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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Prohibition du systématisme des fouilles intégrales des détenus au retour des parloirs familiaux
Méconnaît l’article 57 de la loi pénitentiaire no 2009-1436 du 24 novembre 2009, la décision d’un directeur d’un centre pénitentiaire instaurant un régime de fouilles corporelles intégrales systématiques applicable à chaque détenu à l’issue d’un parloir familial, sans organiser la possibilité d’en exonérer, au terme d’une appréciation particulière de l’autorité compétente, certains détenus, au vu des critères notamment liés à leur personnalité, à leur comportement en détention, ainsi qu’à la fréquence des parloirs.
CAA Douai, 17 sept. 2020, no 18DA02030
La Section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), organisation non gouvernementale, a demandé au tribunal administratif de Lille d’annuler, pour excès de pouvoir, la décision par laquelle le directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge a institué un régime de fouilles corporelles intégrales systématiques des détenus au retour des parloirs. Invitée par le tribunal à produire la décision attaquée, la Section française de l’OIP a saisi le directeur d’une demande de communication des notes de service relatives aux fouilles à l’issue des parloirs ou de tout document ayant le même objet, mais aucune suite n’a été donnée. L’OIP a, par ailleurs, adressé aux détenus du centre un questionnaire sur les fouilles pratiquées à l’issue des parloirs. Or, ces courriers ont été interceptés par le directeur.
Par jugement du 2 juillet 2015, le tribunal administratif a déclaré irrecevable la demande d’annulation en raison de l’absence de la décision attaquée et d’élément permettant de démontrer son existence. L’OIP a interjeté appel en produisant à l’appui de sa requête une note du directeur indiquant des nouvelles modalités de contrôles à l’issue des parloirs. La cour administrative d’appel de Douai, par un arrêt du 4 juillet 2017 (n° 15DA01459), a confirmé le jugement aux motifs que cette ONG n’établissait pas l’existence d’une décision administrative susceptible de recours pour excès de pouvoir.
Le Conseil d’État (3 oct. 2018, n° 413989), sur pourvoi formé par la Section française de l’OIP, a estimé qu’eu égard aux éléments produits et aux diligences effectuées par l’OIP pour se procurer la décision qu’elle attaquait, la CAA avait méconnu son office et commis une erreur de droit en confirmant l’irrecevabilité de la requête, sans avoir préalablement fait usage de ses pouvoirs inquisitoriaux en demandant à l’administration pénitentiaire de produire la note de service définissant le régime des fouilles des détenus à l’issue des parloirs ou, à défaut, tous éléments de nature à révéler le régime de fouilles contesté. Le Conseil d’État a donc annulé l’arrêt de la CAA et lui a renvoyé le jugement de l’affaire.
À la suite du renvoi de l’affaire, la cour administrative d'appel a diligenté auprès du ministre de la justice une mesure d’instruction tendant à la communication de la note en question ou de tout élément permettant de démontrer ledit régime. Le ministre a alors produit la décision du directeur du centre pénitentiaire définissant le régime de fouilles des personnes détenues.
Le régime juridique relatif aux fouilles intégrales des personnes détenues est prévu à l’article 57 de la loi pénitentiaire no 2009-1436 du 24 novembre 2009, qui dispose que les fouilles doivent être individualisées et justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement de la personne détenue fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisants. Il en résulte, d’une part, que les fouilles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l’un des motifs prévus par la loi, et d’autre part, qu’elles doivent répondre aux principes de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité.
Dans son arrêt du 17 septembre 2020, la cour administrative d'appel a jugé que la décision du directeur du centre pénitentiaire de Maubeuge méconnaît l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009, car elle instaure un régime de fouilles intégrales systématiques des détenus, à la sortie des parloirs familiaux, sans organiser la possibilité d’en exonérer, au terme d’une appréciation particulière portée par l’autorité compétence, certains détenus au vu des critères, notamment liés à leur personnalité, à leur comportement en détention, ainsi qu’à la fréquence des parloirs. L’OIP était en conséquence bien fondée à demander l’annulation de la décision du directeur pour excès de pouvoir. Ainsi, le jugement du tribunal administratif et ladite décision sont annulés.
Avant l’adoption de la loi pénitentiaire no 2009-1436 de 2009, le régime des fouilles était défini par décret (C. pr. pén., art. D. 275) et par des circulaires. Or, la France a fait l’objet de condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme en raison de pratiques systématiques de fouilles intégrales s’analysant en un traitement inhumain et dégradant, contraire à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Selon la Cour, les fouilles intégrales peuvent se révéler nécessaires pour assurer la sécurité, défendre l’ordre ou prévenir les infractions pénales, mais elles doivent être menées selon des modalités adéquates pour que le degré de souffrance ou d’humiliation ne dépasse pas celui que comportent de telles fouilles (CEDH 12 juin 2007, Frérot c/ France, no 70204/01 ; CEDH 9 juill. 2009, Khider c/ France, no 39364/05 ; CEDH 20 janv. 2011, El Shennawy c/ France, no 51246/08).
De son côté, le Conseil d’État a, dans un arrêt de 2008, posé des limites à la pratique des fouilles en détention en soulignant que : « si les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application à un détenu d’un régime de fouilles corporelles intégrales répétées, c’est à la double condition, d’une part, que le recours aux fouilles intégrales doit être justifié, notamment, par l’existence de suspicions fondées sur le comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou les circonstances de ses contacts avec des tiers et, d’autre part, qu’elles se déroulent dans des conditions et selon des modalités strictement et exclusivement adaptées à ces nécessités et ces contraintes ; qu’il appartient ainsi à l’administration pénitentiaire de justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et de la proportionnalité des modalités retenues » (CE 14 nov. 2008, no 315622). Ces conditions ont été confirmées et précisées dans un arrêt récent du 30 janvier 2019, dans lequel, le Conseil d’État a rappelé l’absence de caractère systématique des mesures de fouilles et qu’il appartient à l’administration pénitentiaire de veiller, d’une part à ce que de telles fouilles soient, eu égard à leur caractère subsidiaire, nécessaire et proportionné, et d’autre part, à ce que les conditions dans lesquelles elles sont effectuées ne soient pas, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne (CE 30 janv. 2019, no 416999).
Cependant, l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 relatif au régime des fouilles des détenus a connu des modifications législatives tendant à l’élargissement des possibilités d’opérer de telles fouilles, qui n’ont pas manqué d’être critiquées, notamment par l’ancienne Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, et le Conseil européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (V. Fouilles en détention : un rapport appelle à la clarification du régime et à une hausse des moyens, D. actu. 11 oct. 2018, obs. P. Dufourq).
En premier lieu, la loi no 2016-731 du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme […], prévoit que l’administration pénitentiaire peut ordonner des fouilles non individualisées dans des lieux et pour une période déterminés, indépendamment de la personnalité des personnes fouillées, dès lors qu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction au sein de l’établissement d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens. En revanche, ces fouilles doivent toujours être nécessaires et proportionnées, et, en outre, être spécialement motivées et faire l’objet d’un rapport circonstancié transmis au procureur de la République et à l’administration pénitentiaire.
En second lieu, par la loi no 2019-222 du 23 mars 2019, les fouilles intégrales, justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement de la personne détenue fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement, peuvent dorénavant être systématiques lorsque les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l’imposent. Dans ce cas, le chef d’établissement doit prendre une décision pour une durée maximale de trois mois renouvelable après un nouvel examen de la situation de la personne détenue. Les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire doivent faire l’objet d’une appréciation individualisée.
Enfin, les directeurs d’établissement peuvent également décider de la fouille intégrale d’une personne détenue à son arrivée ou lors d’un retour à l’établissement au seul motif qu’elle n’est pas restée sous la surveillance constante de l’administration pénitentiaire ou des forces de police ou de gendarmerie (L. no 2019-222 du 23 mars 2019).
Références
■ CAA Douai, 4 juill. 2017, n° 15DA01459
■ CE 3 oct. 2018, n° 413989 A : AJDA 2018. 1934 ; D. 2019. 1074, obs. J.-P. Céré, M. Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2018. 533, obs. M. H-Evans
■ CEDH 12 juin 2007, Frérot c/ France, no 70204/01 : D. 2007. 2632, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; ibid. 2008. 1015, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2007. 336, obs. M. Herzog-Evans ; RSC 2008. 140, obs. J.-P. Marguénaud et D. Roets ; ibid. 140, obs. J.-P. Marguénaud et D. Roets ; ibid. 404, chron. P. Poncela
■ CEDH 9 juill. 2009, Khider c/ France, no 39364/05 : Dalloz Actu Étudiant, 9 sept. 2009 ; AJDA 2010. 994, étude M. Moliner-Dubost ; D. 2009. 2462, note M. Herzog-Evans ; ibid. 2825, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; ibid. 2010. 1376, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2009. 372, obs. M. Herzog-Evans ; RSC 2010. 225, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 645, chron. P. Poncela
■ CEDH 20 janv. 2011, El Shennawy c/ France, no 51246/08 : AJDA 2011. 133 ; ibid. 1993, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2011. 1306, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2011. 88, note M. Herzog-Evans ; RFDA 2012. 455, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ; RSC 2011. 704, obs. D. Roets
■ CE 14 nov. 2008, El Shennawy, no 315622 A : AJDA 2008. 2145 ; ibid. 2389, chron. E. Geffray et S.-J. Liéber ; D. 2008. 3013, obs. E. Royer ; ibid. 2009. 1376, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2009. 89, obs. É. Péchillon ; RFDA 2009. 957, obs. D. Pollet-Panoussis ; RSC 2009. 431, chron. P. Poncela
■ CE 30 janv. 2019, no 416999 B : AJDA 2019. 257 ; AJ pénal 2019. 221, obs. C. Otero
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