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[ 7 février 2020 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Déplacement d’embryons pour une PMA post mortem à l’étranger : c’est interdit par la loi !

Le juge des référés du Conseil d’État vient de refuser la demande d’une veuve qui souhaitait que ses embryons soient transférés en Espagne afin que soit réalisée une PMA post mortem.

Cette histoire, largement médiatisée, commence par celle d’un homme, soigné pour une leucémie, qui avait fait congeler ses gamètes. 

Avec sa conjointe, il décide d’avoir un enfant. Celui-ci est conçu par FIV avec les gamètes du couple. Après la naissance de l’enfant, restent quatre embryons congelés. Le conjoint meurt et la veuve demande que les quatre embryons restant, conservés dans un CHU français, soient déplacés en Espagne afin de débuter une nouvelle grossesse. Le CHU refuse cette demande et le juge des référés du tribunal administratif rejette sa requête tendant à la suspension de l’exécution de la décision de refus. Il rejette également toutes les mesures utiles à prendre pour permettre le déplacement des embryons en Espagne. L’Espagne est un pays qui accepte les inséminations post mortem à deux conditions : le partenaire doit avoir donné son consentement par un testament, un acte authentique ou une directive anticipée et l’insémination doit avoir lieu dans le délai d’un an à compter de la mort du défunt (ce qui était le cas en l’espèce).

Se pose alors la question suivante : une femme peut-elle demander le transfert d’embryons à l’étranger afin de continuer un projet de PMA, après le décès de son conjoint ?

Dans la décision commentée, le Conseil d’État répond très clairement de façon négative à cette question.

■ L’interdiction de la PMA post mortem en France ?

La loi française actuellement en vigueur précise qu’une AMP n’est possible que si l’homme et la femme formant le couple sont vivants et qu’aucune insémination ou transfert d’embryons n’est autorisée après le décès d’un des membres du couple. (CSP, art. L. 2141-2). 

C’est pourquoi dans l’affaire commentée, le Conseil d’État précise qu’« en principe, la conservation d’embryons ne peut être autorisée en France qu’en vue de la réalisation d’une assistance médicale à la procréation entrant dans les prévisions légales du code de la santé publique et qu’il n’est pas possible de recourir à l’assistance médicale à la procréation à l’aide des embryons conservés par un couple dont l’homme est décédé ». 

■ Interdiction du transfert à l’étranger d’embryons ou de gamètes pour une PMA post mortem

C’est la première fois que le Conseil d’État doit répondre à une demande de transfert d’embryons à l’étranger.

Il avait déjà eu à se prononcer sur des demandes de veuves concernant le transfert de gamètes du conjoint décédé à l’étranger en vue d’une insémination. 

La première demande concernait celle d’une veuve espagnole mariée avec un italien et vivant en France. Suite à l’annonce de son cancer, le mari avait fait congeler ses gamètes et le couple était en processus de PMA quand le conjoint est décédé. Le projet parental n’avait donc pas pu se concrétiser du vivant de l’époux. Exceptionnellement, le Conseil d’État avait accepté le transfert en Espagne des gamètes mâles congelés. En effet, le juges du Palais Royal ont considéré que le couple avait formé « dans la durée et de manière réfléchie », un projet parental commun. L’époux avait donné son consentement à une insémination post mortem. Le Conseil d’État a en l’espèce attaché une grande importance à « l'absence de toute intention frauduleuse de la part de la requérante ». En effet, à la suite du décès de son époux, elle est retournée vivre en Espagne avec sa famille. Ainsi, le refus qui lui avait été opposé portait, eu égard aux circonstances de l’affaire, « une atteinte manifestement excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale protégé par les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». (CE, ass., ord., 31 mai 2016, n° 396848).

Le Conseil d’État s’est également prononcé sur une seconde demande concernant cette fois-ci des citoyens français et a refusé le transfert en Espagne des gamètes du mari décédé : « le dépôt et la conservation des gamètes ne peuvent être autorisés, en France, qu'en vue de la réalisation d'une assistance médicale à la procréation entrant dans les prévisions légales du code de la santé publique et, …, la conservation des gamètes ne peut être poursuivie après le décès du donneur ». Le refus n'entraîne pas, en l'espèce, de conséquences manifestement contraires à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le conjoint n'a jamais exprimé la volonté que ses gamètes soient utilisées en vue d'une éventuelle insémination artificielle post mortem et la veuve de nationalité française, réside en France et n'a pas de lien particulier avec l'Espagne, pays où se trouve un établissement avec lequel elle a pris contact en vue d'une assistance médicale à la procréation après le décès de son conjoint. Elle ne démontrait pas l'existence d'une circonstance particulière constituant une ingérence disproportionnée dans ses droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme (CE 13 juin 2018, n° 421333).

■ Une possible légalisation de la PMA post mortem en France ?

Le projet de loi bioéthique actuellement discuté au Parlement ne fait pas mention de la PMA post mortem. Le Gouvernement n’y est pas favorable. 

Le Conseil d’État, saisi pour avis sur ce projet de loi, avait noté qu’il serait paradoxal de maintenir son interdiction alors que le législateur souhaite ouvrir l’AMP aux femmes non mariées ; « une femme dont l’époux est décédé … (devra)… renoncer à tout projet d’AMP avec les gamètes de ce dernier ou les embryons du couple, alors qu’elle sera autorisée à réaliser une AMP seule, avec tiers donneur. » (CE, avis, 18 juill. 2019). 

Le Conseil consultatif national d’éthique est favorable depuis longtemps à l'implantation d'embryons après un décès, car le projet parental est déjà engagé (avis n° 113).

Pour le moment, aucun amendement en ce sens n’a encore été accepté au Parlement que ce soit en première lecture à l’Assemblée nationale ou au Sénat.

Il existe de nombreux arguments contre. En effet, par exemple, permettre l’AMP post mortem reviendrait à organiser juridiquement la naissance d’un enfant orphelin de père, d’un enfant né d’un mort. Cette pratique pourrait être attentatoire aux droits de l’enfant. Par ailleurs, cet enfant pourrait être voulu pour combler le manque qu’a laissé le conjoint décédé et non pour lui-même.

■ Que deviennent les embryons congelés en cas de décès ? CSP, art. L. 2141-4

Lorsque les deux membres du couple sont en vie, ils sont consultés, par écrit, chaque année, sur leur projet parental afin de savoir s’ils maintiennent ou non ce projet. S’ils souhaitent y mettre fin, ils peuvent demander à ce que les embryons soient accueillis par un autre couple, soient donnés pour la recherche ou soient détruits.

Ces trois options sont également offertes, en cas de décès d'un des membres du couple, au membre survivant, la consultation ne pouvant, dans ce cas, intervenir avant l'expiration d'un délai d'un an à compter du décès, sauf initiative anticipée de sa part. Dans le cas d’espèce, sur cinq embryons conçus au même moment, seul un a été implanté lorsque le conjoint était encore en vie. Il en reste donc quatre qui pourraient être donnés à d’autres parents si la veuve souhaite.

« Le refus de transfert d'embryon post mortem, motivé par la volonté de ne pas faire naître un enfant orphelin de père, est susceptible de conduire à la destruction d'un être humain si la veuve ne souhaite pas le donner à un autre couple... Détruire un être humain, plutôt que de le faire naître orphelin, est-ce là réellement satisfaire l'intérêt de l'enfant ? » (Astrid Marais, Dalloz Actu Étudiant, Focus sur, 20 janv. 2012).

CE 24 janvier 2020, n° 437328

Références

■ CE, ass., ord., 31 mai 2016, n° 396848 A : Dalloz Actu Étudiant, 22 juin 2016 ; AJDA 2016. 1092 ; ibid. 1398, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 1470, obs. M.-C. de Montecler ; ibid. 1472, note H. Fulchiron ; ibid. 1477, note B. Haftel ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 935, obs. RÉGINE ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2016. 439, obs. C. Siffrein-Blanc ; ibid. 360, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2016. 740, concl. A. Bretonneau ; ibid. 754, note P. Delvolvé ; RTD civ. 2016. 578, obs. P. Deumier ; ibid. 600, obs. J. Hauser ; ibid. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 834, obs. J. Hauser ; RTD eur. 2017. 319, obs. D. Ritleng

■ CE 13 juin 2018, n° 421333 : AJDA 2018. 2278 ; D. 2019. 725, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat

■ CE, avis, 18 juill. 2019 : Dalloz Actu Étudiant, 20 sept. 2019, obs. C. de Gaudemont

 

Auteur :Christelle de Gaudemont


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