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Droit de la responsabilité civile
Prédisposition pathologique de la victime : maintien de la réparation intégrale du préjudice
Le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son préjudice ne peut être réduit en raison de sa prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable.
Civ. 2e, 15 févr. 2024, n° 22-20-994
Les faits étaient classiques. À la suite d’un accident de la circulation impliquant un véhicule assuré, une victime a sollicité de l’assureur du conducteur du véhicule l’indemnisation de son préjudice corporel. Dans cette perspective, elle faisait valoir que l'accident avait déclenché une pathologie préexistante mais jusqu’alors asymptomatique. Les juges du fond ont toutefois entendu limiter le montant de sa réparation au motif que si l’accident avait effectivement révélé la maladie, celle-ci était en réalité liée à un état structurel antérieur. Ils ont ainsi considéré que les lésions éprouvées par la victime après l’accident ne devaient pas être prises en charge par l’assureur du conducteur puisqu’en raison des prédispositions pathologiques de la victime, ces symptômes seraient nécessairement apparus, même si l’accident n’était pas survenu. Par un arrêt inédit du 15 février dernier, la Cour de cassation censure une telle analyse, contraire au principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte pour la victime. Rappelant ainsi le principe suivant lequel la victime a droit à la réparation intégrale de ses préjudices corporels, elle juge indifférent le fait que sa prédisposition pathologique ait pu favoriser leur apparition ou contribuer à leur aggravation.
Ainsi la Cour procède-t-elle au rappel d’une règle jurisprudentielle ancienne et constante, au pénal comme au civil, selon laquelle le droit à réparation de la victime ne saurait être limité en raison de son état de santé antérieur ou d’une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue « n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable » (V. déjà Crim. 11 janv. 2011, n° 10-81.716 ;Civ. 2e, 28 juin 2012, n° 11-18.720 ; Civ. 2e, 19 mai 2016, n° 15-18.784 ; Civ. 2e, 16 sept. 2021, n° 19-26.014). En application du principe de réparation intégrale du dommage, le droit de la victime à obtenir l’indemnisation de son dommage corporel ne saurait donc être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est issue ne s’est manifestée que par le fait dommageable. Autrement dit, tant que jusqu’à la survenance du fait dommageable, les prédispositions ne sont que latentes ou que l’état antérieur est asymptomatique et non dommageable, il n’en résulte aucune incidence sur la réparation. Qu’une pathologie antérieure ait été l’une des causes du dommage laisse donc le principe de la réparation intégrale du dommage inchangé à la condition toutefois, reposant sur le principe de causalité, que le fait imputable au défendeur apparaisse lui-même comme une cause certaine de celui-ci. En décider autrement en imputant une part du dommage à l’état antérieur ou aux prédispositions pathologiques de la victime reviendrait à partager la causalité, ce qui marquerait un retour aussi étonnant que malvenu à la doctrine de la causalité partielle, jadis à l’honneur dans les années 1950, mais depuis longtemps abandonnée par la jurisprudence.
En l’espèce, si la victime présentait bien un état de vulnérabilité avant l’accident, celui-ci était resté latent jusqu’à ce que cet accident se produise. Ce n’est en effet qu’à partir de l’accident litigieux, et donc à cause de sa survenance, que divers symptômes se sont manifestés. L’assureur devait donc les indemniser dans leur intégralité. Raison pour laquelle la Cour de cassation réfute l’analyse des juges du fond considérant que l’existence d’une prédisposition pathologique de la victime puisse, à elle seule, limiter le montant de sa réparation. Ses conséquences préjudiciables n’étant apparues qu’à la suite de l’accident, les Hauts magistrats retiennent que cet état antérieur avait bien été révélé par le fait dommageable, lequel devait donc être regardé comme une cause certaine et directe du dommage à réparer, en conséquence, intégralement.
Références :
■ Crim. 11 janv. 2011, n° 10-81.716
■ Civ. 2e, 28 juin 2012, n° 11-18.720 : RTD civ. 2013. 130, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2e, 19 mai 2016, n° 15-18.784 : DAE, 20 juin 2016, note M. H., D. 2016. 1134
■ Civ. 2e, 16 sept. 2021, n° 19-26.014 : DAE, 25 oct. 2021, note Merryl Hervieu
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