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Droit des obligations
Réception tacite : nécessité d'une volonté non équivoque
La réception tacite d’un ouvrage ne peut être prononcée en raison du paiement partiel des travaux et du refus réitéré du maître de l'ouvrage de signer l’attestation de leur bon achèvement.
Civ. 3e, 16 sept. 2021, n° 20-12.372
Un maître d’ouvrage avait confié à une entreprise la fourniture et la pose de panneaux photovoltaïques sur la toiture d’un bâtiment agricole. Après l’intégration de ces panneaux à la toiture, des infiltrations affectant la couverture du bâtiment étaient, en mars 2010, apparues. Sur la base de plusieurs rapports d'expertises amiables, le maître de l’ouvrage avait alors appelé en garantie le constructeur ainsi que son sous-traitant en invoquant une réception tacite de l’ouvrage, laquelle fut écartée par les juges du fond, en l’absence de règlement intégral des travaux.
Devant la Cour de cassation, le maître de l’ouvrage faisait valoir que la réception tacite de nature à engager la garantie décennale et la garantie d’assurance du constructeur (C. civ., art. 1792 et 1792-6) est caractérisée lorsque, comme il y procéda en l’espèce, le maître de l’ouvrage prend possession de l’ouvrage livré et du règlement, même partiel, des travaux facturés.
La Cour de cassation rejette son pourvoi, confirmant l’analyse des juges du fond ayant constaté que le maître de l’ouvrage n'avait pas soldé les travaux à la date prétendue du 18 juin 2013, puisqu’une somme due à ce titre était restée impayée au 29 juillet 2015, et qu’il avait réitéré son refus de réceptionner l’immeuble litigieux en s’opposant à la signature de l'attestation de bonne fin des travaux qui lui était réclamée. Ayant souverainement retenu que ces circonstances établissaient le refus du maître de l'ouvrage d'accepter l'ouvrage affecté des désordres, le 18 juin 2013 ou à toute autre date ultérieure, le la cour d'appel a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que la demande tendant à voir constater la réception tacite ne pouvait être accueillie. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
Au cœur du régime du contrat d’entreprise, la réception est l’acte juridique unilatéral par lequel le maître de l’ouvrage approuve les travaux accomplis par l’entrepreneur, reconnaît la conformité de l’ouvrage construit à celui commandé et déclare l’accepter, avec ou sans réserves. Elle s’opère le plus souvent au moment de la livraison mais cette concomitance, eu égard à la distinction entre réception et achèvement de la construction, n’est pas systématique (Civ. 3e, 15 janv. 1997, n° 95-10.549 : la construction de l’immeuble ne doit pas nécessairement être achevée pour que la réception puisse intervenir) : ainsi peut-elle intervenir antérieurement si, bien qu’il ne prenne pas immédiatement possession de l’ouvrage, le maître de l’ouvrage en approuve d’ores et déjà la réalisation. Par ailleurs, aucune forme n’est en principe requise : la réception peut donc être tacite, à la condition au demeurant essentielle de caractériser une volonté certaine et non équivoque d’acceptation de l’ouvrage livré.
De manière générale, la Cour de cassation estime que la prise de possession de l’ouvrage conjuguée au paiement du solde du prix font présumer l’univocité de la réception, avec ou sans réserves (Civ. 3e, 30 janv. 2019, n° 18-10.197 ; Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.260).
En l’espèce, elle confirme qu’un seul paiement partiel, justifié par des contestations exprimées à la suite de la prise de possession, excluent la réception, même tacite, de l’ouvrage. En effet, pour obtenir la couverture des désordres affectant l’ouvrage livré, le maître de l’ouvrage, malgré son refus répété d’attester de la bonne exécution des travaux et l’absence de règlement du solde du marché, avait tenté de faire valoir une réception tacite des travaux dont dépendent, lorsque celle-ci n’est pas expresse, la garantie décennale (Civ. 3e, 27 févr. 2013, n° 12-12.148) et la garantie d’assurance du constructeur (Civ. 3e, 12 oct. 1988, n° 87-11.174 ; Civ. 3e, 4 nov. 1992, n° 91-10.076 ; même avec réserves, Civ. 1re, 10 juill. 1995, n° 93-13.027).
Or la Cour de cassation, relevant le paiement seulement partiel des travaux et l’habitude contestataire du maître de l’ouvrage, valide l’appréciation souveraine des juges du fond ayant écarté la réception tacite de l’ouvrage.
Rappelons, en effet, qu’une prise de possession de l’ouvrage ne caractérise pas de facto une réception tacite de l’ouvrage. Malgré cette circonstance, la réception tacite peut être écartée si le maître de l’ouvrage a désapprouvé la bonne exécution des travaux de façon manifeste, par exemple en ne procédant pas à leur paiement intégral et en introduisant dès l’année suivante sa prise de possession une procédure de référé-expertise (Civ. 3e, 12 sept. 2012, n° 09-71.189 ; dans le même sens, v. Civ. 3e, 1er avr. 2021, n° 20-14.975 : absence de réception tacite malgré la prise de possession de la première partie des travaux réalisés, en raison de la contestation constante de la qualité des travaux exécutés et d’une demande d’expertise judiciaire pour établir les manquements de l'entrepreneur ; comp. Civ. 3e, 18 nov. 1992, n° 91-13.161 : admission d’une réception tacite, malgré l’absence de paiement du solde du prix, lorsque le maître de l’ouvrage a pris possession des lieux, les a utilisés pour son activité professionnelle en y installant un important matériel et n’a refusé de payer le solde qu’ultérieurement, lors de la présentation de la facture ; adde, Civ. 3e, 24 nov. 2016, n° 15-25.415 : la prise de possession des lieux vaut réception tacite lorsque celle-ci est intervenue à une date où aucune somme n’était réclamée au maître de l’ouvrage au titre du marché, traduisant sa volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage ; Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.260 : caractérisation d’une réception tacite, le maître de l’ouvrage ayant pris possession des lieux avant l’achèvement des travaux, en payant ceux déjà réalisés).
Par ailleurs, la Cour de cassation rappelle qu’en l’absence de réception de l’ouvrage, la responsabilité de droit commun du constructeur reste soumise à la prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil. Ainsi, en l'espèce, l'action engagée par le maître de l'ouvrage (début mai 2016) se prescrivait par cinq ans à compter de la manifestation du dommage (mars 2010). Elle était donc prescrite.
Références :
■ Civ. 3e, 15 janv. 1997, n° 95-10.549: RDI 1997. 237, obs. P. Malinvaud et B. Boubli
■ Civ. 3e, 30 janv. 2019, n° 18-10.197 P: D. 2019. 1269, note J.-P. Storck ; ibid. 1358, chron. A.-L. Collomp, C. Corbel, L. Jariel et V. Georget ; RDI 2019. 216, obs. B. Boubli
■ Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.260 P: D. 2017. 1122
■ Civ. 3e, 27 févr. 2013, n° 12-12.148 P: D. 2013. 640
■ Civ. 3e, 12 oct. 1988, n° 87-11.174 P: D. 1988. IR 246
■ Civ. 3e, 4 nov. 1992, n° 91-10.076 P: RDI 1993. 224, obs. P. Malinvaud et B. Boubli
■ Civ. 1re, 10 juill. 1995, n° 93-13.027 P: RDI 1995. 750, obs. P. Malinvaud et B. Boubli
■ Civ. 3e, 12 sept. 2012, n° 09-71.189 P
■ Civ. 3e, 1er avr. 2021, n° 20-14.975 P: DAE 30 avr. 2021, note Merryl Hervieu
■ Civ. 3e, 18 nov. 1992, n° 91-13.161 P: RDI 1993. 80, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ; ibid. 106, obs. G. Leguay
■ Civ. 3e, 24 nov. 2016, n° 15-25.415 P: D. 2016. 2464 ; RDI 2017. 144, obs. B. Boubli
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