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[ 22 juin 2021 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Responsabilité du fait de la défectuosité du produit : conditions d’exonération du producteur

Le producteur d’électricité est responsable du dommage causé en raison de la défectuosité du produit, sans pouvoir se prévaloir de la faute de la victime qui bien qu’ayant aggravé le dommage, n’a contribué en rien à sa survenance.

Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 19-19.349

Un incendie avait détruit la maison habitée par un couple. Après avoir obtenu en référé la désignation d’un expert judiciaire pour en déterminer les causes, ils avaient assigné en responsabilité et indemnisation leur fournisseur d’électricité, lequel fut déclaré en cause d’appel responsable de ce sinistre sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux à hauteur de 60%. 

Devant la Cour de cassation, les victimes faisaient grief à la cour d’appel, après avoir pourtant déclaré le fournisseur d’énergie responsable de l’incendie, de dire qu’en raison de la faute qu’eux aussi avaient commise, la responsabilité du fournisseur devait être réduite à proportion de celle-ci alors que, selon les demandeurs au pourvoi, « une circonstance ayant pu aggraver un dommage à la faveur d’un incendie n’en constitue pas pour autant la cause, seul l’événement ayant déclenché l’incendie étant à l’origine première et déterminante des entiers dommages »; qu’en décidant de réduire leur indemnisation au motif que leur propre faute avait eu une incidence sur l’aggravation du sinistre sans établir qu’elle en avait été, en amont, à l’origine, la cour d’appel aurait violé l’article 1386-13 ancien du code civil, devenu l'article 1245-12

Au visa de ce texte, selon lequel la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage a été causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime, la Cour de cassation casse la décision des juges du fond qui, pour limiter la responsabilité du défendeur à hauteur de 60% du dommage après avoir pourtant retenu que l'incendie était né d’une surtension du réseau électrique imputable à celui-ci, ont relevé que les demandeurs avaient également commis une faute en procédant à l’installation sur leur réseau privatif d’un « réenclencheur », dangereux et non conforme à la réglementation en vigueur, dont la présence avait été un facteur « aggravant » du sinistre. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la faute imputée aux victimes n’avait pas causé le dommage et l’avait seulement aggravé, la cour d’appel a violé le texte susvisé

Cette décision présente l’intérêt de rappeler qu’outre les causes spéciales d’exonération ou de limitation de la responsabilité du fabricant d’un produit défectueux dont celle, à l’époque inédite et pour cette raison, très largement commentée, liée au « risque de développement » (défaut d’un produit qui n’a pu être découvert ni évité car l’état des connaissances scientifiques et techniques objectivement accessibles lors de sa mise en circulation ne le permettaient pas, V. C. civ., art. 1245-10, 4°), certaines causes exonératoires, issues du droit commun, ont toutefois été conservées par la loi de 1998 sur les produits défectueux (L. n° 98-389 du 19 mai 1998), à l’occasion de la transposition d’une directive communautaire du 25 juillet 1985, imposant une responsabilité sans faute du producteur de produits privés de la sécurité normalement attendue de leur usage.

L’un des aspects les plus remarquables de la loi est d’avoir listé de manière limitative, aux articles 1386-11 ancien ou 1245-10 nouveau du Code civil, les causes d’exonération dont le producteur d’un produit défectueux peut se prévaloir dans ses rapports avec la victime. La ratio legis justifie cette délimitation : à l’image de la loi qui la contient, la restriction des modes d’exonération répond à la volonté du législateur de favoriser, ou à tout le moins, de ne pas entraver l’indemnisation des victimes. Cette volonté se traduit d’une part, par l’instauration, en marge des cas traditionnels de responsabilité, de nouvelles règles indemnitaires (comme par ex. l’indifférence au fait que la victime soit contractuellement liée ou non au fabricant) et, d’autre part, par le renouvellement, qui prend souvent les traits d’un amenuisement, des moyens d’exonération offerts aux responsables. Ainsi, par exemple, pour ce qui concerne la cause spéciale d’exonération du « risque de développement », ce dernier ne pourra pas être efficacement invoqué pour les dommages causés par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci (C. civ., art. 1245-11).

Concernant les causes classiques d’exonération, la responsabilité du producteur, par exception au droit commun de la responsabilité extracontractuelle, reste inchangée et pleinement acquise en cas d’intervention d’un tiers, même avérée (C. civ., art. 1245-13) (v. pour une dernière illustration, Civ. 1re, 28 nov. 2018, n° 17-14.356). L’inverse du fait du tiers, moyen traditionnel d’exonération ici rendu inefficace, la faute de la victime, quant à elle, maintient son effet exonératoire : ainsi la responsabilité du producteur peut-elle être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime (C. civ., art. 1245-12). 

Conformément au droit commun de la responsabilité civile, la faute de la victime peut donc exonérer, en tout ou en partie, le fabricant de sa responsabilité. En effet, par principe, lorsque le dommage est dû à l’effet conjoint d’un fait imputable au responsable et d’une faute de la victime, cette pluralité de causes produit une incidence sur la responsabilité du défendeur. Ainsi, quelle que soit la nature et le fait générateur de la responsabilité extracontractuelle considérée (fait personnel, fait d’autrui, fait des choses ou plus spécialement, des produits défectueux), la faute de la victime est une source d’exonération, totale ou partielle, du défendeur. En effet, dans cette configuration, deux causes ont concouru au dommage (faute de la victime et fait du responsable), dans une proportion variable si bien que leur part respective dans la survenance du dommage déterminera l’étendue de la condamnation du principal responsable. Une telle solution explique que le partage de responsabilité soit en principe mesuré par le juge au regard de l’importance respective de la faute de la victime et du fait dommageable imputable au responsable.

Encore faut-il que la faute de la victime ait effectivement joué un rôle dans la survenance du dommage considéré. 

En l’espèce, la Cour de cassation casse pour ce motif la décision des juges du fond, considérant que la faute des victimes ne pouvait être retenue car si le fait qu’elles aient pris l’initiative d’installer un réenclencheur sur le système électrique des locaux sinistrés était bien fautif, ce fait caractérisant une faute de commission (contra, faute d’abstention), celle-ci n’avait cependant pas joué, comme la cour d’appel l’avait d’ailleurs relevé, un rôle causal dans la survenance du dommage, mais dans sa seule aggravation. Autrement dit, cette circonstance ayant aggravé le dommage n’en constituait pas pour autant la cause, qui résidait exclusivement dans la surtension survenue sur le réseau électrique dépendant du fournisseur et exclusivement imputable à ce dernier

 

Auteur :Merryl Hervieu


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