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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Rappel : la procréation post-mortem et l’exportation à cette fin de gamètes à l'étranger sont prohibées
En l’absence de circonstances exceptionnelles légitimant d’y recourir, la procréation post-mortem et l’exportation, à cette fin, de gamètes dans un Etat étranger autorisant cette pratique, sont par principe interdites.
CE, réf., 17 mai 2023, req. n° 473666
Interdiction de procréation post-mortem - L'affaire portée devant le Conseil d’État concernait une demande d’exportation, par une jeune veuve, des gamètes de son défunt époux afin de pouvoir réaliser à l’étranger une procréation médicalement assistée (PMA) post-mortem. À première vue, sa demande semblait vouée à l’échec, l’interdiction de la procréation post-mortem étant posée par la loi dans des termes sans équivoque. En effet, en exigeant que le couple soit vivant, l’actuel article L. 2141-2 du Code de la santé publique (CSP) maintient l’obstacle, depuis longtemps érigé, à la procréation post-mortem (interdite dès avant l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 1994, Civ. 1re, 9 janv. 1996). Pour éviter que cette interdiction soit contournée, l’article L. 2141-11-1 du CSP prohibe également l’exportation des gamètes, déposés en France, lorsqu’ils sont destinés à être utilisés, à l’étranger, à des fins prohibées sur le territoire national. En outre, l’absence de toute évolution législative sur la procréation post-mortem doit être relevée. Pourtant, lors de la révision de la loi bioéthique réalisée le 7 juillet 2011, l’Assemblée nationale avait, au cours des travaux parlementaires, opéré une distinction entre le transfert post-mortem d’un embryon déjà conçu et l’insémination post-mortem avec le sperme du défunt en vue de concevoir un enfant. Contre l’avis du gouvernement, elle avait en effet autorisé le seul transfert après le décès d’un homme d’embryons conçus de son vivant afin de permettre leur implantation dans le corps de la femme qui était à l’origine de leur conception. En refusant de légaliser un tel transfert, le législateur a préféré que l’embryon soit détruit plutôt qu’il naisse orphelin de son père, dans l’hypothèse où la femme ne consentirait pas à le donner à un autre couple. L’ouverture de l’AMP à la femme célibataire par la loi du 2 août 2021 aurait également pu conduire à l’admission de la procréation post-mortem au bénéfice de la femme dont le compagnon est décédé, à tout le moins lorsque des embryons ont été conçus. Le législateur n’a pas fait ce choix, faisant au contraire celui de maintenir l’interdiction de réaliser une insémination artificielle en cas de décès du conjoint ayant procédé, avant son décès, à la conservation de ses gamètes en vue d'une procréation artificielle par sa conjointe à la suite de son décès.
Admission d’une dérogation en cas de « circonstances particulières » - Ferme, l’interdiction de la procréation post-mortem admet toutefois une dérogation. Dans une décision remarquée rendue le 31 mai 2016 (CE, ass. ord., 31 mai 2016, req. n° 396848), le Conseil d’Etat a en effet refusé, à titre exceptionnel, d’appliquer les dispositions du CSP en cas de décès du conjoint ayant procédé à la conservation de ses gamètes en vue d’une procréation artificielle par le membre du couple survivant. Dans cette affaire, l’application de la loi avait été écartée, à l’issue d’un contrôle de proportionnalité : quoique le Conseil d’Etat ait considéré que l’interdiction générale de la procréation post-mortem ne heurtait pas, en elle-même, l’article 8 de la Convention EDH, qui garantit le droit au respect de la vie privée dès lors que les Etats se voient reconnaître une large marge d’appréciation pour réglementer la procréation artificielle, il a jugé, par une appréciation in concreto des circonstances propres au litige qu’en espèce, cette interdiction devait être levée.
Appréciation in concreto des « circonstances particulières » - Dans l’affaire précitée, le Conseil d’Etat a relevé que l’homme avait, de son vivant, consenti à une insémination post-mortem, que la détérioration de son état de santé l’avait empêché de procéder à un nouveau dépôt de sperme en Espagne, et insisté également sur le fait que l’épouse survivante, originaire de ce pays où la PMA post-mortem est autorisée, y était retournée vivre après le décès de son mari. Le Conseil d’Etat avait alors décidé que « dans ces conditions et en l’absence de toute intention frauduleuse de la part de la requérante », le refus d’exportation des gamètes du défunt vers l’Espagne portait une atteinte manifestement excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale.
La portée de cette décision doit être exactement soupesée : elle signifie qu’en l’absence de circonstances légitimant de déroger à la loi, celle-ci doit strictement s’appliquer à l’effet d’interdire l’exportation des gamètes à des fins de procréation post-mortem. C’est ce qu’illustre la décision rapportée. En l’espèce, sur la base d’un projet parental « clairement exprimé, construit et réfléchi », l’époux défunt, se sachant condamné, avait procédé au dépôt de ses gamètes au sein d’un centre français de conservation du sperme. Après son décès, sa femme avait demandé à pouvoir les exporter vers un établissement de santé situé dans un pays où cette pratique est autorisée afin de réaliser une PMA. Sa requête ayant été rejetée par l’Agence de biomédecine, le CHU, le ministre de la Santé et enfin par le tribunal, elle s’était pourvue devant le Conseil d’Etat, arguant que cette interdiction méconnaîtrait les garanties prévues à l'article 8 de la Convention EDH, notamment son droit au respect de la vie privée et familiale.
Après avoir rappelé le dispositif légal visant à interdire cette pratique et, s’agissant de la compatibilité à la Convention européenne, l’absence de disproportion de l’atteinte causée par le principe même de cette interdiction au droit au respect de la vie privée et familiale, le Conseil d’Etat revient sur l'appréciation de l'atteinte portée en l'espèce au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale qu’il appartient au juge d’apprécier concrètement. Or il considère qu’en l’espèce, il n'est pas contesté que la demande d'exportation des gamètes vers un État étranger n'est fondée que sur la possibilité légale d’y faire procéder à une insémination artificielle post-mortem. De nationalité française, la requérante ne fait par ailleurs état d’aucun lien particulier avec le pays choisi pour réaliser cette procréation. Pour la Haute juridiction, « une telle demande ne peut donc qu'être regardée comme tendant à faire obstacle à l'application des dispositions de la loi française. Dès lors, en l'absence de circonstances particulières, la décision contestée ne porte pas en l'espèce, au regard de la situation de [la requérante] et des finalités poursuivies par le législateur, une atteinte excessive aux stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».
Application exceptionnelle des « circonstances particulières » - Dans l’affaire commentée, à la différence de celle de 2016, la requérante, de nationalité française, ne pouvait donc justifier d’aucune « circonstance particulière » pour obtenir une dérogation à la loi, que sa requête visait exclusivement à contourner. Partant, en l’absence d’atteinte excessive aux stipulations de l'article 8, cette requête devait être rejetée.
Ainsi se confirme la tendance du Conseil d’Etat à n’admettre l’existence de « circonstances particulières » que de façon exceptionnelle et à privilégier l’application de la loi (v. pour un refus d’exportation, CE 4 déc. 2018, req. n° 425446 ; CE, ord., 24 janv. 2020, req. n° 437328).
Références :
■ Civ. 1re, 9 janv. 1996, n° 94-15.998 P : D. 1996. 376, note F. Dreifuss-Netter ; RDSS 1996. 623, note A. Terrasson de Fougères ; RTD civ. 1996. 359, obs. J. Hauser.
■ CE, ass. ord., 31 mai 2016, req. n° 396848 : DAE, 22 juin 2016, note L. F ; Lebon avec les conclusions ; AJDA 2016. 1092 ; ibid. 1398, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 1470, obs. M.-C. de Montecler ; ibid. 1472, note H. Fulchiron ; ibid. 1477, note B. Haftel ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 935, obs. RÉGINE ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2016. 439, obs. C. Siffrein-Blanc ; ibid. 360, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2016. 740, concl. A. Bretonneau ; ibid. 754, note P. Delvolvé ; RTD civ. 2016. 578, obs. P. Deumier ; ibid. 600, obs. J. Hauser ; ibid. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 834, obs. J. Hauser ; RTD eur. 2017. 319, obs. D. Ritleng.
■ CE 4 déc. 2018, req. n° 425446 : D. 2019. 725, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2019. 64, obs. A. Dionisi-Peyrusse.
■ CE, ord., 24 janv. 2020, req. n° 437328 : DAE, 7 févr. 2020, note C de Gaudemont ; D. 2021. 657, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2020. 88, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 355, obs. A.-M. Leroyer.
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