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[ 13 novembre 2018 ] Imprimer

Procédure pénale

Prescription de l’action publique : pas de suspension pour amnésie traumatique

L’amnésie traumatique invoquée par la partie civile ne peut être considérée comme constituant un obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure ayant pu suspendre le délai de prescription.

Le 29 décembre 2007, M. X… porta plainte du chef de viol aggravé, en raison de faits datant de 1982. Cette plainte fut classée sans suite. Il se constitua alors partie civile, le 19 mai 2015. Dans le cadre de l’instruction préparatoire, M. X… demanda une expertise psychologique, que le juge d’instruction refusa par décision en date du 19 décembre 2016, non frappée d’appel. Le 20 mars 2017, le juge rendit une ordonnance de non-lieu, estimant que les faits étaient prescrits. M. X… interjeta appel de cette décision, prétendant que le délai de prescription avait été suspendu en raison de l’obstacle insurmontable qu’avait constitué le mécanisme de refoulement le concernant, aboutissant à une amnésie totale des faits. La chambre de l’instruction confirma l’ordonnance du juge, en relevant que l’intéressé, né le 22 janvier 1972, était devenu majeur le 22 janvier 1990, de sorte que la prescription était acquise à l’expiration d’un délai de dix ans (en application de l’art. 7 ancien du C. pr. pén.), soit le 22 janvier 2000. Elle ajouta que l’amnésie traumatique invoquée par la partie civile ne pouvait être considérée comme constituant un obstacle insurmontable et assimilable à la force majeure ayant suspendu le délai de prescription. 

Par son arrêt du 17 octobre 2018, la chambre criminelle rejette le pourvoi formé contre la partie civile, estimant que la chambre de l’instruction a fait l’exacte application des textes visés au moyen, à savoir les articles 9-1 et 9-3 du Code de procédure pénale.

Le premier de ces textes prévoit que «  le délai de prescription de l’action publique des crimes et délits mentionnés à l’article 706-47 du présent code et aux articles 222-10 et 222-12 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur un mineur, court à compter de la majorité de ce dernier » (la liste de l’art. 706-47 mentionnant les crimes de viol en son 3°). Quant au second, il prévoit expressément, depuis la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription (sur cette loi, V. Dalloz Actu Étudiant, 6 mars 2017), que « tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, suspend la prescription ». Auparavant, la jurisprudence reconnaissait déjà un effet suspensif à de tels obstacles de droit ou de fait. D’ailleurs, la chambre criminelle avait déjà eu l’occasion de juger que l’amnésie traumatique dont a pu souffrir une victime de viols lorsqu’elle était enfant ne constituait pas un obstacle insurmontable suspendant la prescription de l’action publique (Crim. 18 déc. 2013, n° 13-81.129). La présente solution s’inscrit donc pleinement dans ce « précédent ». 

L’amnésie traumatique, qu’on appelle « amnésie dissociative » dans le domaine clinique, correspond à « une incapacité de se rappeler des informations autobiographiques importantes, habituellement traumatiques ou stressantes, qui ne peut pas être un oubli banal » (V. Dalloz actualité, 6 déc. 2017, « Légiférer au moyen de l’amnésie traumatique constitue un risque », par P. Dodier). Les personnes atteintes de dissociation, souvent en raison d’un événement traumatique survenu dans la petite enfance, seraient capables, passé un certain temps, de recouvrer la mémoire et de se souvenir avec exactitude de leur trauma. Mais la réalité de ce phénomène n’est pas avérée et d’autres explications scientifiques peuvent être avancées, de sorte qu’un auteur, docteur en psychologie sociale et cognitive, concluait récemment qu’ « au regard des risques de dérives liés à cette idée de refoulement des souvenirs, il est délicat d’utiliser l’amnésie traumatique comme argument en faveur de l’allongement du délai de prescription » (Ibid.). 

Ignorant ces recommandations, la récente loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi « Schiappa », a récemment allongé le délai de prescription pour les crimes sexuels à l’encontre de mineurs, pour le faire passer de 20 à 30 ans (C. pr. pén., art. 7, al. 2). Il est vrai qu’au lendemain de la loi du 27 février 2017 précitée, la situation des mineurs victimes de crimes sexuels avait, par l’effet du doublement du délai de prescription de l’action publique pour les crimes, perdu de sa spécificité (on rappellera en effet que, depuis la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, non seulement le point de départ du délai de prescription était reporté à la majorité de la victime mais encore que ce délai était – déjà – porté à 20 années). C’est donc à travers cet allongement, et non la caractérisation d’un obstacle de fait suspendant la prescription, que se trouve pris en compte, dans notre droit, le phénomène psychologique de l’amnésie traumatique (V. Dalloz actualité 28 mars 2018, obs. P. Dufourq ; 26 juill. 2018, obs. P. Januel). 

Crim. 17 oct. 2018, n° 17-86.161

Référence

■ Crim. 18 déc. 2013, n° 13-81.129 : D. 2014. 13 ; Dalloz actualité 8 janv. 2014, obs. M. Léna.

 

Auteur :Sabrina Lavric

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