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Qualité de professionnel de la caution avertie : un critère déterminant mais insuffisant
Seule la caution dite « non avertie » pouvant y prétendre, le devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit n'est pas due au dirigeant de la société garantie ayant exercé ses fonctions pendant quatre ans avant de souscrire un acte de cautionnement.
Com. 3 févr. 2021, n° 18-24.334
Une banque avait consenti à une société « un prêt d’un montant de 135 000 euros, remboursable en cinq ans. Le même jour, le président de la société s’était porté caution des engagements de cette dernière à concurrence de 135 000 euros, pour une durée de 84 mois. La société ayant été placée en liquidation judiciaire, la banque avait appelé en paiement la caution, laquelle lui avait opposé un manquement à son devoir de mise en garde.
En sa qualité de caution « avertie », excluant à ce titre tout devoir de mise en garde à son profit, la cour d’appel avait condamné le dirigeant de la société débitrice à verser une certaine somme, due au titre de son engagement de caution envers la banque.
Devant la Cour de cassation, il contesta le fait que la juridiction d’appel ait déduit sa qualité de garant averti de sa seule fonction de dirigeant de la société cautionnée, alors qu’il lui appartenait de caractériser d’autres éléments justifiant de lui attribuer cette qualité, notamment d’établir qu’il s’était effectivement trouvé en capacité de mesurer le risque d’endettement né de son engagement, eu égard à ses qualités propres et à la complexité de l’opération.
Jugeant son moyen non fondé, la Cour de cassation rejette le pourvoi du demandeur, jugée à bon droit avertie par la juridiction d’appel qui, ayant relevé qu’elle avait dirigé la société débitrice pendant quatre ans avant de souscrire le cautionnement litigieux, « s’est fondée, pour retenir qu’il était une caution avertie, non sur sa seule qualité de dirigeant de la société garantie, mais sur son expérience professionnelle et la durée de celle-ci et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision d’écarter l’obligation pour la banque de le mettre en garde ».
Il est acquis qu’une caution « non avertie » a la possibilité d’engager la responsabilité contractuelle de la banque en raison d’un manquement à son devoir de mise en garde (Ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104 et 06-11.673), lequel inclut son obligation de vérifier la solvabilité du candidat au cautionnement en sorte de s’assurer que le financement de l’opération garantie ne présente pas pour le garant néophyte un risque démesuré au regard du montage financier opéré et des perspectives prévisibles offertes au débiteur principal (Com. 1er juill. 2020, n° 18-24.435 ; Com. 17 nov. 2009, n° 08-70.197). Dans l’hypothèse où il le serait, la banque a le devoir de refuser à celui qui consent néanmoins à se porter caution la garantie qu’elle se propose d’apporter, faute de quoi elle sera sanctionnée pour lui avoir fait perdre une chance de ne pas contracter et, à ce titre, condamnée à lui verser des dommages-intérêts calculés suivant un pourcentage librement apprécié par les juges mais dont le montant sera, comme pour toute perte de chance, inférieur au montant de la dette.
Cependant, seules les cautions non averties sont en droit de se prévaloir de ce devoir de mise en garde, dont l’accomplissement au profit de ceux qui sont à même, de par les compétences et informations qu’ils détiennent, d’apprécier les risques liés au crédit, est jugé inutile. Autrement dit, les cautions averties ne peuvent y prétendre (Com. 30 juin 2009, n° 08-10.719).
Au cœur de la qualification de caution « avertie » se trouve sa compétence juridique et financière, seule à même de la rendre apte à saisir l’étendue de sa garantie, c’est-à-dire, en pratique, à cerner la nature et à mesurer l’ampleur des engagements souscrits par le débiteur principal (Com. 14 mars 2018, n° 16-18.867 ; Com. 31 mai 2016, n° 15-12.354 ; Com.,22 mars 2016, n° 14-20.216 ; Com., 28 janv. 2014, n° 12-27.703). Pour être considérée comme « avertie », la caution doit donc disposer de compétences particulières, nécessaires à l’appréciation du risque inhérent à l’opération garantie et à la justesse du jugement qu’il doit avoir sur l’opportunité d’un crédit (Com. 18 janv. 2017, n° 15-12.723).
En l’espèce, la caution contestait la validité de son engagement faute d’avoir bénéficié d’une mise en garde dont elle s’estimait créancière, sa seule qualité de professionnel, induite de ses fonctions de dirigeant, n’étant pas suffisante à le considérer comme une caution avertie. Exacte dans son principe, l’affirmation ne l’était cependant pas dans son application à l’espèce.
Souverainement appréciée par les juges du fond, il est vrai que la qualité de professionnel n’implique pas automatiquement celle de caution avertie (Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294). Une diversité d’éléments, non réductibles au seul exercice d’une profession déterminée, sont pris en compte : connaissance du monde des affaires, âge, expériences professionnelles, fréquence des opérations financières et du recours au crédit, montant de l’emprunt cautionné... Précisément, dans le présent arrêt, la cour d’appel ne s’était pas exclusivement fondée sur la seule profession de chef d’entreprise de la caution : celle-ci n’aurait en effet pas permis, à elle seule, de conférer à la caution la qualité de caution avertie, à défaut d’autres éléments susceptibles de la caractériser. Or de tels éléments complémentaires avaient bien été établis, les juges d’appel ayant également relevé, outre sa qualité de dirigeant de la société garantie, son expérience professionnelle ainsi que la durée de celle-ci, le garant ayant dirigé la société cautionnée durant quatre ans avant de souscrire son engagement. Ainsi la cour d’appel avait-t-elle, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision d'écarter l'obligation pour la banque de le mettre en garde.
Références :
■ Ch. mixte, 29 juin 2007, n° 05-21.104 et 06-11.673 P: D. 2007. 2081, note S. Piédelièvre ; ibid. 1950, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2007. 779, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2007. 579, obs. D. Legeais
■ Com. 1er juill. 2020, n° 18-24.435: AJ contrat 2020. 572, obs. Y. Picod
■ Com. 17 nov. 2009, n° 08-70.197 P: D. 2009. 2926 ; ibid. 2010. 2671, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin
■ Com. 30 juin 2009, n° 08-10.719: D. 2009. 2163, obs. A. Lienhard ; ibid. 2010. 287, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau
■ Com. 14 mars 2018, n° 16-18.867: D. 2018. 1884, obs. P. Crocq
■ Com. 31 mai 2016, n° 15-12.354
■ Com. 22 mars 2016, n° 14-20.216: D. 2016. 780 ; ibid. 1955, obs. P. Crocq
■ Com. 28 janv. 2014, n° 12-27.703 P: DAE 20 févr. 2014; D. 2014. 364 ; ibid. 1010, chron. A.-C. Le Bras, H. Guillou et F. Arbellot ; RTD civ. 2014. 361, obs. H. Barbier
■ Com. 18 janv. 2017, n° 15-12.723 P: D. 2017. 212 ; AJ contrat 2017. 122, obs. D. Houtcieff ; Rev. sociétés 2017. 282, note J.-J. Ansault ; RTD com. 2017. 625, obs. A. Lecourt
■ Com. 13 sept. 2017, n° 15-20.294 P: DAE 9 oct. 2017; D. 2017. 1756 ; ibid. 2018. 1884, obs. P. Crocq ; AJ contrat 2017. 494, obs. D. Houtcieff ; Rev. sociétés 2018. 23, note N. Martial-Braz ; RTD civ. 2018. 182, obs. P. Crocq
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