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[ 18 avril 2023 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Responsabilité des produits défectueux : le défaut d’information établit celui du produit

L’absence d’indication dans la notice d’un médicament du risque d’effets indésirables établit le défaut de sécurité du produit susceptible d’engager la responsabilité du fabricant, nonobstant la modification ultérieure de cette notice et le manquement imputable au médecin de la victime à son obligation d’information.

Civ. 1re, 29 mars 2023, n° 22-11.039

Un cardiologue avait prescrit à un patient souffrant d’arythmie cardiaque un médicament présentant un risque d’apparition de maladies pulmonaires dont le professionnel de santé ne l’avait pas averti. En outre, la notice du médicament n’en faisait pas davantage mention, évoquant le seul risque de survenue de troubles respiratoires mineurs (toux, fièvre, essoufflement). Ce ne fut que postérieurement au traitement de ce patient (six ans plus tard) que la notice avait été mise à jour pour informer les utilisateurs du risque d’apparition de problèmes respiratoires graves. Or un an après le début de son traitement, le patient mourut d’une fibrose pulmonaire. Ses ayants droit ont alors sollicité la condamnation solidaire du fabricant du médicament, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, et du cardiologue, à raison des fautes dans la prise en charge du défunt. Condamnés en appel, ces derniers portèrent l’affaire en cassation contestant, le premier par un pourvoi principal, le second par un pourvoi incident, le lien causal entre l’administration du médicament et le décès de la victime, ainsi que le défaut de sécurité du produit découlant de l’insuffisance d’information figurant dans la notice.

La première chambre civile approuve l’analyse retenue par les juges du fond qui, sur le fondement de l'article 1386-4, alinéas 1 et 2, devenu l’article 1245-3, alinéas 1 et 2, du Code civil, aux termes duquel un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, l'appréciation de ce défaut devant s’induire de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation, ont relevé que si un résumé des caractéristiques du produit (RCP) et un dictionnaire médical avaient averti les professionnels de santé du risque, en l’espèce advenu, d’apparition d’une fibrose pulmonaire, la notice du médicament n'en avait pas fait état, ayant seulement mentionné la survenance possible de problèmes respiratoires bénins. Abstraction faite du motif surabondant tenant à la modification ultérieure de cette notice, la cour d’appel a pu en déduire que l’information délivrée au patient avait été insuffisante en sorte que ce médicament n'offrant pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, il était défectueux. La Haute juridiction confirme également l’établissement du lien de causalité, requis par l'article 1386-9, devenu l’article 1245-8 du Code civil, entre la fibrose à l’origine du décès et la prise du médicament litigieux, bien que le patient se soit vu administrer, lors de son hospitalisation, un médicament complémentaire présentant les mêmes risques que celui fabriqué mais dont la preuve que le patient avait poursuivi ce traitement à sa sortie de l’hôpital et que ce second médicament ait pu avoir, en toutes hypothèses, une quelconque influence sur son décès, n’avait pas été rapportée.

Rappelant que le défaut d’information implique celui du produit, la Cour de cassation confirme, sur le fondement de l’article 1245-3, alinéas 1 et 2 du Code civil, la défectuosité du médicament litigieux. L’appréciation de celle-ci suppose de tenir compte « de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation » (C. civ., art. 1245-3, al. 2). Or, concernant les médicaments, vaccins ou autres produits pharmaceutiques, l’insuffisance d’informations dans les notices d’utilisation remises à ceux auxquels ils sont prescrits ou administrés quant aux risques d’effets indésirables prive ces produits de la sécurité qu’ils sont censés offrir. En outre, la connaissance des risques par les professionnels de santé (pt 7), de même que leur mention ultérieure dans la notice modifiée du médicament (pt 8) sont indifférentes. Le fabricant est légalement tenu d’en faire état aux utilisateurs dans la notice dès la mise sur le marché du médicament considéré. La solution n’est pas nouvelle. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle déjà engagé la responsabilité du fabricant d’un vaccin susceptible de faire naître une sclérose en plaques (Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-11.073), ainsi que celle du fabricant d’un médicament à risque « malformatif » de l’enfant à naître en cas de grossesse de la patiente (Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-16.537), ce que des dictionnaires médicaux et les notices ultérieures à la réalisation de ces risques mentionnaient, contrairement aux premières notices de présentation de ces produits, qui ne contenaient pas ces informations. Fut de même jugé défectueux le produit antirides dont la plaquette d’information préalablement communiquée à son utilisatrice ne mentionnait pas le risque d’effets indésirables, contrairement à la notice d’utilisation remise aux seuls médecins esthétiques (Civ. 1re, 22 nov. 2007, n° 06-14.174). La faute d'un tiers, professionnel de santé, dans la diffusion de l'information transmise par le fabricant ne saurait donc écarter l’engagement de la responsabilité de ce dernier. La pluralité de professionnels auxquels incombe le devoir de mettre en garde l’utilisateur contre les risques d’apparition de certains symptômes implique que chacun doit remplir sa propre obligation, si bien que le fabricant ne peut s’exonérer de sa responsabilité motif pris de l’inexécution, par d’autres professionnels de santé, de leur obligation d’information. En l’espèce, le fait que le cardiologue n’ait pas fait état auprès du patient des précisions qui lui avaient été diffusées conduit à un concours de responsabilités entre celle du producteur (sans faute) et celle du cardiologue (pour faute).

Enfin, la première chambre civile confirme également la méthode d’appréciation in concreto du lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage subi, dont l’établissement retenu à l’appui d’un rapport d’expertise concluant à l’absence d’incidence du second médicament administré à la victime décédée justifiait d’octroyer à ses ayants droit la réparation intégrale du dommage allégué (sur le pouvoir d’appréciation des juges du fond en ce domaine, v. Civ. 1re, 8 mars 2023, n° 21-23.355).

Références :

Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-11.073 P : D. 2009. 1968, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; Constitutions 2010. 135, obs. X. Bioy ; RTD civ. 2009. 723, obs. P. Jourdain ; ibid. 735, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2010. 414, obs. B. Bouloc.

Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-16.537 P : DAE, 17 déc. 2019, note de M. Hervieu ; D. 2019. 2297 ; ibid. 2020. 2142, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2020. 124, obs. P. Jourdain.

Civ. 1re, 22 nov. 2007, n° 06-14.174 P : D. 2008. 17 ; ibid. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain.

Civ. 1re, 8 mars 2023, n° 21-23.355

 

Auteur :Merryl Hervieu


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