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[ 27 novembre 2017 ] Imprimer

Procédure pénale

Preuve pénale : retour sur la notion de participation de l’autorité publique à la preuve illicite produite par un particulier

Mots-clefs : Preuve, Participation, Acte positif, Enregistrement clandestin

 

Le concept de « participation », même indirecte, supposant l’accomplissement d’un acte positif, le seul reproche d’un « laisser faire » des policiers, dont le rôle n’a été que passif, ne peut suffire à caractériser un acte constitutif d’une véritable implication caractérisant la déloyauté dans la recherche de la preuve.

Un peu plus d’un an après l’arrêt de la chambre criminelle qui avait reconnu le caractère déloyal de certains enregistrements clandestins produits dans le cadre de l’affaire dite « du chantage au roi du Maroc » (Crim. 20 sept. 2016, n° 16-80.820), l’assemblée plénière de la Cour de cassation, par un arrêt du 10 novembre 2017, s’est prononcée à son tour sur la recevabilité de ces moyens de preuve au regard du principe de loyauté. 

Pour rappel, étaient en cause dans cette affaire plusieurs enregistrements de conversations privées produits par le plaignant, dont deux concernaient des conversations qui firent l’objet d’une surveillance des enquêteurs et donnèrent lieu à retranscription. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait, le 26 janvier 2016, refusé d’écarter ces preuves au motif que « les éléments objectifs du dossier ne permettaient pas de démontrer que les enquêteurs ni le procureur de la République ni le magistrat instructeur [avaient] incité Me A… à réaliser des enregistrements clandestins des propos échangés au cours des deux derniers rendez-vous avec les mis en examen ». La chambre criminelle, néanmoins, avait annulé cet arrêt, estimant qu’il y avait eu, en méconnaissance de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, participation indirecte de l’autorité publique à la preuve obtenue de façon illicite ou déloyale (ici au moyen d’une atteinte à la vie privée, réprimée par l’art. 226-1 du Code pénal) par une partie privée. La chambre de l’instruction de renvoi ayant à son tour refusé de prononcer l’annulation, l’assemblée plénière se trouvait donc saisie du pourvoi formé contre ce nouvel arrêt. 

Dans leur pourvoi, les prévenus contestaient, pour l’essentiel, le rejet de leur moyen de nullité pris de la participation des autorités publiques au recueil des preuves produites par un particulier. A cet égard, on rappellera que, si la preuve pénale est libre (C. pr. pén., art. 427), la jurisprudence distingue selon la qualité de celui qui apporte la preuve : les particuliers sont ainsi autorisés à produire une preuve illicite ou déloyale (dès lors que cette preuve est discutée contradictoirement) tandis que les autorités publiques sont, quant à elles, tenues de respecter non seulement le principe de légalité mais encore celui de loyauté, qui prohibe l’emploi de procédés de ruse ou de stratagèmes. 

Dans son arrêt, l’assemblée plénière, reprenant les motifs développés par la cour d’appel, relève que les enquêteurs « se devaient d’intervenir pour organiser les surveillances de nature à confirmer ou infirmer les dires du plaignant et, si nécessaire, interpeller les auteurs » et qu’« on ne saurait déduire de l’existence d’une présence policière aux abords de l’hôtel où ont eu lieu les rencontres, un accord préalable et concerté des enquêteurs avec M. Z… sur les enregistrements clandestins effectués ». Ainsi, « la preuve n’é[tant] pas rapportée de l’existence d’une collusion », la chambre de l’instruction « a pu en déduire l’absence de participation directe ou indirecte de l’autorité publique à l’obtention des enregistrements litigieux, ce dont il résultait que le principe de loyauté de la preuve n’avait pas été méconnu ». 

La présente solution illustre moins les difficultés à cerner la notion de loyauté (l’on notera tout au plus que la participation suppose une implication, c’est-à-dire un rôle actif dépassant un simple « laisser faire » de la part des policiers) que l’étendue du contrôle opéré par la Cour de cassation en la matière. L’assemblée plénière précise ainsi dans une « note explicative » publiée avec son arrêt qu’elle s’en remet à l’appréciation des juges du fond au regard des circonstances de l’espèce et qu’elle se contente alors d’opérer un contrôle « s’apparentant, dans une certaine mesure, à celui de l’« erreur manifeste d’appréciation »». 

Cass., ass. plén., 10 nov. 2017, n° 17-82.028

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz : La preuve (procédure pénale)

■ Crim. 20 sept. 2016, n° 16-80.820 P : Dalloz Actu Étudiant, 17 oct. 2016 ; D. 2016. 1863 ; Just. & cass. 2017. 206, rapp. N. Bonnal ; ibid. 223, concl. P. Lagauche ; AJ pénal 2016. 600, obs. C. Ambroise-Castérot ; RSC 2016. 797, obs. F. Cordier.

■ Rép. pén. Dalloz, vo Preuve, par J. Buisson, nos 125 s.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6

« Droit à un procès équitable.  1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à:

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »

 

Auteur :S. L.


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