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[ 13 octobre 2017 ] Imprimer

Procès Merah : pas d’enregistrement des débats

Mots-clefs : Débat, Procès, Enregistrement audiovisuel, Attentat, Archives

Le premier président de la cour d’appel, qui a refusé l’enregistrement audiovisuel des débats du procès du frère et de l’ami de Mohammed Merah pour leur implication dans les attentats de Toulouse et de Montauban de mars 2012, a justifié sa décision.

Le Code du patrimoine organise la constitution d’archives audiovisuelles de la justice. Ainsi, en son article L. 221-1, celui-ci dispose que « les audiences publiques devant les juridictions de l’ordre administratif ou judiciaire peuvent faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel ou sonore dans les conditions prévues par le présent titre lorsque cet enregistrement présente un intérêt pour la constitution d’archives historiques de la justice », l’article L. 221-3 précisant que la décision est prise soit d’office soit à la requête d’une des parties ou de ses représentants ou du ministère public, formée au plus tard huit jours avant la date fixée pour l’audience en question. C’est de l’application de ces dispositions dont il était question dans cette affaire, le premier président de la cour d’appel de Paris ayant été saisi, par des parties civiles, d’une demande d’enregistrement des audiences dans le procès Merah qui s’est ouvert le 2 octobre dernier devant la cour d’assises de Paris.

Précisément, la chambre criminelle était ici saisie du recours formé contre l’ordonnance du premier président ayant rejeté la demande d’enregistrement. Dans un premier temps, les demandeurs contestaient la formulation du rejet, estimant qu’en refusant la demande d’enregistrement audiovisuel, le premier Président ne s’était pas prononcé sur l’enregistrement « seulement » sonore. Ce premier moyen est facilement écarté par la Cour de cassation qui estime qu’il se déduit des motifs et du dispositif de l’ordonnance que la requête avait bien été rejetée dans son intégralité.

Dans un deuxième temps, les auteurs du pourvoi entendaient critiquer la procédure d’adoption de la décision, reprochant une violation du principe du contradictoire en ce que l’avis du ministère public et celui du président chargé de présider l’audience ne leur auraient pas été communiqués. Sur ce point, la chambre criminelle rappelle que la décision de l’autorité compétente pour autoriser ou non l’enregistrement « ne revêt pas le caractère d’un acte juridictionnel soumis au débat contradictoire » (V. déjà Crim. 17 févr. 2009, n° 09-80.558). Elle précise qu’il suffit qu’aient été recueillies les observations des personnes énumérées à l’article L. 221-3, à savoir les parties ou leurs représentants, le président de l’audience dont l’enregistrement est envisagé et le ministère public. Et elle ajoute encore, par référence au champ d’application matériel de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit à un procès équitable, que « l’ordonnance ne prononçant ni sur une contestation de caractère civil, ni sur le bien-fondé d’une accusation, les droits de la défense n’ont pas été méconnus ». 

Enfin, dans un troisième temps, les demandeurs entendaient contester la décision sur le fond, soutenant qu’il y avait un intérêt à autoriser l’enregistrement d’un procès d’assises portant sur une association de malfaiteurs terroriste ayant abouti à la perpétration d’assassinats ou de tentatives d’assassinats multiples, commis sur des enfants, des militaires, sur des personnes à raison de leur confession juive, et sur des policiers, lesdits débats devant permettre aux accusés d’expliciter leurs actes éventuels, à la société d’en démêler les causes et les moyens d’y remédier, et à la justice d’en tirer des conséquences sur la manière de juger les faits. Là encore, le moyen est rejeté, la chambre criminelle estimant que le premier président avait justifié sa décision « par des motifs exempts d’erreur manifeste d’appréciation » en estimant que « l’extrême gravité des faits reprochés aux accusés et le contexte dans lequel se sont déroulés les crimes commis par Mohammed Merah ne présentent pas un intérêt qui justifierait que soit procédé à un enregistrement des débats de nature à enrichir les archives historiques de la justice au sens de l’article L. 221-1 du code du patrimoine ».   

C’est par exception au principe d’interdiction de l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image de l’audience (L. 29 juill. 1881, art. 38 ter et C. pr. pén., art. 308 concernant la cour d’assises en particulier) que le législateur a permis, depuis la loi n° 85-699 du 11 juillet 1985, la captation d’images de certains procès dans une finalité mémorielle (B. Beignier et alii, Traité de droit de la presse et des médias, Litec, 2009, n° 956 ; V. aussi Dalloz Actu Étudiant, 4 mars 2014). Le cœur de la disposition repose sur la notion de caractère historique. Et si, dans les travaux préparatoires, a pu être évoqué l’intérêt de conserver des archives de la justice ordinaire, « de fait, l’essentiel si ce n’est la totalité des enregistrements audiovisuels concernent des procès criminels à caractère historique ou politique » (J. Siber, L’image et le procès pénal, thèse Université de Lorraine, 2017, n° 906). Ont ainsi fait l’objet d’une captation audiovisuelle, les procès de Klaus Barbie (1987) et Paul Touvier (1994) et, plus récemment, les procès de Maurice Papon (1997-1998), de la dictature chilienne (2010) et le procès « AZF » (2009). 

En l’espèce, le premier Président a bien relevé le « retentissement international funeste » des crimes perpétrés par Mohammed Merah ainsi que « le climat imposé par le terrorisme international [qui] s’est considérablement alourdi depuis les attentats commis ces dernières années sur le sol national ». Pour autant il a estimé que l’extrême gravité des faits et le contexte de leur perpétration ne suffisaient pas à caractériser un intérêt historique justifiant l’enregistrement des débats. Une décision qu’il faut sans doute approuver au regard de ce procès à la fois « indispensable et impossible » (Le Monde, 7 oct. 2017), qui montre « une justice qui fait ce qu’elle peut avec ce qu’elle a » (ibid.), ou plutôt ce qu’elle n’a pas, à savoir Mohammed Merah lui-même.

Crim. 29 sept. 2017, n° 17-85.774

Références

■ Crim. 17 févr. 2009, n° 09-80.558 P : D. 2009. 634 ; AJ pénal 2009. 235 ; RSC 2009. 924, obs. J.-F. Renucci.

■ Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950

Article 6

« Droit à un procès équitable.  1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à:

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »

 

Auteur :S. L.


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