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Droit des obligations
Respect du cadavre : le recours à l’ordre public virtuel
Mots-clefs : Droit des personnes, Respect dû au cadavre, Exposition de cadavres, Illicéité de l’événement, Contrat d’assurance, Illicéité de la cause du contrat, Ordre public textuel, Ordre public virtuel, Chronologie
Le principe d’ordre public, selon lequel le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort, préexistait à la loi n°2008-1350 du 19 décembre 2008 d’où est issu l’article 16-1-1 du Code civil, de telle sorte que le contrat d’assurance conclu par la société organisatrice, ayant pour objet de garantir les conséquences de l’annulation d’une exposition utilisant des dépouilles et organes de personnes humaines à des fins commerciales, même s’il fut conclu avant l’entrée en vigueur de ce texte, avait une cause illicite et encourrait l’annulation.
Dernier épisode de l'affaire Our Body ?
Rappelons qu’à la suite de celle-ci (Civ. 1re, 16 sept. 2010), une interdiction d’exposer des cadavres humains avait été enjointe à la société organisatrice de l’événement, au nom du principe du respect dû au cadavre consacré par la loi n°2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire (C. civ., art. 16-1-1).
C’est, cette fois, sous un autre angle, celui de l’assurance, que la décision rapportée se place pour décider du sort à réserver au contrat qui couvrait le risque d’annulation de l’exposition.
Ce contrat, dont la nullité avait été prononcée en appel au motif de l’illicéité de sa cause, avait pourtant été conclu le 7 novembre 2008, soit plus d’un mois avant que la loi précitée n’en condamnât la validité. Au soutien de son pourvoi en cassation, la société assurée avait alors tenté d’exploiter cette antériorité.
Rappelant le principe selon lequel les conditions de validité d’un contrat s’apprécient au regard du droit applicable lors de sa conclusion, la société contesta l’illicéité, induite de celle de l’exposition, de la cause du contrat litigieux dès lors que celle-ci ne s’imposait pas à la date de sa formation, la loi du 19 décembre 2008 n’ayant été promulguée que postérieurement à cette date alors que cette loi, comme toute autre, ne dispose que pour l’avenir et n’a point d’effet rétroactif.
La thèse du pourvoi est néanmoins rejetée : « Mais attendu que le principe d’ordre public, selon lequel le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort, préexistait à la loi n°2008-1350 du 19 décembre 2008 d’où est issu l’article 16-1-1 du code civil ; qu’ayant relevé que le contrat d’assurance souscrit le 7 novembre 2008 par la société Encore Events avait pour objet de garantir les conséquences de l’annulation d’une exposition utilisant des dépouilles et organes de personnes humaines à des fins commerciales, la cour d’appel en exactement déduit que, bien qu’ayant été conclu avant l’entrée en vigueur de l’article 16-1-1 précité, le contrat litigieux avait une cause illicite et, partant, qu’il était nul ».
Sur le terrain de la cause subjective, laquelle sert, notamment, à vérifier, la conformité du contrat à la loi et à l’ordre public (C. civ., art. 1133), le contrat litigieux était, de toute évidence nul, en raison de sa contrariété au texte de l’article 16-1-1 du Code civil .
L’exposition ayant été, sur ce fondement textuel, déclarée illicite, le motif ayant déterminé la souscription du contrat destiné à en couvrir les risques devait l’être également, peu important que l’illicéité de l’événement n’eût été déclarée qu'après la conclusion dudit contrat.
En effet, la nullité ne doit pas être confondue avec l’annulation : si l’annulation vise le fait, pour le juge, de déclarer un contrat nul, la nullité existe en elle-même dès la conclusion du contrat et indépendamment de sa constatation judiciaire. En somme, l’annulation d’un contrat ne fait que révéler ce qui, dès l’origine, viciait le contrat, même de manière latente, et justifie son annulation.
En l’espèce, et en ce sens, l’illicéité de l’exposition, déclarée par les juges, ne fit que confirmer celle, préexistante quoique non encore constatée judiciairement, du motif pour lequel la société organisatrice avait souscrit le contrat d'assurance. La cause du contrat était donc bien illicite parce que le mobile poursuivi par les contractants reposait ab initio sur la violation d’une règle d’ordre public qui ne nécessitait pas d’être préalablement reconnue par le juge pour justifier l’annulation de la convention.
Cela étant, sur un plan purement normatif, l’affirmation de la préexistence à la loi de ce principe d’ordre public du respect dû au cadavre peut surprendre. Certes, quelques applications d’un tel principe pouvaient déjà être notées avant même que la loi du 19 décembre 2008 procédât à sa consécration.
Ainsi le Conseil d’État s’était-il déjà opposé à ce que les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine incombant au médecin dans ses rapports avec son patient cessent de s’appliquer à la mort de celui-ci (CE 2 juill. 1993). Aussi bien, l’obligation réglementaire des hôpitaux de veiller à la conservation de la dépouille mortelle d’un malade décédé à la suite d’une hospitalisation avait-elle, antérieurement, été consacrée (Paris, 1re ch. B, 8 févr. 1990). Plus largement, le droit pénal incriminait depuis longtemps l'atteinte à l'intégrité du cadavre.
Il n’en reste pas moins que le respect d’ordre public dû au cadavre ne fut officiellement consacré que par la loi du 19 décembre 2008. Pourtant, la Cour laisse ici entendre que ce caractère d’ordre public précédait son édiction. Le législateur aurait donc formalisé un principe dont la valeur impérative, absolue et inviolable, préexistait, virtuellement. Or si l’existence d’un ordre public virtuel, alternatif au traditionnel ordre public textuel, va désormais de soi, il est remarquable que dans cette affaire, la Cour relie plus qu’elle ne distingue ces deux types d’ordre public pour déduire rétrospectivement de la formalisation textuelle d’un principe d’ordre public sa préexistence virtuelle. La Cour se sert ainsi du mal comme remède, affirmant d’autorité que l’article 16-1-1 du Code civil — que l’auteur du pourvoi présentait comme un obstacle chronologique à l’annulation du contrat— fonde moins qu’il ne révèle un principe d’ordre public dont l’application aux faits, quoique antérieurs à l’édiction du texte, trouve ainsi sa justification.
En somme, la Cour s’est affranchie d’une temporalité embarrassante pour régler une difficulté née avant que le législateur n’ait eu le temps de s’en saisir. L’ordre public justifie sans doute cette prise de liberté (v. sur cette décision G. Loiseau).
Civ. 1re, 29 oct. 2014, n° 13-19.729
Références
■ Code civil
« Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort.
Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence. »
« La cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public. »
■ Civ. 1re, 16 sept. 2010, n° 09-67.456; D. 2010. 2750, RTD civ. 2010. 760, note Hauser ; Dalloz Actu Étudiant, À vos copies, 26 oct. 2010.
■ CE 2 juill. 1993, n°124960 ; AJDA 1993. 530, note Maugüe ; RTD civ. 1993. 803, note Hauser.
■ Paris, 1re ch. B, 8 févr. 1990, D. 1990. IR 60.
■ G. Loiseau, « Le respect des morts et l'ordre public virtuel : le jusnaturalisme de la Cour de cassation », JCP G n° 46-47, 10 nov. 2014. 1170.
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