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[ 20 janvier 2020 ] Imprimer

Procédure pénale

Policier infiltré : tant qu’il n’est pas pousse au crime, le stratagème n’attente pas à la loyauté de la preuve

Par un arrêt du 9 décembre 2019, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé notamment par une personnalité médiatique, visant à obtenir l’annulation d’actes de procédure fondée sur un procédé prétendument déloyal employé par un policier pour apporter la preuve d’une tentative de chantage.

Un justiciable célèbre avait déposé plainte, s’estimant victime d’une tentative de chantage après avoir été approché par une personne prétendant détenir un enregistrement audiovisuel à caractère sexuel dans lequel il apparaissait. L’enquête qui avait été ouverte avait permis d’établir qu’un officier de police judiciaire avait été autorisé par le procureur de la République à se faire passer dans les négociations pour l’homme de confiance du plaignant et qu’il avait eu, en usant d’un pseudonyme, plusieurs échanges téléphoniques avec une personne se présentant comme l’intermédiaire des malfaiteurs. Sur la base de l’enregistrement de ces échanges, les principaux protagonistes de l’affaire avaient été interpellés et mis en examen du chef de chantage et association de malfaiteurs, tentative de chantage en récidive et association de malfaiteurs, complicité de tentative de chantage et complicité de tentative de chantage en état de récidive légale.

La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles avait rejeté les requêtes, déposées sur le fondement de l’article 173 du Code de procédure pénale, tendant à l’annulation de la procédure en raison notamment de la provocation à l’infraction dont les prévenus auraient fait l’objet de la part du fonctionnaire de police. La Cour de cassation (Crim. 11 juill. 2017, n° 17-80.313) cassa et annula cet arrêt.

Saisie sur renvoi, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris dit la saisine recevable et, au fond, ne pas avoir lieu à l’annulation de pièces de la procédure. A la suite des pourvois en cassation formés les mis en examen, la chambre criminelle renvoya l’affaire en Assemblée plénière. La Haute juridiction rejette les pourvois dont l’ensemble des moyens reposait sur la violation du principe de loyauté des preuves et du droit à un procès équitable.

Affirmant d’une part que si la provocation, par un agent de l’autorité publique, à la commission de l’infraction, constitue une violation du principe de loyauté de la preuve, le fait qu’il recoure à un stratagème tendant à la constatation d’une infraction ou l’identification de ses auteurs ne constitue pas, en soi, une atteinte à ce principe. En vertu de cette règle, elle confirme l’analyse des juges d’appel qui, pour dire n’y avoir lieu à annulation d’un acte ou d’une pièce de procédure, ont retenu que l’obtention frauduleuse de l’enregistrement vidéo, les tractations entre les personnes mises en cause pour trouver le meilleur moyen d’exercer un chantage sur le plaignant, les appels téléphoniques et les messages adressés à cet effet à ce dernier, les instructions qui lui ont été données pour qu’il trouve un intermédiaire, les rendez-vous fixés à Alger puis à Paris ou encore la rencontre organisée avec l’un des autres mis en examen à Clairefontaine constituaient des agissements étroitement liés les uns aux autres et accomplis dans le dessein unique d’obtenir la remise de fonds par le plaignant. L’arrêt ajoutait que les laps de temps plus ou moins longs qui s’étaient écoulés entre ces différents épisodes ne sauraient être assimilés à des désistements de la part des mis en cause, dès lors qu’il ressortait clairement de la procédure que ces derniers avaient un plan très abouti pour parvenir à la remise des fonds, et en déduisit que le policier ayant tenu un rôle d’intermédiaire s’était inséré dans « un processus infractionnel indivisible » caractérisant une entreprise de chantage et n’avait en aucune manière provoqué à la commission de l’infraction. Autrement dit, l’Assemblée plénière approuve la chambre de l’instruction d’avoir jugé que l’intervention de l’enquêteur n’avait en aucune manière provoqué la commission de l’infraction, puisque les actes accomplis par les personnes mises en cause avant même que le policier n’intervienne comme intermédiaire, liés de manière indivisible aux actes postérieurs, étaient déjà constitutifs d’une tentative de chantage. Le policier « infiltré » n’a donc fait que s’insérer dans un processus infractionnel préexistant caractérisant une entreprise de chantage. La préexistence de l’infraction évinçait ainsi la déloyauté du procédé, dès lors que le stratagème employé par un agent de l’autorité publique pour la constatation d’une infraction ou l’identification de ses auteurs n’est pas en soi proscrit. Seul est interdit, complète la Cour, le stratagème qui, par un contournement ou un détournement d’une règle de procédure, a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie. Partant, elle juge qu’en l’espèce, le moyen, qui se bornait à invoquer le fait que le procédé prétendument déloyal avait conduit à l’interpellation, sans démontrer ni même alléguer une atteinte à l’un de leurs droits, n’était pas fondé.

Le laconisme des textes applicables à l’administration de la preuve en matière pénale commande de relever cette décision, de surcroît rendue en formation plénière, en ce qu’elle apporte des précisions nécessaires sur les principes qui doivent la gouverner. 

L’article 427 du Code de procédure pénale dispose que les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve. Le principe de la liberté de la preuve trouve néanmoins une limite commune à l’ensemble des procédures, qui toutes se doivent d’être équitables (CEDH, art. 6) : le principe de loyauté des preuves, interdisant d’utiliser celles obtenues par l’emploi de procédés déloyaux, de ruses ou de stratagèmes. Aucun texte ne consacrant ce principe dans le code de procédure pénale, la jurisprudence est venue combler cette lacune. 

D’une part, la chambre criminelle considère depuis longtemps que le principe de loyauté des preuves, auquel échappent les justiciables personnes privées, s’impose en revanche aux autorités publiques chargées de l’instruction et des poursuites : cruciale en matière pénale, la recherche de la vérité, si elle justifie de tempérer l’exigence de loyauté dans l’administration de la preuve telle que la conçoit, plus strictement, le juge civil, doit néanmoins être encadrée lorsque cette quête est poursuivie par des agents détenteurs de l’autorité publique. Comme le rappelle la décision rapportée, sont d’abord strictement prohibées les provocations policières à la commission de l’infraction (v. par ex. Crim. 11 mai 2006, n° 05-84.837) : lorsqu’un enquêteur participe activement à la commission d’une infraction, cette circonstance a pour effet de vicier la preuve en portant atteinte au principe de la loyauté procédurale et des droits de la défense. De même, le recours à un procédé déloyal, indépendamment de toute provocation à la commission de l’infraction, est-il proscrit. Il suppose un acte positif susceptible de caractériser un stratagème, c’est-à-dire une combinaison de moyens – le contournement ou le détournement d’une règle de procédure - pour atteindre un résultat – vicier la recherche de la preuve au détriment des droits essentiels et des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie ; ainsi, l’Assemblée plénière a-t-elle jugé attentatoire au principe de la loyauté des preuves ainsi qu’au droit à un procès équitable le placement, au cours d’une mesure de garde à vue et durant les périodes de repos séparant les auditions, de deux personnes retenues dans des cellules contiguës, préalablement sonorisées, de manière à susciter des échanges verbaux qui seraient enregistrés à leur insu pour être utilisés comme preuve, ce qui constituait un procédé déloyal d’enquête qui avait mis en échec le droit de se taire et celui de ne pas s’incriminer soi-même et, ainsi, vicié la recherche de la preuve (Cass., ass. plén, 6 mars 2015, n° 14-84.339). Par conséquent, le stratagème condamnable doit s'apprécier non seulement au regard de l'acte positif mis en œuvre par l’autorité publique, mais aussi en tenant compte de son résultat. C’est la raison pour laquelle la Haute juridiction a inversement rejeté le pourvoi formé contre un arrêt qui, pour dire n’y avoir lieu à annulation des pièces de la procédure, avait écarté le moyen de nullité pris de l'illégalité de la géolocalisation d'un véhicule volé et faussement immatriculé, les irrégularités supposées commises par les policiers, n'ayant pu influer de quelque manière que ce soit sur le comportement des utilisateurs dudit véhicule ou porter atteinte à leur libre arbitre, ne pouvaient donc être regardées comme un acte positif susceptible de caractériser un stratagème, en sorte qu'il ne  pouvait leur être reproché d'avoir recouru à un procédé déloyal (Crim. 20 déc. 2017, n° 17-82.435). 

Ainsi, la nature des actes des enquêteurs apparaît déterminante dans la qualification du procédé utilisé, au regard du principe de loyauté des preuves. Dans l’affaire commentée, l’Assemblée plénière considère que le policier infiltré n’avait pas provoqué l’infraction qui existait déjà, ni usé d’un stratagème déloyal biaisant les règles de la procédure pénale, mais seulement employé un procédé légal d’obtention de la preuve pour caractériser l’infraction et en identifier les auteurs.

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Cass., ass. plén., 9 déc. 2019, n° 18-86.767

Références

■ Crim. 11 juill. 2017, n° 17-80.313 P : Dalloz Actu Étudiant, 14 sept. 2017 ; D. 2017. 1532 ; ibid. 2018. 196, chron. B. Laurent, G. Barbier, E. Pichon, L. Ascensi et G. Guého ; AJ pénal 2017. 436, note J.-B. Perrier

■ Crim. 11 mai 2006, n° 05-84.837 P : D. 2006. 1772 ; AJ pénal 2006. 354, note E. Vergès ; RSC 2006. 848, obs. R. Finielz ; ibid. 876, obs. J.-F. Renucci.

■ Cass., ass. plén, 6 mars 2015n° 14-84.339 P : D. 2015. 711, obs. S. Fucini, note J. Pradel ; ibid. 1738, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2015. 362, note C. Girault ; RSC 2015. 117, obs. P.-J. Delage ; ibid. 971, chron. J.-F. Renucci

■ Crim. 20 déc. 2017, n° 17-82.435 P

 

 

 

 

 

 

Auteur :Merryl Hervieu


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