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Droit des obligations
Révision judiciaire de la clause pénale : constance et rigueur du contrôle des motifs par la Cour de cassation
Le juge ne peut modérer la peine retenue que s’il motive suffisamment le caractère manifestement excessif de la clause pénale par rapport au préjudice subi.
Com., 4 nov. 2021, n° 15-17.479
L’acquisition d’un fonds de commerce pour le prix de 450 000 euros est financée par un prêt de 400 000 euros sur sept ans au taux de 6,30 %, et garantie par un cautionnement à hauteur de 260 000 euros. Après la mise en liquidation judiciaire du débiteur, la banque assigne la caution en paiement, lui réclamant des intérêts majorés de 4 %.
Les juges de première instance, confirmés en appel, réduisent la majoration des intérêts conventionnels au taux de 0,2 % au lieu de 4 %.
La banque conteste cette réduction des intérêts devant la Cour de cassation. Elle invoque la violation de l’article 1152 du Code civil, dans sa rédaction applicable au litige (désormais art. 1231-5), selon lequel le juge, pour modérer le montant de la clause pénale, doit se fonder sur la disproportion manifeste entre la peine stipulée et le préjudice effectivement subi. Or la cour d’appel se serait bornée « à affirmer que la majoration stipulée aboutirait à porter le montant total des intérêts au taux de 10,30 % capitalisés annuellement et que ces derniers seraient "manifestement excessifs au regard du taux initialement fixé et du préjudice effectif de l'établissement de crédit", sans exposer en quoi la peine stipulée était manifestement excessive en considération du préjudice effectivement subi par l'établissement de crédit ».
L’arrêt est cassé au visa de l'article 1152 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
Pour modérer le montant de la clause pénale, l'arrêt retient que les intérêts majorés de 4 % réclamés par la banque, qui aboutiraient à porter le taux des intérêts à 10,30 % capitalisés annuellement, sont manifestement excessifs au regard du taux initialement fixé et du préjudice effectif de l'établissement de crédit.
Selon la Haute cour, ces motifs sont insuffisants à établir le caractère manifestement excessif du montant de la clause pénale par rapport au préjudice effectivement subi.
Qualification de la clause pénale - La clause pénale se définit comme la stipulation d’un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et par avance l’indemnité due en cas d’inexécution de l’obligation contractée. Caractérisée par une évaluation forfaitaire et anticipée des conséquences d’une inexécution, elle se distingue, pour cette raison, de la clause limitative de responsabilité, qui ne constitue pas une clause pénale en ce qu’elle ne prévoit pas le règlement d’une indemnisation forfaitaire anticipée, mais fixe un plafond d’indemnisation dans la limite du préjudice subi par le créancier (Com. 18 déc. 2007, n° 04-16.069). Ne peut davantage revêtir cette qualification la clause ne sanctionnant pas l’inexécution d’une obligation, mais compensant le seul exercice d’une faculté contractuelle, telle que la clause de remboursement anticipé d’un prêt, dès lors que le remboursement ne constitue pas de la part de l’emprunteur un manquement à son engagement contractuel mais la simple mise en œuvre d’une faculté convenue entre les parties (Civ. 1re, 11 oct. 1994, n° 92-13.947). La qualification est enfin exclue concernant les clauses destinées à garantir l’équilibre économique du contrat, ce qui explique également que la clause de remboursement anticipé d’un prêt, stipulée en cas de soumission du débiteur à une procédure collective, ne puisse pas constituer une clause pénale, le remboursement immédiat stipulé étant destiné à indemniser le prêteur du bouleversement de l’économie du contrat par l’effet de la résiliation anticipée (Com., 9 juill. 1991, n° 89-18.270).
En revanche, comme le rappelle le présent arrêt, constitue bien une clause pénale la stipulation selon laquelle le taux sera majoré en cas de défaillance de l’emprunteur (v. déjà Com., 18 mai 2005, n° 03-10.508).
Or l’enjeu de cette qualification est de taille : en effet, par exception au principe de non-immixtion judiciaire dans le contrat, le juge est légalement autorisé à réviser le montant, à la hausse comme à la baisse, de la pénalité stipulée dans une clause pénale.
Révision judiciaire des clauses pénales disproportionnées – Si la pénalité stipulée peut se concevoir aussi bien comme un moyen de contraindre les parties à l’exécution de leurs obligations (sur le caractère comminatoire de la clause pénale, v. not. Civ. 1re, 11 oct. 1994, n° 92-13) que comme une évaluation conventionnelle anticipée d’un préjudice futur éventuel (Com. 4 mai 2017, n°15-19.141 ; D.2017.972), elle n’en peut pas moins, dans l’un et l’autre cas, être révisée par le juge sans que ce dernier n’ait caractérisé son caractère disproportionné, soit que la clause pénale soit manifestement dérisoire soit qu’elle soit, à l’inverse, manifestement excessive. En toutes hypothèses, la disproportion s’apprécie en comparant le montant de la peine conventionnellement fixé et celui du préjudice effectivement subi (Com. 11 févr. 1997, n° 95-10.851). Par exemple, la stipulation d’une majoration de 75 à 100% du taux d’intérêt conventionnel, qui excède notablement le coût de refinancement de la banque et se révèle sans commune mesure avec le préjudice résultant pour elle du retard de paiement, justifie le caractère manifestement excessif de la pénalité prévue (Com. 5 avr. 2016, n° 14-20.169). Cela étant, la Cour de cassation opère un contrôle strict des motifs de la décision des juges du fond de réviser le montant de la clause pénale en considération de sa disproportion.
Révision et obligation de motivation – Si le juge, pour qui la réduction des obligations résultant d’une clause pénale disproportionnée n’est qu’une simple faculté, n’a pas à motiver spécialement sa décision lorsque, faisant application pure et simple de la convention, il refuse de modifier, à la hausse ou à la baisse, le montant de la « peine » qui y est forfaitairement prévue (Com. 26 févr. 1991, n° 89-12.081 ; Civ. 3ème, 12 janv. 1994, n° 91-19.540), ce pouvoir discrétionnaire cesse lorsque le juge décide au contraire de réviser la clause. Ainsi les juges du fond ne peuvent-ils se borner à énoncer que le montant prévu était « un peu élevé » sans rechercher en quoi ce montant était manifestement excessif (Ch. mixte, 20 janv. 1978, n° 76-11.611), ni déduire cet excès des seules « circonstances » entourant sa conclusion (Civ. 3ème, 14 nov. 1991, n° 90-14.025), ni même réduire le montant de la clause stipulée au contrat en retenant les calculs précis réalisés par un expert s’ils ne précisent pas en quoi le montant des indemnités de retard résultant de la clause pénale était manifestement excessif (Civ. 3ème, 12 janv. 2011, n° 09-70.262). C’est cette même imprécision, impropre à établir à la fois l’excès du taux de majoration de 4% stipulé et sa disproportion avec le préjudice subi par la banque, né de la mise en liquidation de son débiteur qui justifie, en l’espèce, la cassation de la décision des juges du fond.
Références :
■ Com., 18 déc. 2007, n° 04-16.069, D. 2008. 154, obs. X. Delpech ; ibid. 1776, chron. D. Mazeaud ; RTD civ. 2008. 310, obs. P. Jourdain
■ Civ. 1re, 11 oct. 1994, n° 92-13.947, Defrénois 1995, obs. D. Mazeaud
■ Com. 9 juill. 1991, n° 89-18.270 ; D. 1993. Somm. 72, obs. A. Honorat
■ Com. 18 mai 2005, n° 03-10.508, RDI 2005. 435, obs. H. Heugas-Darraspen
■ Civ. 1re, 11 oct. 1994, n° 92-13.947 ; Defrénois 1995.759 ; obs. D. Mazeaud
■ Com. 4 mai 2017, n° 15-19.141, DAE, 8 juin 2017, note Merryl Hervieu, D. 2017. 972 ; AJ contrat 2017. 335, obs. S. Bros ; Rev. sociétés 2017. 477, note N. Martial-Braz ; RTD civ. 2017. 645, obs. H. Barbier ; RTD com. 2017. 413, obs. D. Legeais
■ Com. 11 févr. 1997, n° 95-10.851, D. 1997. 71 ; RTD civ. 1997. 654, obs. J. Mestre
■ Com. 5 avr. 2016, n° 14-20.169, D. 2016. 838 ; ibid. 2244, chron. F. Arbellot, A.-C. Le Bras, T. Gauthier et S. Tréard ; Rev. sociétés 2016. 395, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2016. 547, obs. A. Martin-Serf
■ Com. 26 févr. 1991, n° 89-12.081
■ Civ. 3ème, 12 janv. 1994, n° 91-19.540, RTD civ. 1994. 605, obs. J. Mestre
■ Ch. mixte, 20 janv. 1978, n° 76-11.611, P
■ Civ. 3ème, 14 nov. 1991, n° 90-14.025, AJDI 1992. 597 ; ibid. 598 et les obs.
■ Civ. 3ème, 12 janv. 2011, n° 09-70.262, DAE, 14 févr. 2011, note Denis Mazeaud, RDI 2011. 220, obs. B. Boubli ; ibid. 231, obs. J.-P. Tricoire ; RTD civ. 2011. 122, obs. B. Fages
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