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Procédure pénale
Recours préventif pour conditions indignes de détention : pas de comparution de droit en appel
L'objet de l’article 803-8 du Code de procédure pénale (C. pr. pén.) n'étant pas l'examen du bien-fondé de la détention mais celui des conditions dans lesquelles celle-ci se déroule, la comparution de la personne détenue devant le président de la chambre de l’instruction, saisi en appel de l’ordonnance d’irrecevabilité du juge des libertés et de la détention, n'est pas de droit.
Crim. 13 sept. 2022, no 22-83.885 B
Par la loi no 2021-403 du 8 avril 2021, le législateur français a créé un recours judiciaire en matière de conditions indignes de détention mettant le droit français en conformité avec certaines des exigences posées par l’arrêt J.M.B. et autres c/ France (CEDH 30 janv. 2020, n° 9671/15 et 31 autres ; reste encore à agir sur le surpeuplement carcéral et l’amélioration structurelle des conditions de détention). Le décret d'application n° 2021-1194 du 15 septembre 2021 a précisé les conditions de ce nouveau recours ouverts aux détenus prévenus et condamnés, qui est entré en vigueur le 1er octobre 2021.
Depuis, la chambre criminelle s’est prononcée sur la mise en œuvre du nouveau dispositif prévu à l’article 803-8 du C. pr. pén. Par un arrêt du 31 mars 2022, elle a ainsi précisé que le juge « pour apprécier la recevabilité, (...) ne peut se fonder sur des observations de l’administration pénitentiaire qui lui été transmises avec celle-ci et qui répondent aux allégations qu’elle contient » (Crim. 31 mars 2022, n° 22-81.770), signifiant qu’au stade de la recevabilité, le juge doit se contenter d'apprécier si le requérant fournit des éléments suffisants pour constituer un commencement de preuve de conditions indignes de détention pour ensuite seulement pouvoir procéder aux vérifications nécessaires pour apprécier le bien-fondé des allégations, en sollicitant notamment l’administration.
Dans la présente affaire, un prévenu avait été placé sous mandat de dépôt correctionnel le 12 octobre 2021. Le 16 mai 2022, il avait saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) d'une requête dénonçant les conditions de sa détention, au visa de l'article 803-8 du C. pr. pén. Saisi d’un commencement de preuve de conditions indignes de détention, le JLD avait procédé aux vérifications nécessaires en sollicitant les avis de l'administration pénitentiaire et du ministère public, et en ordonnant d'office l'audition de l'intéressé, du procureur de la République et de représentants de la maison d'arrêt. Par ordonnance du 26 mai, il avait néanmoins conclu au rejet de la requête. Le détenu avait alors relevé appel de cette décision et demandé à comparaître devant le président de la chambre de l'instruction. Ce dernier jugea la demande de comparution personnelle irrecevable, au motif qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoyait cette possibilité.
Dans son pourvoi, le détenu arguait d’une violation des articles 5 (droit à la sûreté) et 6 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH). Celui-ci soulevait par ailleurs une QPC interrogeant la conformité de l’article 803-8 du C. pr. pén. à l’article 16 de la DDHC qui garantit le droit d’accéder à un juge.
Le moyen est rejeté par la chambre criminelle en ses deux branches. La Haute cour estime que la procédure applicable aux requêtes en conditions indignes de détention – qui se distingue de celle applicable au contentieux du bien-fondé de la détention provisoire (ce qui rend le grief tiré de l’art. 5 de la Convention inopérant) – « garantit suffisamment le droit d’accès au juge » (§ 11) au sens de l’article 6 de la Convention. Pour la chambre criminelle, « il se déduit de la lecture combinée des articles 803-8, R. 249-24 et R. 249-35 d(u) code (de procédure pénale), d'une part, que la personne détenue peut, au moment du dépôt de sa requête, demander à comparaître devant le juge des libertés et de la détention, d'autre part, que, saisi d'une telle demande, ce magistrat doit procéder à cette audition s'il entend rendre une décision d'irrecevabilité, et, enfin, que si la requête est déclarée recevable, l'audition doit être réalisée avant la décision sur le bien-fondé de celle-ci » (§ 12). Ensuite, « devant le président de la chambre de l'instruction, la personne détenue peut présenter toutes observations utiles, personnellement ou par l'intermédiaire de son avocat, auxquelles ce magistrat est tenu de répondre » (§ 13). Par ailleurs, la Cour de cassation ayant dit, par arrêt distinct du même jour, n’y avoir lieu à transmettre la QPC (Crim., QPC 13 sept. 2022, n° 22-83.885), le grief fondé sur l’article 16 de la DDHC est devenu sans objet.
Mais la chambre criminelle casse et annule l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction sur le moyen relevé d’office et mis dans le débat tiré d’une violation de l’article 803-8 I, alinéas 2 et 4, du C. pr. pén. Au visa de ce texte, la Haute cour rappelle que « le juge des libertés et de la détention déclare recevable la requête portant sur l'examen des conditions de détention si les allégations de conditions contraires à la dignité de la personne humaine y figurant sont circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu'elles constituent un commencement de preuve de ce que ces conditions de détention ne respectent pas la dignité de la personne » (§ 16) et qu’« il en résulte qu’(il) ne peut statuer sur le bien-fondé de la requête sans avoir au préalable statué sur sa recevabilité » (§ 17). Or en l’espèce il apparaît que le premier juge n’avait pas statué sur la recevabilité de la requête par une ordonnance rendue conformément à l’article R. 249-21 du C. pr. pén., mais « s’était au contraire prononcé notamment en considération d'informations transmises par l'administration pénitentiaire, qu'il n'avait pas à prendre en compte à ce stade » (v. déjà en ce sens, Crim. 31 mars 2022, préc.). Dans ces conditions, il appartenait au président de la chambre de l’instruction de procéder lui-même à l’examen de la recevabilité de la requête avant de se prononcer sur son bien-fondé.
Ce faisant, elle rappelle la nécessité de respecter les deux étapes prévues par le nouveau dispositif issu de la loi du 8 avril 2021 : l’examen de la recevabilité de la requête puis, dans la positive seulement, l’examen de son bien-fondé. Si le premier juge manque à cette obligation, le juge d’appel doit donc y pallier pour que le nouveau recours soit véritablement effectif au sens de la jurisprudence européenne « tout en le réservant aux situations dont la description par le requérant convainc le juge de faire usage de ses pouvoirs de vérification » (§ 16).
Références :
■ CEDH 30 janv. 2020, J.M.B et autres c/ France, n° 9671/15 et 31 autres : DAE, 24 avr. 2020, note C. Laurent ; AJDA 2020. 263 ; ibid. 1064, note H. Avvenire ; D. 2020. 753, et les obs., note J.-F. Renucci ; ibid. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 432, chron. M. Afroukh et J.-P. Marguénaud ; JA 2020, n° 614, p. 11, obs. T. Giraud ; AJ pénal 2020. 122, étude J.-P. Céré.
■ Crim. 31 mars 2022, n° 22-81.770 : Dalloz actualité, 5 juill. 2022, obs. M. Robert ; AJ pénal 2022. 384 et les obs.
■ Crim., QPC 13 sept. 2022, n° 22-83.885
■ Sur le Décr. n° 2021-1194 du 15 sept. 2021 : DAE, 12 oct. 2021, obs. A. Renaux.
■ Sur le recours prévu par l’art. 803-8 du C. pr. pén. : E. Bonis et V. Peltier, Dr. pénal 2021. Étude 11 (loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention) ; J. Falxa, AJ pénal 2021. 583 (effectivité des recours relatifs aux conditions indignes de détention) ; Y. Mayaud, RSC 2021. 91 (surpopulation carcérale et dignité des détenus) ; J.-B. Perrier, RSC 2021. 469 (détention et conditions indignes : création d’un recours ineffectif ; D. Roets, D. 2022. 107 (conditions de détention indignes) ; E. Senna, D. 2021. 977 (indignité des conditions de détention).
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