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Procédure pénale
Respect de la dignité en garde à vue : une réserve d’interprétation et beaucoup d’interrogations
Les dispositions de l’article 63-5 du Code de procédure pénale, qui garantissent que la garde à vue doit s'exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne, ne peuvent s’interpréter que comme imposant au magistrat compétent de prendre immédiatement toute mesure permettant de mettre fin à cette atteinte ou, si aucune mesure ne le permet, d'ordonner sa remise en liberté.
Cons. const. 6 oct. 2023, n° 2023-1064 QPC
Près de 3 ans après les retentissantes décisions QPC concernanBolivart le respect de la dignité des personnes incarcérées, qu’elles soient prévenues (n° 2020-858/859 QPC du 2 oct. 2020) ou condamnées (n° 2021-898 QPC du 16 avr. 2021), les Sages étaient interrogés par l’association des avocats pénalistes sur la conformité aux droits et libertés des dispositions applicables en matière de garde à vue relatives au respect de la dignité. L’association posait sa QPC à l'appui d’une requête tendant à faire annuler la décision implicite de rejet des ministres de l’intérieur et de la justice d’une demande tendant à ce qu'ils prennent toutes mesures utiles permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense subies par les personnes placées dans des locaux de garde à vue et de dégrisement.
Le Conseil d’État, ainsi saisi dans ce cadre, a accepté de transmettre la question suivante : les dispositions du Code de procédure pénale relatives à la garde à vue portent-elles atteinte au principe de sauvegarde de la dignité humaine et sont-elles entachées d'incompétence négative affectant par elle-même ce principe, faute de subordonner le placement et le maintien en garde à vue à des capacités d'accueil et des conditions matérielles assurant le respect de la dignité des personnes ? (CE 13 juill. 2023, n° 461605)
Après avoir récapitulé l’ensemble des dispositions invoquées par l’association requérante (C. Pr. pén., art. 62-3, 63, 63-5, 15 et 706-88), le Conseil constitutionnel note que le grief porte sur la prétendue carence de la loi qui ne précise pas que la décision de placement ou de maintien en garde à vue doit être subordonnée aux capacités d’accueil et aux conditions matérielles des locaux dans lesquels la mesure doit se dérouler. Il estime dès lors que la question porte plus précisément sur l’article 63-5 du Code de procédure pénale, issu de la loi du 14 avril 2011 de réforme de la garde à vue (n° 2011-392), qui dispose dans son premier alinéa que « La garde à vue doit s'exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne » (et dans un second que « Seules peuvent être imposées à la personne gardée à vue les mesures de sécurité strictement nécessaires »).
Sur le fond, les Sages rappellent que, sur le fondement du Préambule de la Constitution de 1946, la sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme d’asservissement est un principe à valeur constitutionnelle et que, « par suite, toute mesure privative de liberté doit être mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne humaine ».
La garde à vue étant par définition une mesure de contrainte imposée à un suspect (C. pr. pén., art. 62-2), il en résulte que les autorités compétentes doivent, d’une part, veiller à ce qu’elle soit en toutes circonstances mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne (§ 13), d’autre part, prévenir et réprimer les agissements attentatoires à la dignité et ordonner la réparation des préjudices subis le cas échéant (§ 14), ce qui résultait déjà de la décision QPC du 20 juillet 2010 qui avait censuré le régime de droit commun de la garde à vue applicable à l’époque (Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC).
Sur l’article 63-5 en lui-même, le Conseil retient que la disposition a précisément pour objet d’imposer le respect de la dignité de la personne gardée à vue en toutes circonstances et que différentes garanties légales sont destinées à assurer le respect de cette obligation (parmi lesquelles la stricte nécessité des mesures de contrainte, le droit à un examen médical, la mention dans le procès-verbal dressé par l’OPJ des durées des repos et des horaires des repas). En outre, le placement est décidé par un OPJ, sous le contrôle de l’autorité judiciaire (C. pr. pén., art. 62-2 et 63), et la mesure s’exécute sous le contrôle du procureur de la République ou du juge d’instruction (C. pr. pén., art. 63-2 et 154). Le magistrat concerné peut être destinataire d’observations tendant à mettre fin à la mesure au moment de l’examen de son éventuelle prolongation (art. 63-1) et l’article 62-3 dispose expressément que le procureur de la République (ou le JLD) « assure la sauvegarde des droits reconnus à la personne par la loi » (al. 3) et « peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté » (al. 4). Enfin, il incombe au procureur de la République de visiter les locaux de garde à vue chaque fois qu'il l'estime nécessaire et au moins une fois par an (art. 41, al. 4, prévoyant que celui-ci adresse au procureur général un rapport concernant notamment l’état des locaux de garde à vue de son ressort).
Il ressort de ces éléments qu’« en cas d’atteinte à la dignité de la personne résultant des conditions de sa garde à vue, les dispositions contestées ne sauraient s’interpréter, sauf à méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, que comme imposant au magistrat compétent de prendre immédiatement toute mesure permettant de mettre fin à cette atteinte ou, si aucune mesure ne le permet, d’ordonner sa remise en liberté » (§ 22). Et le Conseil précise : « À défaut, la personne gardée à vue dans des conditions indignes peut engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir réparation du préjudice en résultant » (ibid.). Ainsi les dispositions contestées sont-elles, sous cette réserve, conformes aux droits et libertés constitutionnellement garantis.
La formule employée à travers cette réserve d’interprétation, qui s’articule en deux temps, n’est pas sans rappeler le cadre aujourd’hui applicable en matière de conditions indignes de détention (sur la base de l’article 803-8 du C. pr. pén.).
Dans un premier temps, il est attendu de l’autorité judiciaire, sous le contrôle de laquelle la privation de liberté a lieu, qu’elle mette fin sans délai à l’atteinte à la dignité ou, si cela n’est pas possible, qu’elle ordonne la remise en liberté. Cela supposera évidemment que le magistrat soit informé en temps utile pour que ce « recours » implicite soit effectif au sens de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (si l’on raisonne par analogie avec ce que la CEDH a énoncé dans l’arrêt JMB notamment). Hugo Diaz note ainsi qu’il appartiendra aux avocats « d'être extrêmement vigilants dans le contrôle qu'ils porteront sur les conditions matérielles de déroulement de ces mesures, en formulant des observations écrites chaque fois que la situation le nécessitera » (v. D. actu., 20 oct. 2023).
En creux se pose la question de l’appréciation des conditions matérielles de garde à vue et des critères de l’indignité. On sait qu’en matière de conditions indignes de détention, les magistrats suivent scrupuleusement les critères issus de l’arrêt Mursić concernant l’espace vital minimal devant bénéficiant à chaque détenu notamment. On imagine que des éléments objectifs liés à l’état des locaux (vétusté, insalubrité, inadaptation, sous-dimensionnement, insuffisance d’équipements etc.) pourront être efficacement relevés.
Quant à la réponse à apporter, elle doit mettre fin à la situation contraire à la dignité (en transférant vers un lieu garantissant des conditions dignes de garde à vue) et, en cas d’impossibilité, elle peut consister en une remise en liberté. À terme, il faut espérer que ce « contrôle » incite à une remise en état de l’ensemble des locaux de garde à vue actuellement utilisés (dénonçant des locaux inadaptés et sous-dimensionnés et des conditions d’hygiène structurellement indignes, v. CGLPL, Recommandations relatives aux conditions matérielles de garde à vue dans les services de police, JO 21 sept. 2021, disponibles sur www.cglpl.fr).
Dans un second temps, la réserve posée par les Sages précise qu’« à défaut », un recours en responsabilité contre l’État pourra être intenté (sur le fondement de l’art. L. 141-1 COJ ; pour la conventionalité du recours indemnitaire en cas de conditions indignes de détention, v. l’arrêt Barbotin c/ France). La formule interroge car elle suggère la subsidiarité du recours indemnitaire, alors même que, en matière de conditions indignes de détention, la Cour européenne considère précisément que le recours offert doit être de nature à empêcher la continuation de la violation de l’article 3 (qui interdit les mauvais traitements), permettre une amélioration des conditions matérielles de détention, voire mettre fin à une incarcération (arrêt Ananyev et a. c/ Russie), faute de quoi il enfreint l’article 13 de la Convention (arrêt JMB et a. c/ France). Le recours indemnitaire ici visé par les Sages vise à réparer a posteriori le préjudice subi mais pas à « redresser » la situation contraire à la dignité, comme le dirait la Cour de Strasbourg. Dès lors il ne devrait pas se substituer mais s’ajouter au recours préventif envisagé en premier lieu.
En conclusion, cette validation sous réserve des dispositions tendant à garantir le respect de la dignité humaine dans le cadre de la garde à vue pose une série de questions, pour les praticiens du droit (v. H. Diaz, préc.), mais pas seulement.
Références :
■ Cons. const. 2 oct. 2020, n° 2020-858/859 QPC : D. actu., 9 oct. 2020, obs. F. Engel ; AJDA 2020. 1881 ; ibid. 2158, note J. Bonnet et P.-Y. Gahdoun ; D. 2021. 57, et les obs., note J. Roux ; ibid. 2020. 2056, entretien J. Falxa ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2020. 498, obs. L. Mary ; AJ pénal 2020. 580, note J. Frinchaboy ; RFDA 2021. 87, note J.-B. Perrier.
■ Cons. const. 16 avr. 2021, n° 2021-898 QPC : D. actu., 28 avr. 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021. 748, et les obs. ; ibid. 1106, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans.
■ CE 13 juill. 2023, n° 461605
■ Cons. const. 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC : AJDA 2010. 1556 ; D. 2010. 1928, entretien C. Charrière-Bournazel ; ibid. 1949, point de vue P. Cassia ; ibid. 2254, obs. J. Pradel ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ; ibid. 2783, chron. J. Pradel ; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; AJ pénal 2010. 470, étude J.-B. Perrier ; Constitutions 2010. 571, obs. E. Daoud et E. Mercinier ; ibid. 2011. 58, obs. S. de La Rosa ; RSC 2011. 139, obs. A. Giudicelli ; ibid. 165, obs. B. de Lamy ; ibid. 193, chron. C. Lazerges ; RTD civ. 2010. 513, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig.
■ CEDH, 20 oct. 2016, Muršić c/ Croatie, n° 7334/13 : AJDA 2017. 157, chron. L. Burgorgue-Larsen ; AJ pénal 2017. 47, obs. A.-G. Robert.
■ CEDH 19 nov. 2020, Barbotin c/ France, n° 25338/16 : DAE, 5 janv. 2021, note P. Eschbach ; AJDA 2020. 2385 ; ibid. 2021. 1, tribune A. Jacquemet-Gauché ; RSC 2021. 173, obs. D. Roets.
■ CEDH 10 janv. 2012, Ananyev et autres c/ Russie, nos 42525/07 et 60800/08 : D. 2013. 201, obs. J.-F. Renucci, N. Fricero et Y. Strickler.
■ CEDH, 30 janv. 2020, J.M.B c/ France, n° 9671/15 et 31 autres : DAE, 24 avr. 2020, note C. Laurent ; D. actu., 6 févr. 2020, obs. E. Senna ; AJDA 2020. 263 ; ibid. 1064, note H. Avvenire ; D. 2020. 753, et les obs., note J.-F. Renucci ; ibid. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 432, chron. M. Afroukh et J.-P. Marguénaud ; JA 2020, n° 614, p. 11, obs. T. Giraud ; AJ pénal 2020. 122, étude J.-P. Céré.
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