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Droit de la responsabilité civile
Préjudice d’agrément : autonomie de la notion, rigueur de la preuve
L’indemnisation du préjudice d’agrément suppose que la victime rapporte la preuve de l’exercice régulier d’une pratique sportive effective, spécifique et antérieure à l’accident ou à la maladie.
La victime d’une maladie professionnelle imputable à une faute inexcusable de son employeur avait saisi un fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, lequel, subrogé dans les droits de la victime, avait saisi une juridiction de sécurité sociale.
En appel, la victime avait obtenu, outre l’indemnisation de son préjudice au titre du déficit fonctionnel permanent, celle d’un préjudice d’agrément. Rappelant que le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs et, sur le terrain probatoire, la nécessité pour la victime de caractériser précisément la pratique effective et antérieure à l’accident ou à la maladie des agréments dont elle se prétend privé pour que son préjudice puisse être considéré comme distinct du déficit fonctionnel et donner lieu, en conséquence, à une indemnisation complémentaire ; l’employeur reprochait à la cour d’appel d’avoir jugé justifiée l’indemnisation du préjudice d’agrément invoqué par son ancienne salariée alors que cette juridiction s’était contentée de déduire de quelques attestations que la victime « était une personne particulièrement active, qui pratiquait de nombreuses activités sportives et de loisirs (marche, jardinage), qui ont cessé à la maladie », ce qui, selon le demandeur au pourvoi, n’était pas suffisant à caractériser la pratique d’une activité spécifique sportive ou de loisir antérieure à la maladie.
La Cour de cassation approuve l’analyse des juges du fond, ayant souverainement apprécié la valeur et la portée des témoignages produits aux débats pour en déduire que la victime avait effectivement été victime d’un préjudice d’agrément. En effet, les juges du fond avaient procédé à une appréciation in concreto du préjudice, conformément à celle recommandée par la nomenclature Dintilhac, en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau, discipline exercée, fréquence de la pratique, etc.) et la victime avait, à l’appui de plusieurs témoignages, manifestement concordants, rapporté la preuve de l’exercice non seulement régulier mais assidu de multiples activités sportives jusqu’à l’apparition de sa maladie professionnelle, l’empêchant depuis de s’y adonner.
Rappelons qu’en droit commun, le préjudice d’agrément est désormais défini, comme le rappelait le demandeur au pourvoi, comme « le préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs » (Civ. 2e, 28 mai 2009, n° 08-16.829 ; v. également : Civ. 2e, 9 févr. 2017, no 16-11.219). Par cet arrêt, la Haute juridiction avait opéré un revirement de jurisprudence, en rompant avec une définition extensive de ce préjudice qui, pendant longtemps, permettait d’indemniser la privation générale ou partielle des agréments de la vie, liée à la survenance du handicap (perte ou diminution de la capacité de se déplacer, donc de pratiquer certaines activités, même sporadiquement, visant ce qu’on appelle familièrement les « sportifs du dimanche », v. Cass., ass. plén, 19 déc. 2003, n° 02-14.783 : Le préjudice d'agrément est le préjudice subjectif de caractère personnel résultant des troubles ressentis dans les conditions d'existence). Cette définition favorable à la victime opérait néanmoins un doublon, incompatible avec la règle de la réparation sans profit pour la victime, avec le déficit fonctionnel, visant à réparer les troubles dans les conditions d’existence de la victime d’un handicap, qu’il soit temporaire ou permanent. La Cour de cassation est donc revenue à une conception plus stricte de la notion. Ainsi la victime doit-elle établir qu’elle pratiquait régulièrement une ou plusieurs activités sportives, qui doivent pouvoir être spécifiquement identifiées (tennis, football, chasse, course à pied, marche, etc., (v. Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-19.653 ; Civ. 2e, 31 mars 2016, n° 14-30.015), et que l’exercice de cette pratique lui est devenu impossible ou suffisamment difficile (Civ. 2e, 29 mars 2018, n° 17-14.499) depuis la survenance de la maladie ou de l’accident (Civ. 2e, 26 mai 2016, n° 15-18.591) pour espérer obtenir, comme en l’espèce, une indemnisation complémentaire au déficit fonctionnel au titre du préjudice d’agrément.
Civ. 2e, 28 nov.2019, n° 18-24.169
Références
■ Civ. 2e, 28 mai 2009, n° 08-16.829 P : D. 2009. 1606, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2009. 534, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 9 févr. 2017, no 16-11.219
■ Cass., ass. plén, 19 déc. 2003, n° 02-14.783 P : D. 2004. 161, note Y. Lambert-Faivre ; ibid. 2005. 185, obs. P. Delebecque, P. Jourdain et D. Mazeaud ; RTD civ. 2004. 300, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 24 oct. 2019, n° 18-19.653
■ Civ. 2e, 31 mars 2016, n° 14-30.015 P : D. 2016. 792 ; ibid. 1886, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, O. Becuwe et N. Touati
■ Civ. 2e, 29 mars 2018, n° 17-14.499 P : Dalloz Actu Étudiant, 4 mai 2018 ; D. 2018. 719 ; ibid. 2019. 38, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; JS 2018, n° 186, p. 9, obs. X. Aumeran
■ Civ. 2e, 26 mai 2016, n° 15-18.591
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