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Droit de la responsabilité civile
Responsabilité du fait des produits défectueux : précisions sur ses conditions d’application
La victime d’un dommage causé par le défaut de sécurité d’un produit ne peut fonder son action en réparation sur la responsabilité du fait des choses, celle du fait des produits défectueux, qui couvre la réparation des atteintes aux biens à usage professionnel, s’appliquant exclusivement.
Né d’une surtension accidentelle sur le réseau électrique et de l’explosion d’un transformateur situé à proximité, un incendie avait détruit un bâtiment d’exploitation agricole. Son propriétaire avait alors assigné la société ERDF sur le fondement de la responsabilité du fait des choses (C. civ., art. 1212, al. 1er). Celle-ci lui avait opposé, sur le fondement distinct de la responsabilité du fait des produits défectueux qu’elle estimait applicable, la prescription de son action, engagée plus de trois ans après la connaissance de l’origine électrique du sinistre (C. civ., art. 1245-16). La cour d’appel jugea également, en se fondant sur le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, l’action du propriétaire irrecevable comme prescrite. Ce dernier forma un pourvoi en cassation pour soutenir l’application du régime de la responsabilité du fait des choses, dont le délai de prescription, quinquennal, n’était pas encore écoulé. Dans cette perspective, il affirmait, d’une part, que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d’application de la directive du CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux et, d’autre part, qu’en l’absence de principe de non-cumul du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux avec d’autres régimes de responsabilité, celui du fait des choses pouvait valablement servir de fondement à son action dans la mesure où celle-ci avait été engagée sur le seul fait de la chose, c’est-à-dire sur un fondement autre que celui tiré du défaut de sécurité du produit. La Cour de cassation écarte ces arguments.
Elle juge, dans un premier temps, qu’en l’absence de limitation du droit national, l’article 1245-1 du Code civil s’applique au dommage causé à un bien destiné à l’usage professionnel. Si elle concède que l’article 9 de la directive prévoit que les dispositions de celle-ci s’appliquent à la réparation du dommage causé à une chose ou à la destruction d’une chose, autre que le produit défectueux lui-même, à condition que cette chose soit d’un type normalement destiné à l’usage ou à la consommation privés et ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés, elle tempère la restriction précédente en soulignant que l’article 1245-1 issu de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, transposant l’article 9 de cette directive, énonce que les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s’appliquent, concernant les atteintes faites aux biens, à tout bien autre que le produit défectueux. La Cour en déduit qu’en l’absence de restriction expresse du législateur national quant au champ d’application de ce régime, ce dernier est applicable aux biens à usage professionnel. Elle motive encore cette affirmation en rappelant que si par une décision du 4 juin 2009 (Moteurs Leroy Somer, n°.285/08), rendue sur une question préjudicielle renvoyée par la Cour de cassation (Com. 24 juin 2008, n° 07-11.744), la CJUE a dit pour droit que la réparation des dommages causés à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage ne relève pas du champ d’application de la directive précitée, elle a précisé que celle-ci doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à l’interprétation d’un droit national ou à l’application d’une jurisprudence interne établie selon lesquelles la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour celui-ci, dès lors que cette victime rapporte la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage. Or si initialement, la jurisprudence interne s’alignait sur celle de la CJUE pour circonscrire l’application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux aux cas dans lesquels les produits défectueux en cause ne sont pas destinés à l’usage professionnel ni utilisés pour cet usage (Com. 26 mai 2010, n° 07-11.744 ; Civ. 1re, 17 mars 2016, n° 13-18.876), elle avait récemment préféré élargir le champ d’application de ce régime en ne distinguant pas selon l’usage, professionnel ou privé, de la chose défectueuse, au nom de l’adage selon lequel il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas (Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 16-11.726).
Dans un second temps, la Cour se prononce cette fois de manière inédite sur la possibilité, qu’elle exclut, de fonder une action en responsabilité du fait de la chose lié au défaut de sécurité de celle-ci. Cette exclusion se comprend dans la mesure où si la possibilité d’invoquer un autre régime de responsabilité, contractuelle ou extracontractuelle, que celui prévu par la directive est expressément consacrée par l’article 1245-17 du Code civil, c’est à la condition que le régime alternatif qui fonde l’action repose sur un fondement distinct du défaut de sécurité, tel que la faute ou le vice caché (CJCE 25 avr. 2002, n° C-183/00, § 31). Or tel ne peut être le cas, estime la Cour, de l’action en responsabilité du fait des choses qui, lorsqu’elle est invoquée à l’encontre du producteur après la mise en circulation du produit, procède nécessairement d’un défaut de sécurité. En effet, dans cette hypothèse, le fait de la chose se confond avec la défectuosité du produit et les deux régimes se chevauchent par l’identité de leur fondement juridique : le défaut de sécurité. Dans le même sens, la responsabilité pour faute ne peut recevoir application en l’absence de preuve d’une faute distincte du défaut de sécurité du produit dommageable, de même que le vice caché qui ne se démarque pas d’un tel défaut ne pourra déclencher la garantie prévue à cet effet par le droit de la vente (C. civ., art. 1603 ; Civ. 1re, 17 mars 2016, n° 13-18.876). La condition ici affirmée de la mise en circulation du produit, dont dépend l’application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, est essentielle pour définir la place occupée par ces deux régimes de responsabilité : logiquement, avant que le producteur se soit volontairement dessaisi du produit défectueux, le dommage que le produit aura causé ne pourra être réparé que sur le fondement de droit commun du fait des choses. En l’espèce, le réseau dont la défaillance électrique a causé le dommage répondant à cette condition, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux était le seul à pouvoir fonder l’action de la victime qui se trouvait, en conséquence du délai légalement prévu, prescrite.
Civ. 1re, 11 juill. 2018, n° 17-20.154
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Responsabilité du fait des produits défectueux
■ CJUE 4 juin 2009, Moteurs Leroy Somer, n° C-285/08 : D. 2009. 1731, note J.-S. Borghetti ; ibid. 2010. 49, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2009. 738, obs. P. Jourdain.
■ Com. 24 juin 2008, n° 07-11.744 P : D. 2008. 2318, obs. I. Gallmeister, note J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2008. 685, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2011. 166, obs. B. Bouloc
■ Com. 26 mai 2010, n° 07-11.744 P : D. 2010. 2628, obs. I. Gallmeister, note J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2010. 787, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 17 mars 2016, n° 13-18.876 P : D. 2016. 705 ; RTD civ. 2016. 646, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 16-11.726 P : Dalloz Actu Étudiant, 8 févr. 2017 ; D. 2017. 626, note J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2017. 415, obs. P. Jourdain.
■ CJCE 25 avr. 2002, Gonzalez Sanchez c/ Sté Medicina Asturiana, n° C-183/00 : D. 2002. 2462, note C. Larroumet ; ibid. 2003. 463, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2002. 523, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2002. 585, obs. M. Luby.
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