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Droit des obligations
Présomption de cause : gare à la remise des fonds postérieure à l’établissement de la reconnaissance de dette
Mots-clefs : Prêt, Contrat réel, Remise des fonds, Reconnaissance de dette, Cause, Charge de la preuve, Présomption, Billet non causé
Une reconnaissance de dette n’emporte pas présomption de la cause de l’obligation de remboursement du souscripteur alors qu’elle prévoit une remise des fonds prétendument prêtés postérieure à l’établissement de l’acte.
Fondement de l’efficacité de la reconnaissance de dette, sur la foi de laquelle sont souvent consentis des prêts d’argent entre simples particuliers, l’article 1132 du Code civil suscite un contentieux nourri, en dépit de la stabilité des solutions retenues : l’application de ce texte a ainsi donné lieu à une nouvelle série d’arrêts rendus par la Cour de cassation en ce début d’année (v. obs. Creton).
Dans l’une des affaires soumises à la Haute cour, une reconnaissance de dette avait été souscrite le 31 octobre 1987 par un couple marié au profit de la mère de l’épouse. Les époux reconnaissaient devoir à cette dernière la somme de 504 000 francs au titre d’un prêt, la remise des fonds prêtés étant prévue, aux termes de l’acte, pour le 1er janvier 1988, et le remboursement par les époux devant intervenir au plus tard le 31 décembre 2003. N’ayant pas été remboursée à cette date, la prêteuse a déclaré sa créance au passif de la procédure de redressement judiciaire ouverte entre-temps à l’égard de l’époux, qui exerçait la profession d’avocat. Sa créance ayant été rejetée par ordonnance du juge commissaire, la prêteuse a interjeté appel de cette décision. Bien lui en a pris, puisque la cour d’appel d’Aix-en-Provence infirme l’ordonnance : elle admet la créance au passif de la procédure en énonçant « qu'il n'appartient pas au prêteur de rapporter la preuve de la remise des fonds, dès lors qu'en matière de prêt consenti par un particulier la reconnaissance de la dette fait présumer la remise des fonds ».
Une telle motivation n’est pas sans rappeler une solution bien établie relative à la portée probatoire de la reconnaissance de dette. Déduisant de l’article 1132 du Code civil une présomption d’existence de la cause, la jurisprudence décide qu’il incombe au souscripteur d’une reconnaissance de dette qui prétend, pour contester l'existence de la cause de celle-ci, que la somme qu'elle mentionne ne lui a pas été remise, d'apporter la preuve de ses allégations (Civ. 1re, 7 avr. 1992 ; Civ. 1re, 8 oct. 2009 ; Civ. 1re, 14 janv. 2010). Reposant sur des considérations de probabilité, la présomption posée par l’article 1132 trouve à s’appliquer en présence d’un « billet non causé », c’est-à-dire lorsque les parties n’ont pas exprimé dans le titre la cause de l’engagement du souscripteur (v. Terré, Simler et Lequette). Dans l’hypothèse inverse où, comme en l’espèce, les parties avaient précisé dans l’instrumentum que l’obligation de remboursement souscrite par le débiteur trouvait son origine dans le prêt accordé par le créancier, la preuve de l’absence de prêt incombe à plus forte raison au débiteur, puisque la cause de la reconnaissance de dette litigieuse est alors « présumée exacte » (Civ. 1re, 7 avr. 1992, préc. ; Civ. 1re, 24 janv. 2006). C’est ce raisonnement qui avait été retenu en l’espèce par les juges aixois pour décider qu’il incombait à l’emprunteur de faire la preuve de l’absence de remise des fonds.
Fidèle, à première vue, à une jurisprudence constante, la solution retenue par la cour d’appel n’en est pas moins justement censurée, au visa de l’article 1315 du Code civil. Les juges du fond étaient allés un peu trop vite en besogne : dans leur empressement à relever la présomption découlant de l’application de l’article 1132 du Code civil, ils ont négligé une partie des termes de l’acte, qui venait contredire ladite présomption. La reconnaissance contenait cette précision utile que la remise des fonds devait intervenir deux mois après l’établissement de l’acte ; ainsi, bien loin de permettre de présumer, jusqu’à preuve contraire, l’exactitude de la cause de l’obligation du souscripteur, résidant dans la remise des fonds prétendument prêtés, la reconnaissance de dette établissait au contraire que la remise des fonds litigieuse n’avait pas eu lieu au jour de sa souscription.
Paralysés par les termes mêmes de la reconnaissance souscrite en l’espèce, la présomption qui résulte habituellement de cet acte et le renversement de la charge de la preuve qui en découle se trouvaient évincés au profit du jeu normal des règles d’attribution de la charge de la preuve. Pour réclamer le remboursement des sommes énoncées à l’acte, la bénéficiaire de la reconnaissance devait donc rapporter la preuve de la remise des fonds, conformément à l’article 1315 du Code civil.
Civ. 1re, 9 févr. 2012, no 10-27.785, F-P+B+I
Références
■ Terré, Simler et Lequette, Droit civil, Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009, no 355 s.
■ E. Gaudemet, Théorie générale des obligations, réimpr. 1937, Dalloz, coll. « Bibliothèque Dalloz », 2004, spéc. p. 127 s.
■ Code civil
« La convention n'est pas moins valable, quoique la cause n'en soit pas exprimée. »
« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »
■ D. 2012. Chron. C. cass. 635, spéc. no 6, obs. Creton, à propos des arrêts Civ. 1re, 12 janv. 2012, n°10-24.614, Dalloz Actu Étudiant 25 janv. 2012 ; Civ. 1re, 9 févr. 2010, n°11-13.778 ; Civ. 1re, 23 févr. 2012, n°11-11.230.
■ Civ. 1re, 7 avr. 1992, no 90-19.858, Bull. civ. I, n° 114 ; Defrénois 1993. 371, obs. Vermelle.
■ Civ. 1re, 8 oct. 2009, no 08-14.625, D. 2010. 128, note Rebeyrol ; Defrénois 2010. 109, obs. Savaux ; RLDC 2009/66, no 3635, obs. Le Gallou.
■ Civ. 1re, 14 janv. 2010, no 08-18.581, D. 2010. 620, note François ; ibid. Chron. C. cass. 2092, obs. Creton ; JCP 2010, no 380, note Dissaux.
■ Civ. 1re, 24 janv. 2006, no 04-10.177.
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