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Droit des obligations
Responsabilités contractuelle et extracontractuelle : point sur le principe de non-option
DAE vous propose aujourd'hui un point sur le principe de non-option des responsabilités contractuelle et extracontractuelle.
■ Remarques liminaires – Avant de s’intéresser au contenu du principe de non-option entre les actions contractuelle et délictuelle, une équivoque doit être dissipée. Par ce principe, il ne s’agit pas d’interdire à la victime de cumuler les réparations qu’elle pourrait obtenir en intentant successivement ou parallèlement deux actions, l’une sur le fondement de la responsabilité délictuelle, l’autre sur le fondement de l’inexécution d’une obligation contractuelle. Un tel cumul est déjà exclu par le principe de l’équivalence entre le préjudice et la réparation, selon lequel les dommages et intérêts doivent assurer la réparation de tout le préjudice mais pas plus que le dommage. De même, le principe de non-option n’a pas pour finalité d’interdire de manière absolue à la victime d’invoquer les règles des deux régimes de responsabilité civile ; dans certains cas, celle-ci pourra agir sur ces deux fondements distincts sans heurter le principe de non-option, qui pose en réalité deux limites à l’action en responsabilité de la victime : l’impossibilité, d’une part, d’invoquer les deux régimes de responsabilité dans la même action et, d’autre part, celle de choisir le régime de responsabilité sur lequel fonder son action (v. Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats – Régimes d’indemnisation, Dalloz, 12e éd., 3213.321).
■ Solution : refus de l’option – Dès 1890, la Cour de cassation s’opposa fermement au concours des deux régimes de responsabilité (Civ. 21 juill. 1890), ce qu’elle réaffirma en 1922 (Civ. 11 janv. 1922), puis plus catégoriquement en 1927 (Civ. 6 avr. 1927). La victime ne bénéficie pas d’une option entre l’un et l’autre, en ce sens que la responsabilité délictuelle ne peut pas régir les rapports contractuels. Présentant un caractère subsidiaire, la responsabilité délictuelle n’a vocation à jouer que lorsque la situation litigieuse n’entre pas dans le champ d’application de la responsabilité contractuelle, qui prévaut au nom de la supériorité de la loi particulière des parties sur le régime général de la responsabilité délictuelle (specialia generalibus derogant) et de la spécificité des règles gouvernant les conséquences de son inexécution (par ex. la prévisibilité du dommage contractuel).
Cette règle est souvent nommée « le non-cumul des responsabilités » ou, de manière plus exacte, le principe de non-option entre les responsabilités délictuelle et contractuelle. En toutes hypothèses, elle repose sur un principe d’indisponibilité de l’action en responsabilité. Le créancier d’une obligation contractuelle ne peut en conséquence se prévaloir contre le débiteur de cette obligation des règles de la responsabilité délictuelle, quand bien même des éléments constitutifs de ce régime coexisteraient avec ceux issus du régime de la défaillance contractuelle, et qu’il aurait intérêt à les exploiter, par exemple si l’action contractuelle est prescrite, si le dommage contractuel n’était pas prévisible ou bien encore si la preuve de la faute du cocontractant, tenu à une obligation de moyens, est nécessaire alors que sur le fondement de la responsabilité délictuelle, sa responsabilité serait objective.
La victime ne peut opter, selon son intérêt, entre l’action contractuelle et l’action délictuelle (non-option), de même qu’elle ne peut fonder une même action sur les deux régimes de responsabilité (non-cumul).
■ Difficultés d’application – La règle de non-option soulève des difficultés d’application lorsque la qualification contractuelle ou délictuelle de la situation litigieuse est délicate.
▪ La difficulté peut provenir de l’imprécision des frontières entre l’ordre contractuel et l’ordre délictuel : y avait-il ou non contrat entre les parties ? Et à supposer qu’il y ait contrat, l’absence ou la présence d’obligations accessoires, dites implicites, complexifie encore la solution. Rappelons, en effet, que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature » (C. civ., art. 1194 ; déjà, art. 1135 anc.). La jurisprudence se fonde sur ce texte pour « découvrir » certaines obligations (information, sécurité, etc.) en « forçant » les contrats. La question du rattachement au contrat des obligations du débiteur s’est ainsi posée dans un célèbre arrêt à l’origine duquel un enfant s’était blessé dans une aire de jeux exclusivement réservée à la clientèle d’un restaurant. Comptant parmi les clients du restaurant, ses parents avaient assigné la société exploitante en réparation du préjudice subi par l’enfant sur le fondement de la responsabilité délictuelle du fait des choses. La cour d’appel avait accueilli leur demande, jugée compatible avec la règle de non-cumul dès lors que le dommage s’était produit hors du cadre contractuel de la convention de restauration. Selon les juges du fond, l’accident étant survenu dans un lieu indépendant du restaurant, l’enfant n’était pas contractuellement lié à la société exploitante, en sorte que ses parents pouvaient agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle. La Cour de cassation a cassé cette décision au motif que l’enfant, ayant fait usage de l’aire de jeu réservée à la clientèle du restaurant, était ainsi contractuellement lié à la société exploitante par le biais de l’obligation accessoire de sécurité, greffée au contrat de restauration, dont l’inexécution dommageable commandait d’engager exclusivement la responsabilité contractuelle du restaurant, et d’écarter l’ancien article 1384 du Code civil au profit de l’ancien article 1147 du même Code (Civ. 1re, 28 juin 2012, n° 10-28.492). Autrement dit, dans la mesure où le dommage trouvait son origine dans l’exécution du contrat de restauration liant les deux parties, même si on ne pouvait reprocher au restaurateur une inexécution de ses obligations principales, l’action en réparation des suites du défaut de sécurité révélé par l’accident relevait du contrat.
▪ La difficulté peut également tenir à l’imprécision des notions de parties et de tiers. Ainsi dans une espèce où le passager d’un véhicule avait fait une chute en sortant d’un véhicule stationné dans un parking, la Cour de cassation s’était appuyée sur cette distinction classique fondée sur la qualité de partie ou de tiers pour admettre l’action en responsabilité délictuelle engagée par la victime, après que celle-ci eut été déboutée en cause d’appel, motif pris de sa qualité de cocontractante de la société de parking ; en effet, la juridiction du second degré avait considéré que la société de parking était contractuellement tenue d’une obligation de sécurité tant à l’égard des conducteurs de véhicules que des piétons circulant dans l’aire de stationnement : retenant au contraire la qualité de tiers au contrat de la victime non conductrice, la Cour a affirmé que seuls les conducteurs des véhicules contractaient avec l’exploitant du parking, et non leurs passagers, tiers au contrat de stationnement. Dès lors, l’application du principe de non-cumul conduisait à appliquer exclusivement, concernant ces derniers, les règles de la responsabilité civile extracontractuelle (Civ. 2e, 21 déc. 2023, n° 21-22.239).
■ Tempéraments – Au-delà des difficultés observées dans sa mise en œuvre, le principe de non-option connaît plusieurs tempéraments.
▪ Tempérament lié à la relativité des fautes délictuelle et contractuelle : depuis l’arrêt Boot’Shop rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 6 octobre 2006, admettant que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage », la frontière entre les deux actions est rendue poreuse puisque la faute contractuelle sert de fondement à l’action délictuelle engagée par le tiers victime de l’inexécution du contrat. À noter en revanche qu’un contractant peut de façon parfaitement conforme au principe de non-option être tenu envers un partenaire à deux titres : à celui d’une défaillance contractuelle et, en même temps, à celui d’une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle pour une faute extérieure au contrat ; il y aura bien deux actions distinctes, sur deux fondements différents (Com. 24 oct. 2018, n° 17-25.672) ; il y aura également deux actions, avec deux fondements différents, lorsque le créancier agit non seulement contre son cocontractant (sur le terrain contractuel) et contre un tiers (sur le terrain délictuel, v. Civ. 3e, 20 déc. 2018, n° 17-31.461).
▪ Tempérament lié à l’opposabilité du contrat : même s’ils ne sont pas soumis aux obligations que le contrat fait naître, les tiers doivent respecter la situation juridique créée par la convention (C. civ., art. 1200) ; les parties peuvent donc leur opposer le contrat, ce qui explique la reconnaissance en jurisprudence des cas de complicité du tiers dans la violation d’une obligation contractuelle par une partie au contrat : promesse de vente, pacte de préférence, clause de non-concurrence, etc. ; responsabilisé par le biais du contrat, le tiers engage dans ce cas sa responsabilité délictuelle à l’égard du contractant victime de l’inexécution.
▪ Tempérament lié au développement des régimes autonomes d’indemnisation : de façon générale, les régimes spéciaux d’indemnisation ne distinguent pas selon qu’existe ou non un contrat entre l’auteur et la victime du dommage, rendant ainsi sans objet la prohibition de l’option. Ainsi la loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux bénéficie-t-elle à toute victime, qu’elle soit liée ou non par un contrat avec le producteur (art. 1245). Toutefois, par respect pour le principe de non-option, la dualité des régimes de responsabilité est écartée. C’est encore parfois l’exclusivité attachée à ces régimes autonomes d’indemnisation qui permet de contourner la prohibition de l’option. Ainsi, la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation exclut l’application des autres régimes de réparation, qu’ils relèvent de la responsabilité contractuelle ou délictuelle. Par conséquent, lorsque le conducteur a emprunté ou loué au propriétaire le véhicule accidenté, le recours de ce dernier doit être exclusivement fondé sur la loi Badinter, à l’exclusion des règles du Code civil régissant la convention passée entre le propriétaire et le conducteur (Civ. 2e, 10 juill. 2008, n° 07-18.311)
Références :
■ Civ. 21 juill. 1890
■ Civ. 11 janv. 1922 : GAJC, t. II, 13e éd., 2015, n° 182
■ Civ. 6 avr. 1927 : S. 1927.201, note H. Mazeaud
■ Civ. 1re, 28 juin 2012, n° 10-28.492 : DAE, 5 juill.2012, note L.F., D. 2012. 1736 ; ibid. 2013. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2012. 729, obs. P. Jourdain
■ Civ. 2e, 21 déc. 2023, n° 21-22.239 : D. 2024. 8 ; ibid. 2025. 22, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2024. 420, obs. P. Jourdain
■ Com. 24 oct. 2018, n° 17-25.672 : D. 2018. 2396, note F. Buy ; ibid. 2019. 783, obs. N. Ferrier ; JA 2018, n° 590, p. 11, obs. X. Delpech ; AJ contrat 2019. 86, obs. N. Dissaux ; RTD civ. 2019. 103, obs. H. Barbier ; ibid. 112, obs. P. Jourdain
■ Civ. 3e, 20 déc. 2018, n° 17-31.461 : D. 2019. 7 ; ibid. 1129, obs. N. Damas ; AJDI 2019. 630, obs. N. Damas ; AJ contrat 2019. 93, obs. K. Magnier-Merran ; RTD civ. 2019. 338, obs. P. Jourdain ; ibid. 360, obs. P.-Y. Gautier
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