présumé de bonne foi. En effet, il n’y a pas a priori de raison de douter que la personne qui possède un bien en soit juridiquement le véritable propriétaire. Ce sera donc à celui qui invoque la mauvaise foi du possesseur de la prouver. Un autre exemple peut être pris en matière médicale : les professionnels de santé sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute et en principe, la preuve d’une faute médicale et du rôle causal de cette faute dans la survenance du dommage incombe au demandeur. Cependant, en cas d’absence ou d’insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l’impossibilité de s’assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été correctement exécutés, il incombe alors au professionnel de santé, pourtant défendeur, de rapporter la preuve de la bonne exécution des actes litigieux (Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 22-23.433).

■ La force probante des présomptions

Les présomptions sont réfragables ou irréfragables. 

* Les présomptions réfragables sont celles susceptibles d’être combattues par la preuve contraire, dont l’objet vise à établir que le fait inconnu et présumé n’existe pas.

L’article 1354 du Code civil distingue, parmi les présomptions réfragables, celles susceptibles d’être renversées par tout moyen (présomptions simples) de celles ne pouvant céder que devant certaines preuves (présomptions mixtes). Par exemple, la présomption de bonne foi de l’article 2274 du Code civil est une présomption simple qui peut être renversée par tout moyen ; en revanche, la présomption de responsabilité qui pèse sur le gardien d’une chose est une présomption mixte qui ne cède que devant la preuve d’une cause étrangère, en sorte qu’elle ne peut pas être renversée par la preuve de l’absence de faute du gardien.

* Les présomptions irréfragables sont celles qui ne peuvent en aucun cas être renversées.

Insusceptibles d’être combattues par la preuve contraire, elles n’opèrent pas un renversement de la charge de la preuve sur le défendeur, dès lors que ce dernier ne peut pas les combattre. Pour cette raison, elles constituent davantage des règles de fond que des règles de preuve. Elles sont d’ailleurs généralement prévues par le législateur. C’est le cas par exemple de la présomption de fiabilité de la copie exécutoire ou authentique d’un écrit lui-même authentique (art. 1379 C. civ.) ou, en droit de la vente, de la présomption de connaissance du vice de la chose vendue par le vendeur professionnel (Com. 27 nov. 1991, n° 89-19.546).

Références :

■ Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 22-23.433 : D. 2024. 1824

■ Com. 27 nov. 1991, n° 89-19.546 : RTD com. 1992. 664, obs. B. Bouloc

 

Auteur :Merryl Hervieu

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